Femmes et évolution

« Pwémié lenemi awe sé mawi awe », criaient hier les grands-mères.

« Expliquez-nous pourquoi les hommes ont peur des femmes », dit aujourd’hui la génération des 25-35 ans.

Que s’est-il passé pour que de menaçant voire dangereux, l’homme soit devenu craintif et lointain ? Quelles transformations l’ont amoindri, le rendant méfiant au point que nulle œillade séductrice ne le décide à abolir la distance le séparant de la femme ? La modernité l’aurait-elle ramolli en lui enlevant le goût du baratinage et la fierté de la conquête ? Ou peut-être son appétit se serait détourné des corps avec seins et fesses rondes symboles du féminin ?

Imaginaire et représentation ne font que montrer du doigt l’autre, le responsable fauteur de troubles comme l’exige la culture qui imprègne l’être : « Ce n’est pas moi, c’est lui et lui seul. »

Et si la femme se posait la question de sa participation à ce changement ne serait-ce que par sa présence ? Si c’était son regard à elle qui s’était modifié, si c’était elle qui s’était transformée, si elle avait d’autres attentes, si, si, si, « si pa ka monté mone. »

Ce qu’elle ne sait pas forcément, c’est que la société de typiquement masculine s’est peu à peu féminisée. Une grande avancée par le biais de la contraception a libéré la femme en lui offrant du temps à investir dans le travail, les loisirs ou dans des espaces de liberté même à l’intérieur de la maison organisée autrement.

Le taux de fécondité s’est abaissé considérablement sans la bénédiction de l’église. La contraception (on le dit rarement) évacuant l’angoisse d’une grossesse, a autorisé la découverte du désir sexuel et a participé à la prise de conscience de la jouissance et du plaisir. L’homme se pose des questions : moins occupée à torcher, la femme pourrait s’octroyer sa part de rêve presque comme lui, (presque !), car il ose verbalement ces mots jugés vulgaires dans une bouche fardée.

La loi définitive de 1979 relative à l’interruption de grossesse (celle de 1975 était provisoire, celle de 1942 était crime contre la sûreté de l’Etat et punie de mort) vient au secours des oublis, des négligences, des accidents, mais par un mécanisme très féminin met en évidence une volonté de castration. Comme fertilité est associée à virilité, la grossesse conforte l’amant dans sa puissance : il est flatté. L’avortement annule cette fierté. La vantardise de l’homme concernant une marmaille plurielle prend une gifle. La femme mène le jeu : jeu dangereux pour son utérus à répétition en guise de contraception fragilisé par ces avortements.

En 1974, la création d’un Secrétariat d’Etat à la condition féminine, suivie en 1981 d’un Secrétariat d’Etat des droits de la femme, a ouvert la voie en 1983 à une loi sur l’égalité professionnelle entre hommes et femmes. Enfin, en 1993, la loi du 8 juillet pose le principe de l’autorité parentale conjointe à l’égard de tous les enfants (légitimes ou naturels) quelle que soit la situation de leurs parents (mariage, séparation ou divorce.) Cette évolution légale a contribué au changement de mode de vie ; la femme au travail passe moins de temps à la cuisine, elle s’octroie des privilèges, ou ceux qu’elle suppose tels, comme l’homme, mais adopte une attitude de prudence s’agissant de sa santé. Plus sujette à l’anxiété et aux troubles du sommeil, elle s’occupe mieux de son corps à travers l’apprentissage du suivi médical.

Au regard de cette évolution, la journée des droits des femmes saurait elle justifier les manifestations et les rassemblements du 08 mars. Elle donne l’opportunité de faire un constat, un bilan diront certaines. Le bilan véhicule d’idée d’une limite, la chose ferme et définitive alors que le constat au gré des utilisations, suggère une possible évolution. Les femmes ont des droits, affirme-t-on : lois brandies, écrites, ratifiées ou non mais adoptées par les gouvernements successifs. Ces lois existent mais sont-elles admises par tous, respectées ? « Nul n’est censé ignorer la loi », donc sa méconnaissance devrait entraîner des sanctions, des rappels à l’ordre. A l’analyse, les chiffres révèlent des dérèglements, des dysfonctionnements, visibles et évidents.

  • La loi sur la parité

Le gouvernement de François HOLLANDE a été le premier à l’appliquer et depuis il semblerait que la chose soit acquise. Mais les élections municipales et cantonales, sur les listes publiques de départ affichent des figures féminines dans le rôle de figurante. Le scrutin gagné, elles sont reléguées à des postes subalternes ou à pas de postes du tout. Monde encore très fortement sexué, le politique a du mal à laisser s’exprimer leur parole en pourcentage plus rare que la leur ; études statistiques à l’appui.

  • L’emploi

Il est très difficile d’éradiquer les stéréotypes. Les discriminations dans les recrutements (la mauvaise pensée non dite à propos de l’utérus, demeure), dans la progression des carrières, l’inégalité salariale, la barrière dressée devant les postes de responsabilité à diplôme égal, l’emploi à temps partiel afin de combiner vie professionnelle et vie familiale, se confinent dans l’arbitraire.

  1. La famille

Majoritairement, elle s’occupe de l’éducation des enfants, de l’organisation des tâches ménagères, de la gestion de la scolarité (réunion des parents d’élèves), et de la prise en charge de la santé de la progéniture.

Pourquoi subsistent encore tant de difficultés concernant certains domaines ? Parce que les lois sur l’égalité ne subissent aucun contrôle et ne font l’objet d’aucune évaluation. Les lois ne sont pas appliquées en grande partie. A se poser la question de leur volonté d’ancrage.

En second lieu, l’évidence du regard sur le corps de la femme relève d’une représentation ancienne : l’impression de fragilité lui donne accès lentement à ce qui était considéré comme des professions d’hommes : maçons ; électriciens, conducteur de bus, mettant l’accent sur le corps maternel, et le corps de plaisir/désir en l’écartant parfois en douceur dissuasive d’investir ces domaines. A l’origine, l’école aussi l’a assignée à ce que l’on considérait comme son devenir sans même essayer de combattre cette sentence : « L’anatomie c’est le destin. » On pourrait la remplacer par : « Ne laissez personne vous dire que parce que vous êtes une fille, vous ne pourrez accomplir de grandes choses. » Le modèle familial suivrait l’exemple en n’instaurant pas de différence dans l’éducation des filles et des garçons.  On ne naît pas femme, on le devient.

Ces propositions de changement avancées, énoncées, année après année, ne semblent pas interpeller outre mesure les décideurs. Finira-t-on par arriver à l’établissement de quotas comme aux Etats Unis pour l’embauche des travailleurs noirs ? Dégagée des préoccupations de nombre d’enfants, dotée en Guadeloupe de plus de diplômes que le masculin, désireuse d’asseoir son évolution par le travail, elle doit souvent être confrontée à des difficultés majeures, celles de ne pouvoir compter que sur ses forces personnelles, parce que les lois contre les discriminations sont en grande partie ignorées.

Le corps de femmes lui appartient. D’aucuns ne saurait le forcer ou lui imposer des règles sordides de manipulation ou de chantage. Le harcèlement sexuel, le harcèlement moral, séparé ou couplé, ne donnent lieu qu’à 10% de plaintes. Véritable fléau de domination, leur propagation dans des dénonciations sur les réseaux sociaux dévoilent l’ampleur du phénomène, prouvant l’existence d’un sexisme qui n’est pas nouveau. La solitude de celle, craignant l’incompréhension et l’accueil masculin dans les commissariats oblitère la démarche.

L’évolution de la prise en charge est lente, trop lente et les violences conjugales en augmentation suppriment la vie de mères et d’enfants avec. Les féminicides portent à l’ordre de la conscience les manquements de la protection obligatoire de tout citoyen dont la femme. 16.400 femmes violées en France en 2017, chiffre augmenté de 12% en 2019. On ne peut plus se voiler la face. L’urgence se trouve dans l’apprentissage du vivre ensemble. Apprendre aux fillettes à dire non, à communiquer en dénonçant, mais aussi apprendre aux garçons à entendre ce non et à en tenir compte. Chaque société a ses codes, ne pas les respecter génère des malentendus.

A l’observation, même si elle occupe les postes les moins rémunérés, elle tend à exercer de plus en plus une activité professionnelle. Le modèle traditionnel s’écarte peu à peu, de celui qui lui assignait les responsabilités domestiques et familiales. Peu d’homme encore de façon systématique prend en charge lessive, vaisselle ou ménage. Cela relève de l’éducation. Les garçons ne sont préparés à assurer le quotidien domestique qu’en cas où ils seraient sans compagnes. Les pratiques sur le partage des tâches ménagères n’évoluent que très lentement.

Les relations de la femme ne se cantonnent pas seulement à la famille ou à celles qu’elle peut entretenir sur son lieu de travail. Elles s’étendent à la société et à son fonctionnement, pénétrant le tissu social à travers la vie politique, associative et religieuse. Elle en subit les agressions et certaines formes de délinquance qui vont générer après-coup une modification d’attitude. La résistance la plus forte vient du corps politique, lieu privilégié de l’expression du pouvoir où peu de place lui est accordée à des postes de responsabilités mais non pas en tant que militantes.

La femme a changé. Elle n’est plus seulement mère et épouse, elle revendique ses droits face à un partenaire décontenancé par sa prise d’indépendance.

Dans la phase d’observation, la grande difficulté à fonctionner d’une manière nouvelle ensemble a couronné l’effondrement des valeurs : valeurs morales, valeurs familiales. Engoncé dans la recherche du bonheur, chacun s’est enfermé avec son égotisme oubliant les devoirs éducatifs et affectifs envers une progéniture livrée à elle-même dans un monde sans idéal où l’amour et la mort se confondent, sans avenir, avec le chômage comme pendant d’un diplôme inutile. Qu’a-t-on à offrir à ces enfants là ?

Les nostalgiques du passé mettent l’accent sur la débâcle de la société en prônant le retour à la tradition, s’intéressant davantage aux méthodes anciennes plutôt qu’à l’avenir. Ces méthodes d’un temps étaient adaptées à l’époque où les incitations externes ne pouvaient prendre le pas sur les interdits, où l’emprise de la religion et la crainte de Dieu justifiaient le destin et l’acceptation des conditions de survie, enfouissant l’envie grâce au Commandement : « Tu ne voleras point. » La réalité aujourd’hui est toute autre. Ceux qui affirment que rien ne subsiste des valeurs primordiales oublient de souligner les solidarités qui n’ont jamais fait mentir la générosité de bon nombre. Elle s’est avérée opérante lors de l’envoi d’aide aux sinistrés de la Grenade, d’Haïti, de la Jamaïque et de la côte sous le vent, régions dévastées par les cyclones Yvan et Jeanne. Encore à l’œuvre lors du séisme en Haïti en 2008, et en 2017 quand l’ouragan Maria a ravagé Saint-Martin.

L’égalité entre les sexes a progressé ; il ne suffit plus d’occuper l’extérieur comme avant l’intérieur. La femme de ce nouveau millénaire est en complète rupture avec les générations antérieures, qui ont refusé de lui laisser en héritage une résignation due à une absence de choix. Elles ont œuvré pour que leurs filles accèdent à une condition sociale meilleure dans un monde où la compétition trace une ligne de partage entre les rompus à l’exercice du pouvoir et les nouveaux, occupés à fourbir leurs premières armes.

La mutation s’est opérée d’un seul coup, aidée en cela par les luttes des femmes du monde, dont elles ont tiré partie, adoptant ces pensées novatrices et se délestant des principes de la tradition comme un fardeau trop lourd, en ouvrant les bras au modernisme : prompt franchissement que l’homme n’a pas vu arriver et qui a ébranlé ses fondements. Il aurait peut-être préféré suivre la progression de cette transformation afin de s’y adapter, à défaut d’envisager de mettre en place des stratégies capables de lui conserver une certaine hégémonie. Dans l’imaginaire féminin il n’est plus l’ennemi désigné des ancêtres en robe « rivière salée ». Un ennemi se combat quand il n’est pas surveillé en permanence. Lui reste alors à se faire une pIace, celle qu’il estime être la sienne et à s’y maintenir.

Il serait préférable d’opter pour une harmonie plus grande plutôt que pour un rapport de force où personne n’a rien à gagner. Certes, le changement qui somme toute est légitime, arrive à générer de la crainte mais si à cette parole : « Si tu changes, je crains », il était possible d’ajouter « Alors pourquoi ne pas changer ensemble ! », la réconciliation plus que la logique d’opposition devrait permettre la résolution des problèmes actuels et futurs.

Il faudrait innover en refusant la priorité aux besoins économiques et au pouvoir d’achat, en se donnant peut-être la possibilité de vivre plus lentement et instituer des relations humaines chaleureuses véritables. L’enfant devrait rester au centre des actions. Nous savons que ses premiers modèles sont ses parents. Quels exemples ont-ils à donner à ceux qui en quête d’admiration d’un adulte ne citent que les « vus à la télé, entendus à la radio », se raccrochant à une image positive qui fait défaut au moment de l’adolescence. Plus tard celui qui dira : « Ma mère est admirable, comme toujours, elle assume en toute circonstance », est père à son tour, capable de dépasser le caractère entier du jeune âge dont l’attente se borne à se trouver des héros. Le dialogue instauré entre ses mère et père, favorisera son aptitude à communiquer et à accorder sa confiance surtout quand l’autorité parentale est partagée.

La femme et l’homme ont dans un respect mutuel le devoir de reconnaître leur identité et de la préserver. D’une façon générale, l’inquiétude de l’un et de l’autre se nourrit du sentiment de ne pas comprendre cette évolution, surtout si chacun est persuadé de sa vérité. L’objectif à atteindre devrait placer l’enfant au centre des préoccupations sans omettre de se poser la question d’une construction d’un environnement cohérent c’est à dire d’un choix de société à la mesure des besoins réels. Ces perspectives tendraient à :

  • Construire une famille stable
  • Donner à l’enfant un modèle de référence
  • Mettre en place une société porteuse d’un ou de projets capables de mobiliser les individus et le peuple.

La femme et l’homme savent qu’il suffirait pour instaurer un rapport de confiance de se dire réciproquement ses besoins, ses attentes et ses espoirs dans un climat serein. Mais c’est faire preuve de beaucoup de pédagogie et de vertu.

Fait à Saint-Claude le 8 mars 2020

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