Publié dans Le Progrès social n°2636 du 20/10/2007
Une longue tradition a construit un pont entre les pays d’Afrique et la France après les conventions avec l’Italie, la Pologne et le Portugal en matière de recrutement de main d’œuvre. L’extraction du charbon, la construction des maisons, la cueillette des fruits, les services de nettoiement des villes ont justifié la venue d’immigrants saisonniers ou non. La répartition entre les différents emplois s’est fait selon la compétence de chacun.
L’évolution économique des Etats européens a contribué à la raréfaction d’hommes et de femmes capables de participer au développement de leur Nation. Le nombre de bras diminuant, la France a augmenté la demande de main d’œuvre, sans qualification particulière, en direction de l’Afrique. Les Africains s’occupaient des travaux les plus lourds et les plus sales. A Paris, le ramassage des poubelles, le nettoyage des rues étaient leurs occupations principales. Ces éboueurs ne faisaient pas grève. Depuis, le chômage en augmentation a dirigé une catégorie de français vers ces emplois réaménagés pour eux sur le plan de l’hygiène et de la rémunération : une amélioration des conditions de travail.
Tout immigrant arrive seul. Son salaire ne lui permet pas de se loger convenablement parce que la plus grande partie de ses gains va à sa famille restée là-bas. Des groupes d’hommes se sont agglutinés dans des baraquements insalubres. Quelques regroupements familiaux, facteurs de bien-être psychique ont autorisé femmes et enfants à partager leur existence en France. La débrouillardise de certaines améliorait l’ordinaire ; l’important étant la reconstitution de la famille.
Alors que les Italiens, les Polonais, les Portugais se fondaient dans la société française, la visibilité des étrangers de phénotype différent alimentait la thèse du seuil de tolérance. L’accent était mis sur la polygamie, la différence de culture donc de comportement. L’accusation d’occuper des emplois, privant les Français du pain quotidien fusait dans les milieux défavorisés. Des foyers Sonacotra ont brûlé plusieurs fois en région parisienne. Aujourd’hui une volonté de réhabilitation de la part d’honnêtes gens concomitant à une loi soumis à vote au parlement, dans une exposition, démontre le rôle prépondérant des immigrés dans la construction de la France et de son économie.
Cependant la clandestinité stigmatise une ethnie. Les reconduites à la frontière (25.000 par an), décidées par le gouvernement actuel produit une catégorisation des SANS : sans papiers, sans logement, sans droits. La réglementation de l’immigration si elle est légitime ne saurait justifier le soupçon qui pèse sur des principes qui ne semblent pas du tout républicains. Les demandeurs de visas doivent effectuer à leur frais des tests ADN prouvant leur parenté avec un père immigré.
La première pensée questionne la filiation : un père n’est seulement qu’un père biologique ? Parce qu’il est africain il n’a aucunement le droit d’adopter un enfant ? La méconnaissance de la culture et des liens de parenté des étrangers a gommé ce qui est de l’ordre de la coutume et de la solidarité. Le fils de la sœur ou du frère décédé considéré comme sien, en accord avec l’autorité de l’oncle paternel ou maternel, possède t-il cette empreinte génétique ? Et la famille recomposée ? En France on connaît ! Les enfants de l’épouse n’ont pas le droit de rejoindre un beau-père qui les a élevé ?
Jusqu’ici, le test ADN ne peut être obtenu qu’en ayant recours à un magistrat : c’est ce que dit la loi. Là, il semblerait que le regroupement familial permet d’y déroger. Une loi applicable en France ne l’est pas dans les mêmes conditions pour des personnes venant de l’extérieur. Serait-ce là de la discrimination ? Rappelons que l’article 16 du code civil interdit formellement « toute étude génétique des caractéristiques d’une personne » si ce n’est « à des fins médicales ou de recherche scientifique. »
La question à poser est : « Peut-on utiliser la génétique pour identifier ? » L’éthique se jette par-dessus les haies. Peu de parlementaires ont refusé l’amendement de cette loi. La secrétaire d’Etat à la ville l’a jugé « dégueulasse ! » Il est interdit de dire des injures a clamé un membre de sa famille parlementaire qui menace de porter plainte. Elle avait sans doute oublié ces mots d’un ancien : « On ferme sa gueule ou on démissionne ! » Solidarité oblige ! La spontanéité d’une novice en politique doublée d’une réminiscence des origines, a laissé échappé une opinion qui lui coûtera peut-être son poste à la nouvelle année.
Comment se réclamer des valeurs de la république qui dans les meetings électoraux se promettaient d’être « irréprochables ! » Comment désapprouver le regroupement en communauté de la minorité visible afin de se sentir plus forte face à tant de rejet ? L’intégration passe par des agissements de la population du pays d’accueil. Si elle est bienveillante, l’adaptation s’en trouve renforcée. Dans le cas contraire, le repliement sur soi de l’immigrant va donner lieu à des postures de séparation : terreau pour les éléments d’incompréhension et de distance. La xénophobie s’alimente de non rencontre due aux préjugés. Par contre, l’échange abolit la peur de l’autre. Dans un sens comme dans l’autre.
La confirmation de la filiation par le test ADN qui malmène la moralité de quelques-uns ne doit pas permettre d’oublier le reste de l’organisation de l’immigration choisie. Les candidats à l’immigration doivent apprendre la langue du pays rêvé. La nécessité de parler français avant l’arrivée se justifie t-elle ? On apprend sur place si une réelle volonté de communication s’instaure de part et d’autre. L’apprentissage d’une langue est chargé d’affects et sa difficulté vient d’une perception obscure de l’autre et de son monde et de la crainte de ne pas être à la hauteur. Quelle serait la réaction d’un français voulant travailler en Russie à qui on demanderait de connaître le cylirique ? Ce diktat est pour tout immigrant ? Pour les plombiers polonais aussi ? Personne n’a imposé aux psychiatres consultant à Saint-Martin de maîtriser le créole et l’anglais, deux idiomes pratiqués par la population ignorante du français. Et il s’agit là des choses de l’âme touchant à l’inconscient.
A l’analyse se profile un constat : celle de la perpétuation de la supériorité des cultures. S’agit-il d’un retour en arrière ou d’une chose enfouie, énoncée au grand jour sans souci d’une critique rappelant les vraies valeurs de la république ? C’est en cela que cette loi est une loi raciste. Elle stigmatise des ethnies, allant jusqu’à leur rappeler sur leur propre sol qu’ils doivent se plier à la représentation que le pays de l’immigration a d’eux.
La légitimation d’une formation, si légère soit-elle, aux règles d’hygiène, à des candidates aux tâches ménagères, dont les servantes portugaises se passaient, peut se comprendre. Mais les critères de sélection vont inexorablement délimiter une ligne de partage entre ceux qui ont la possibilité de monnayer ces exigences et les autres.
Pourtant la France a besoin des immigrés. Ils sont moins bien payés, ne réclament pas de droits, sont capables de tout faire pourvu qu’ils aient le minimum vital. Leurs épouses remplissent les berceaux du pays, freinant la dénatalité. Ils ne savent pas que leur rêve de l’eldorado sera soumis à dure épreuve ; mais qu’importe ils désirent le toucher du doigt.
Le besoin d’une élite donne lieu à la création de privilèges tels la gratuité du logement, la voiture de fonction avec chauffeur, les billets d’avion deux ou trois fois l’an pour toute la famille, la prise en charge du coût de la scolarité des enfants, et un salaire conséquent. Toute proportion gardée, le besoin de services de quelque nature que ce soit devrait ouvrir droit à un peu de considération. Les besogneux participent à l’amélioration des conditions de vie et au maintien de la balance économique. La loi sur l’immigration dans sa forme nouvelle est une loi raciste.