La rumeur

La définition de la rumeur est acquise : « Bruit vague qui court, nouvelle qui se répand sans assurance d’une vérité, sans désignation d’une origine. » Ici elle est une pratique assez courante de l’échange social de l’information. Elle assure une permanence de la parole interprétée, mal entendue, ou modifiée. Dans les familles par exemple, il est courant que les nouvelles qui rassemblent toute la maisonnée devant la télévision soient commentées avant la fin du sujet énoncé.

Chacun y va de son opinion et propage ce qu’il a saisi d’une information fragmentée, scindée en partie de vérité, en partie d’ajout personnel. Cette rumeur dont on cite la source : entendue à la télé, va endosser un caractère de vérité d’autant plus que les médias en sont de grands propagateurs. La course à la primeur du sensationnel, l’évaluation d’audimat, l’augmentation de l’audience, font fi de l’illégitimité d’une information au regard des discours conventionnels et des canaux de contrôle de l’information.

Pour certains, les médias sont des organes de diffusion de faits réels et véridiques, mais de plus en plus, l’analyse rigoureuse met en doute leur probité. Il s’agit de démontrer qu’une rumeur n’est pas une information. Ce n’est ni facile ni simple quand l’imaginaire se nourrit de faits divers, se délecte d’une curiosité proche du voyeurisme.

Aujourd’hui la rumeur se propage à la vitesse éclair par le biais des réseaux sociaux toujours aux aguets d’inédit, d’extraordinaire. Elle est dès lors incontrôlable. Ecrite, elle ne s’efface pas, combien même un rectificatif viendrait donner un démenti à ce qui est véhiculé.

Savoir et rumeur

L’observation des postures est un indicateur de l’importance de celui qui détient le savoir. Entre l’émetteur et le récepteur s’installe une supériorité visible car le bouche à oreille donne toute son ampleur au phénomène qui ne se perçoit pas sur la toile. Une complicité établie avec une personne ou un petit groupe induit de l’affectivité et de la reconnaissance : « Comme je vous aime bien je me permets de partager la nouvelle. Mais c’est entre nous. ».

Le dire suggère de ne pas l’élargir à d’autres, comme chez les initiés détenteur d’un secret. Le pouvoir de celui qui sait. L’ignorant est traité presqu’avec mépris : « Tout le monde le sait » dispense de citer la source mais souligne la longueur d’avance avérée d’un intellect vif et informé. Celui qui affirme que ne sont que racontars et sornettes, commérages de bonnes femmes, ragots portés par les ailes du vent, en discute en se moquant mais continue à les faire circuler. Se voulant au-dessus de la mêlée, il alimente quand même le débat.

Dans l’échange qui se veut crédible, la confidentialité est de mise. Le nom de l’ami haut placé, à la source sure, donne quitus à une information qui n’est pas une rumeur mais qui le deviendra après-coup. On pénètre avec ces différents comportements la sphère d’un certain pouvoir, une supériorité du savoir dans le sens ou il est toujours révélation. Toutes ces préventions d’usage, ces informations clandestines confèrent une aura à ceux qui instruisent les autres, convaincus souvent eux-mêmes de la véracité des nouvelles colportées. Tout le monde s’intéresse aux rumeurs sans vouloir rechercher sa réalité ; elles font partie d’un quotidien qui autorise encore que la parole circule dans les familles quel que soit la classe sociale, elles tiennent en haleine la région tout entière.

Nature de la rumeur

La calomnie précipite un individu dans l’enfer du jugement, l’opprobre et la vindicte des siens et des autres. Les institutions, le monde politique, les lieux de loisirs, rien n’est épargné, mais la suspicion est à degrés variables. Personnelle ou institutionnelle son origine reste méconnue, et plus dangereuse dans la mesure où elle n’est pas identifiée.

Selon les représentations d’une époque, les attentes et les besoins, la rumeur va porter sur ce qui touche le plus aux valeurs de tous. La plus marquante il y a quelques années était de l’ordre de l’irrationnel : le pacte avec le diable. Une famille connue dans la commune, s’est vue accusée d’un enrichissement soudain en même temps que la mort de leurs deux enfants.

D’aucuns aurait aperçu un homme blanc tenant par la main un gamin et se diriger vers la mer. Le corps flottant dans l’eau a accrédité cette thèse. Le regard suspicieux, les murmures, l’isolement ont été insupportables, ajoutés à la perte des enfants. L’imaginaire a recours à la mythologie à titre explicatif. Les révoltes de personnes réduites en esclavage ont obligé les colons à mettre à l‘abri leur or. Au fond de la forêt, un trou recevait une jarre pleine d’un trésor amassé durant les années de domination.

Accompagné d’un nègre de maison, le butin étant lourd, après enfouissement, le maître lui coupait la tête afin que le secret soit bien gardé. Le gardien de la jarre n’obtiendrait de délivrance qu’en échange d’une autre vie. Cet argent donné en rêve à une personne choisie selon un critère non défini, après acquisition devait en payer le tribut : une âme innocente. L’argent gagé c’est-à-dire endiablé réclamait un sang versé, la mort offerte au diable. La jarre d’or non gagé n’obligeait pas au sacrifice d’une vie. La nature de cette rumeur courante et banalisée, renseigne sur les interdits et les valeurs d’une société de la misère à la recherche du pain quotidien. L’église et la morale mettaient l’accent sur le commerce diabolique et ses conséquences. Aujourd’hui aucune accréditation n’aurait donné une telle ampleur à ce fait.

La rumeur actuelle, s’appesantit sur les abus sexuels sur mineurs perpétrés par les pères en situation de divorce. Ces accusations graves renseignent sur la mutation opérée par la justice s’agissant de la parole des enfants. Il fut un temps où l’enfant qui essayait de révéler un comportement jugé inacceptable de la part d’un adulte, entendait la famille l’accuser de vouloir détruire ses parents. Il n’était pas cru. L’époque qui a suivi dans sa meilleure connaissance des agissements des dépravés sexuels a accordé crédit de façon totale aux accusations formulées par les jeunes. Les erreurs d’évaluation ont abouti à des jugements erronés mettant la justice face à des impasses.

Aujourd’hui rétablie dans un juste milieu, la parole de l’enfant ne constitue pas une preuve. La décision de mieux former les enquêteurs, d’utiliser un protocole d’investigation international, c’est-à-dire avec des critères semblables pour tous les pays, n’empêchent pas l’adhésion au discours maternel dont la manipulation a pour but l’exclusive de la garde, d’un enfant qui sera aussi touché par cet épisode douloureux. Il est dommage que ce protocole dont on vante beaucoup l’efficacité ne soit pas encore mis en place partout. Il n’est pas rare de constater que quelques mères font remonter à la conscience leurs séquelles de violences sexuelles subies.

Pourquoi la rumeur

La période actuelle est propice à la rumeur. Le coronavirus avec sont lot de décès, de maladies dont les séquelles ont une durée indéfinie, de contaminations grandissantes, rendent la population perméable aux fausses informations. Cet évènement perturbant dont les causes ont longuement oscillé entre l’origine animale et sa fabrication en laboratoire ont cloué la Chine au pilori, au point qu’une chercheuse a été obligé de se justifier médiatiquement. Ce désir de savoir de façon urgente démontre à quel point l’angoisse était intense et la non-satisfaction des réponses apportées a conféré à la rumeur une valeur d’information.

L’absence de vérité publique, la défiance envers les institutions pour cause d’indécision, la parole paradoxale du conseil scientifique, s’est généralisée. Le gouvernement qui ne faisait que relayer les préconisations, la sphère scientifique, les médias, la fracture entre les sommités médicales, la contre vérité d’un traitement, et les mensonges ont permis d’édifier les thèses d’une conspiration dont les victimes seraient comme toujours les plus faibles. Les affirmations suscitent l’art de la polémique, les contradictions sont mises en évidence, les reculs justifient l’incompréhension.

Et la rumeur enfle, prend de la place, elle n’est plus un bruit irrationnel elle fait partie d’une réalité admise qui jour après jour allie le réel à l’imaginaire. La disqualification des institutions rend crédible tous ceux qui les contredisent ; ils inspirent confiance, ils sont assimilés au chevalier blanc pourfendeur d’ignobles menteurs. La Guadeloupe et la France partagent ces rumeurs communes avec le reste du monde. La panique justifie pleinement leur propagation.

Destin des rumeurs

La calomnie, nonobstant la démonstration parfois juridique de son dire infondé, ne disparaît jamais tout à fait. La seule évocation du nom de sa victime, fait remonter à la mémoire la nouvelle infâmante. La rumeur détruit l’humain, perturbe sa vie, engendre des perturbations psychologiques débouchant sur des comportements agressifs ou des tentatives d’autolyse à répétition. Le suicide n’efface pas l’histoire d’une invention mensongère et non vérifiée ou d’une vérité déformée.

Celle qui a marqué durant des années le pays, s’est fixée dans l’imaginaire de jeunes par le biais de la transmission. L’homme au bâton qui blessait les femmes et les filles tout le long de l’année 1960 s’est mué en légende urbaine. Quelques-uns soutiennent qu’il a vraiment existé et qu’il a été l’objet d’une chasse à courre dans les rues, d’autres affirment l’avoir vu en plein jour se protégeant des aboiements des chiens. Invisible ou non, l’homme au bâton fait partie de l’histoire de la Guadeloupe.

Fait à Saint-Claude le 22 novembre 2020

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