L’accueil

Publié dans Le Progrès social n° 2531 du 01/10/2005 

Qui n’a poussé la porte d’un établissement public ne serait-ce que pour un renseignement et ne s’est trouvé confronté à un visage dur, fermé avant de recevoir la voix filtrée entre les dents à peine compréhensible allant du crescendo impatient à l’éclat coléreux du fonctionnaire de l’Etat ou de l’agent des collectivités locales  quand le client spécialiste de rien du tout pose plusieurs questions jugées dérangeantes ?

Qui n’a fait l’expérience de rester devant un guichet où l’hygiaphone protège des postillons et de l’agressivité attendant que l’employé ait fini de discuter avec son collègue ou de parler au téléphone le déposant pour attraper l’indispensable portable, les yeux glissant sur l’usager n’ayant jamais rien à faire donc pas pressé et de surcroît devenu tout à coup transparent ?

Qui  n’a passé plus de trois minutes à appeler un standard d’institution publique, la sonnerie résonnant dans le vide jusqu’à ce qu’une voix très ensommeillée, peut-être être tirée du lit, pâteuse, lasse, caverneuse daigne passer le service demandé après beaucoup d’insistance ? Qui ? Qui ? Qui ? …

La liste des questions pourrait être longue comme le temps passé à revenir chaque semaine remettre un document à ajouter à un dossier comme s’il était interdit de dresser une liste des pièces à fournir lors de la première rencontre. Mais ce serait là affaire d’organisation !

Comment est-on passé à l’accueil et au sourire légendaire des guadeloupéens à ces faciès à la limite de l’hostilité qui font battre en retraite et garder son argent au fond de sa bourse dans des magasins où l’invite à regarder est inexistante à fortiori à acheter. Le sourire arc de cercle renversé sur le dépliant du Conseil Général n’est-il que symbolique ? On le voit partout dans les lieux publics et privés, partout sur le carton.

D’abord disait l’aïeule, quand une personne se présente à la porte il faut l’encourager à entrer : le premier signe de bienveillance étant celui du visage souriant, yeux largement ouverts, mains tendues. Ou cette personne a besoin d’aide, ou elle vient porter l’information, dans les deux cas c’est en amie qu’elle doit être reçue. Dans un pays où la constante chaleur est quelque fois accablante, l’offrande d’un verre d’eau fraîche participe à la qualité de la réception. Ensuite il faut proposer un siège : verbaliser l’émotion affaiblit les membres, venir de loin nécessite une détente assise. Alors après tout cela, seulement après, s’enquérir de la raison de cette visite. La rencontre terminée, un fruit du jardin ou du fruitier remplit des achats du marché de la veille, constitue un remerciement d’avoir fait le choix de cette maison là pour la décharge des problèmes, une reconnaissance de l’aptitude à l’écoute ou d’un petit cadeau pour prendre le chemin du retour. Merci d’être venu. L’aïeule n’était pas passée par ces formations sophistiquées de grandes écoles ni ces instituts de management, ni une école d’hôtesse. Elle souriait, cela se voyait de loin. Certes, elle ne se trouvait pas derrière un bureau ou à l’abri d’une banque du bien recevoir (immense), à essuyer les mécontentements de clients revenus l’énième fois pour la même chose. Avec sa philosophie, ces rendus / hargneux par l’incomplétude des informations n’existeraient pas. Au second mécontentement elle aurait réglé le problème sans laisser monter le ton : question de doigté bien supérieur au coûteux apprentissage.

Le client est roi : jolie devise à l’emporte-pièce pratiquée par les cadres commerciaux des hyper marchés. Toute caissière a le bonjour sur les lèvres, esquisse un sourire, demeure aimable. La formation peut vérifier son efficacité, mais pas seulement. Ce procédé évite que la rouspétance n’enraye le système de la chaîne de vente, ne dérange le responsable des caisses, n’occasionne une longue file d’attente. Les erreurs sont notées et commentées en réunion, désignant les meilleurs et les autres : contrôle de la performance.

L’appellation client n’est pas claire pour tout le monde ni perçue de la même manière. Le malade recevant des soins à l’hôpital grâce à la CMU, sorte d’assistance médicale gratuite, même s’il ne fait pas partie du clientélisme forcené qui consiste à fidéliser les nantis et à les allécher par des petits cadeaux à l’exemple des centres de bien-être et de remodelage du corps, devraient avoir droit à des égards et à un accueil identique à celui qui a le privilège d’une chambre particulière. La souffrance est allégée par une prise en charge efficace doublée de mots apaisants, d’un sourire bienveillant autant que l’effleurement/caresse d’une main sur un bras pour tout le monde. Une mauvaise qualité de réception, celle qui devrait disparaître définitivement, s’acharne à héler le nom du malade assis en salle d’attente par le thérapeute, sans bouger du cabinet de consultation. Le secret professionnel n’est pas respecté par l’inexistence de l’anonymat. Aller chercher et raccompagner est le minimum du bien accueillir comme de disposer quelques chaises au bénéfice de jambes vieillissantes ou de personnes porteuses de maladies les condamnant à la fatigue perpétuelle combien seraient-elles d’une apparente fraîcheur et pétillantes de jeunesse dans les endroits où l’attente est longue.

Est-on client lors d’un dépôt de plainte à l’heure du déjeuner ou du goûter, où la dissuasion de la requête pousse à l’abandon quelques-uns et maintient confiné dans la touffeur le réticent puni de son insistance ? Garder son calme et son sang-froid, mesurer ses mots afin d’éviter l’outrage à fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions et assermenté sont indispensables. Force reste à la loi.

Dans ce sombre tableau, il est des lieux semblables à des lieux de délices. Où celui qui franchit le seuil se sent important, est pris en considération, écouté d’abord par le secrétariat puis dirigé vers la personne de son choix. Le téléphone autorise à une voix plaisante, là uniquement pour l’autre, à dispenser des informations détaillées, sans empressement, à les reprendre s’il s’en faut. Aucune distinction entre les classes sociales. L’accueil est uniforme. Un rêve parce qu’il est parfait dans un site agréable où l’eau glacée en permanence attend d’être bue. D’autres endroits s’octroient un accueil disparate qui est fonction de la personne accueillie autant que de la présence de certains éléments pour qui cette incontournable valeur fait partie d’un patrimoine culturel à maintenir vivace. Ceux qui se plaignent le plus de sa disparition s’interrogent-ils assez sur leur manière d’accueillir ? Portent-ils un regard critique sur leurs attitudes ? Sont-ils surs d’accueillir comme ils voudraient l’être ?

Les agressions, les incivilités, les insultes et autres vilénies en augmentation ne seraient-elles pas proportionnelles aux mauvaises réponses, au manque de patience et à l’absence de savoir-faire ? Quelquefois trois personnes interrogées sur le même sujet dans le même service fournissent trois réponses dissemblables : à troubler le néophyte, à induire la confusion dans un dossier déjà compliqué à l’entendement. Le timide, celui dont la couleur aubergine du visage ( le rouge sang sous la peau marron s’apparente à la teinte violette ) n’est pas très visible, fulmine en silence espérant que le prochain client vengera tous ceux qui comme lui  n’osent pas exhaler leur déplaisir.
Les clients ont le droit de se plaindre. Parler ne sert pas à grand-chose. Il faut dénoncer par écrit aux directions des établissements concernés ce qu’ils estiment être des manquements en mentionnant le nom de la personne inconvenante ou sa fonction. En absence de réponse, renvoyer le double de la lettre. Les écrits restent.

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