La relation mère/fille

Cette relation est parfois plus compliquée que sereine. L’amour maternel idéal n’existe que dans l’imaginaire. Il y a un refus à croire qu’il n’est pas irréprochable et même les enfants maltraités s’accrochent à l’idée qu’ils sont seuls responsales de cet état de fait. Ils méritent le mal subi. L’enfant parce qu’il est totalement dépendant ne peut détester sa mère et préserve l’illusion du qualificatif de mère suffisamment bonne. La relation de la mère à son fils n’est pas du même ordre qu’avec sa fille. Avec la fille le lien s’inscrit dans une continuité filiale sans satisfaction totale, dans une attitude ambivalente. Elle attend que celle-ci se comporte comme on l’a exigé d’elle, ou qu’elle sera ce qu’elle n’a pas réussi à être. Elle se demande rarement ce qui est bon pour l’enfant, elle l’encense si elle répond à ses attentes et la rejette en cas contraire. Elle l’aime en fonction des satisfactions qu’elle lui procure. Moins de liberté accordée, plus d’avis formulés dénotent une anxiété qui ravive ses propres angoisses à elle, contrairement au fils dont la différence est acceptable.

Ainsi le jeu des identifications de génération en génération, s’engouffre dans la répétition. La fille s’identifie à sa mère tout en intégrant d’autres éléments de son entourage indispensables à son processus de développement, mais son avenir féminin, sa construction identitaire, passe par la représentation maternelle. Ce lien fusionnel de l’enfance est coloré de rivalité, pour la place auprès du père, rivalité structurante qui intervient aussi plus tard à la période pubertaire dans un besoin d’indépendance et de démonstration de l’être soi. S’ouvre alors une situation paradoxale d’un lien très investit et en même temps en butte à une opposition parfois mal vécue par la mère qui se sent trahie. La fille afin de préserver cette attache refoule ses réactions hostiles ou les accentue dans le but de trouver une solution.

Pourtant, la séparation est nécessaire, elle permet l’individuation et la différenciation à cette période charnière. Il est à noter que la qualité de la séparation dépend de l’antan d’enfance. L’enfant qui a vécu une symbiose insatisfaisante connaît l’angoisse de voir sa mère partir et ne plus revenir. L’insécurité s’installe. Quand la mère ne s’adapte pas à ses besoins et exige autre chose, l’enfant n’aura aucune confiance dans ses désirs et s’en remettra toujours à autrui. La construction de la conscience de soi dépend du comportement maternel : bien investi, le petit humain aura un narcissisme à toute épreuve, contrairement à l’enfant en absence dans le désir de sa mère.

L’amour du père est aussi important ; il peut pallier les manques maternels, mais sécurise autrement. Parfois mal supporté, le poids de la toute-puissance maternelle, enferme la petite fille dans une position d’infériorité. Cette relation exclusive écorche son narcissisme ; gomme sa féminité, entache d’échec ses rencontres amoureuses futures. Confrontée à des frustrations répétées, elle nourrit une colère intérieure qui peut se muer en rage : elle en veut à sa mère d’avoir un immense pouvoir. La compréhension de tels sentiments parvient à temporiser la force de l’hostilité à la mettre en berne, à la dépasser, à apprendre à la gérer en arrivant à l’exprimer. Quand les émotions hostiles sont réprimées, elles sont refoulées et peuvent resurgir plus tard à la puberté.

Le temps d’adolescence

La sortie de l’enfance où l’état de dépendance a institué un univers confortable, n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Après le temps de latence (4-11ans), la puberté ravive les conflits car la fille envisage d’accéder au même statut féminin que sa mère et à la même capacité de séduction. La rivalité entre mère et fille s’accentue et s’exacerbe, l’opposition s’exprime dans des accents violents plus ou moins acceptés. Une relation sans accroc doit aller par-delà l’aspect de la complicité, interroger les capacités d’individualisation et les raisons qui empêchent la fille d’affronter la peur de la séparation. La rivalité de la fille envers la mère est saine. Mais certaines mères ont tendance à rejeter l’idée d’une fille qui grandit, qui leur échappe et qui aussi leur fait prendre conscience d’une avancée en âge, caractéristique du vieillissement. Que révèle cette rivalité ressentie comme un danger par la mère ? C’est la perte d’une place mal assurée dans une incertitude de sa féminité, qu’une autre femme peut lui enlever. L’ombre de la première femme, sa mère, peut réapparaître. C’est-dire l’angoisse réactivée d’en être dépossédé, parce que non exprimée, refoulée, elle craint que l’histoire ne se répète avec sa fille : danger ancien de perdre encore, car auparavant elle avait abdiqué pour conserver l’amour maternel.

La femme qui n’a pas pu vivre la compétition avec sa mère, sauvegardant la relation, perçoit toutes les autres femmes comme dangereuses et menaçantes susceptibles de la ravaler à un stade inférieur. La fusion gomme la rébellion qui s’engage dans une impasse culpabilisante, hors du désir propre, plus dans le désir de l’autre. L’opposition permet d’exister dans un besoin de différenciation, d’acquisition d’indépendance, de séparation du premier objet d’amour. Elle ne signifie pas agressivité ou violence ou irrespect, mais besoin de délimiter son territoire ; de prendre ses marques, d’être confronté à son soi en amorçant une distance nécessaire et indispensable ; être hors champ du désir maternel et parental. Afin que l’opposition soit constructive, la participation des parents est souhaitable ; ils doivent trouver le bon écart, l’attitude adaptée à l’enfant en gardant leur place de parents. Un énoncé clair basé sur un respect réciproque dans un esprit de négociation mène à des compromis acceptables La sexualité comme espace réservé est importante dans le processus de séparation, parce que la fille a droit à son intimité et à son jardin secret. Il est très compliqué d’avoir une vie sexuelle, d’être indépendante et de conserver une relation fusionnelle avec sa mère. Elle doit aborder le versant de sa sexualité sans avoir à subir les jugements maternels. L’absence d’engagement sexuel peut signifier l’accrochage au lien maternel parce que aucune jouissance n’est possible en dehors d’elle, éternelle petite fille sage, lui évitant toute angoisse anticipée.

Les mères dysfonctionnelles

Elles le sont quand la relation peut entraîner des conséquences graves et douloureuses sur la vie de leur fille. Pour aimer il faut avoir reçu de l’amour, aimer sans rien attendre en retour : le don est gratuit.

La mère jalouse contrecarre les aspirations de sa fille. Les critiques incessantes, le refus de sa sexualité, le comportement séducteur vis-à-vis de son copain quand elle ne le dévalorise pas, sont le refus d’un statut féminin et le rejet d’une confrontation de femme à femme. L’adolescente intériorise le doute de soi, un malaise en présence d’autres femmes, un manque d’assurance sur le plan de sa féminité et sur sa capacité à séduire. La chaîne de transmission de mère jalouse en fille dévalorisée est assurée. Rarement est intégrée la jalousie de la mère : cette idée est vite expulsée de la conscience car elle scelle la condition d’une rassurante et indéfectible bienveillance en conservant l’illusion d’un amour donnant pleine satisfaction qui justifie l’impossible séparation.

La mère fusion ne vit qu’à travers sa fille dans l’exclusive d’une relation où personne n’a de place. La gratitude ou le rejet est fonction de la satisfaction ressentie. Dans un non-dit, inversant les rôles, cette mère se présente comme élément indispensable au bien-être, ne se privant pas de s’ériger en éternelle dévouée au service de son enfant, alors qu’elle ne jouit qu’au travers de la réussite de cette dernière et s’en sert comme passe-droit, celle qui mérite la récompense d’une éducation parfaite mais qui ne le dit pas.

La mère à carence narcissique dont la fille prolongement d’elle-même n’est adulée que parce qu’elle la valorise, dont les possibilités sont exploitées que pour combler ses manques. Un exemple de vie par procuration. Dans les concours de beauté, les enfants réparent le narcissisme défaillant de la mère. L’enfant correspond à ce qu’on attend d’elle, ses désirs ne sont jamais exprimés. Elle n’est que l’objet d’une réparation, elle est instrumentalisée.

La mère possessive, celle qui sait, ne supporte aucune critique, aucune opposition, au caractère dominant, celle qui met son enfant sous emprise, la chosifie, ne lui accordant aucun droit. Victime d’une abolition de sa personnalité, la fille aura du mal à reconnaître les effets dévorants d’une telle relation puisque cette grande protection est dite pour son bien, au nom de l’amour. Ce lien peut en retour engendrer de la haine qui incruste dans la pensée une ambivalence de sentiment au moment de la puberté, quand une réalité de dépossession de soi se dévoile.

La mère déprimée ne laisse filtrer ni désir, ni regard valorisant. La relation est teintée de désintérêt qui laissera des traces à l’âge adulte de l’ordre de la culpabilité, de la fille qui se croit responsable de la situation. La construction d’un bonheur durable ne se fera pas sans mal.

La mère rejet dont l’enfant s’attribue la cause des mauvais traitements et en endosse la responsabilité, parce que dans la société antillaise il est interdit de dire du mal de sa mère. Carencée narcissiquement aussi, elle en veut à sa fille, la dénigre l’accusant de tous les maux. En filigrane cette attitude souligne la haine de cette naissance qui l’a faite mère avec obligation de responsabilité impossible à assumer. C’est le cas de la mère coucou qui va pondre dans le nid d’un autre oiseau, refusant la contrainte de la couvade et du nourrissage. Insatisfaite de sa condition pour des raisons résultant des meurtrissures du passé, la fille devient le vecteur de sa souffrance morale. A craindre le phénomène de reproduction.

La mère parfaite pourvue de toutes les qualités est adulée et idéalisée parce qu’impossible à égaler. Le risque est le sentiment d’infériorité et de doute permanent qu’à l’enfant en héritage. Il n’y a rien de plus imparfait qu’une mère parfaite.

La place du père est importante. Très tôt la petite fille recherche son attention en but d’une satisfaction œdipienne. Il est le premier homme de sa vie. Elle rivalise avec sa mère, ce qui lui permet de se construire en se sentant aimée autrement, elle apprend à s’aimer comme fille, à s’accepter, à être fière de son sexe. Il l’autorise de se dépendre des désirs maternels, à marquer sa différence, à édifier une identité distincte et autonome, à échapper à la fusion/confusion. Le regard admiratif du père donne assise à son estime de soi, renforce la confiance en sa capacité de séduction et de la mise en valeur de sa féminité. Quand le père est absent, la fille reste dans la relation duelle avec sa mère, évite de lui déplaire pour s’assurer de son amour. La société antillaise où la monoparentalité constitue un large socle familial est-elle emprisonnée dans une relation mère/fille dysfonctionnelle, et des difficultés qu’elle draine dans la rencontre avec le masculin ? Certes, l’emprise de la mère va exercer une influence sur la qualité du lien amoureux, mais la petite fille saura très tôt se trouver une référence paternelle dans son environnement. Puis le père est contenu dans la parole de la mère. S’entendre dire qu’elle avait été désirée par lui, mais que les circonstances les avaient séparés, instaure un lien imaginaire gratifiant, ce qui favorise sa capacité à pouvoir investir et aimer d’autres hommes. Se pose la question de la transmission qui est souvent de continuité plus que de rupture. La fille reproduit le schéma parental et surtout maternel alors que le garçon aspire à créer une différence avec le père en cultivant une stabilité. La qualité de la relation mère/fille d’où s’absente le père, (selon Lacan le père est une père/version), contribue à un épanouissement personnel sans attendre d’un partenaire qu’il comble les manques supposés.

Fait à Saint-Claude le 30 novembre 2022

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Un commentaire pour “La relation mère/fille

  1. Votre texte est merveilleux, c’est une très belle lecture enrichissante, tout est dit dans ce champ pschanalyptique. C’est une vraie réalité, la relation mère-fille, il y aurait tant à ajouter dans cette interaction parfois compliquée. Très bon support analytique pour aider celles et ceux qui se forment dans la relation d’aide à autrui.
    J’attends de vous, une lecture autour de l’évolution de la sexualité et de la psyho sexologie et sexothérapeutique en Guadeloupe ou aux Antilles. Je crois avoir besoin, d’approfondir mes travaux de recherches sur ce beau thème qui est l’essence même de la vie.
    Merci pour tout et poursuivez cette belle richesse épanouissante tant pour vous que pour nous.
    Une de vos connaissances dans l’ombre,
    Manuela Emeran.

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