Les grands-parents

Publié dans Le Progrès social n°2687 du 18/10/2008

La famille a toujours été une valeur sûre, une valeur-refuge. En cas de désespérance, même quand les fâcheries ont déposé une pellicule de ternissure sur les relations affectives, l’entraide et le soutien sont d’un grand réconfort.

La mère en premier lieu reçoit les confidences  en partage ou non avec le père. Elle en parle à la grand-mère aux conseils éclairants. L’intimité du groupe accorde à la filiation une légitimité agie à partir de la branche maternelle. Pourtant, toute personne a deux ascendants issus eux-mêmes de parents porteurs d’une lignée. La lignée de la mère est centrale à partir de la certitude de l’organe utérin pourvoyeur de vie.

La paternité est probable. Le doute qui s’enroule autour du père se perçoit  aussi aujourd’hui dans des sociétés à connotation patrilinéaire : le test ADN ébranle les croyances en la fidélité des épouses. Les enfants naissent d’une femme et d’un homme. La constitution du couple, sa diversité, va régir les rapports entre enfant et grands-parents.

La grand-mère maternelle est souvent plus proche, puisque dès les premiers mois de grossesse, elle accompagne en suggérant la conduite à tenir dans des situations imprévues. Son expérience est utilisée en guise de prévention. Le premier né bénéficie de sa présence sécurisante et plus tard elle le garde afin que le couple sorte sans avoir à déranger les habitudes de sommeil du nourrisson. La grand-mère filet ou parapluie est un idéal de bonne mère. Elle est à l’œuvre dans les familles ou l’enfant est adopté. Aucun lien de sang ne justifie l’attachement, aucune obligation d’investissement et de continuité d’un projet ne déterminent ce comportement. Et pourtant les grands-parents  sont solidaires des parents adoptifs de manière plus prononcée. Cette forme d’alliance s’appuie sur le raisonnement ou le constat de l’altruisme.

L’adoption s’aperçoit comme un désir réfléchi de donner de l’amour et de pourvoir au bonheur d’un être qui est confondu dans un groupe à l’orphelinat. Les parents adoptifs le sortent de l’anonymat en l’individualisant. Quand bien même leur logique reste simpliste, les grands-parents adoptifs ne perçoivent que la bonne action en direction de l’enfant. Ils acquiescent à une reconstruction affective et y participent activement d’autant plus que l’âge avancé temporise les ardeurs des déplacements lointains.

Les parents adoptifs ont en moyenne plus de trente cinq ans. L’abandon du projet familial, les descendants sont porteurs du désir non réalisé des lignées, ils sont aussi les héritiers de leurs souffrances, permet plus d’aisance dans les échanges. Pas de signes à rechercher, de ressemblance avec qui que ce soit,  surtout de la belle-mère aux questions embarrassantes sur l’auteur de l’infertilité. L’absence de progéniture est endossée par la stérilité féminine, dans un silence qui n’est pas un mensonge. L’association fertilité/virilité perdure dans l’imaginaire.

Les liens se tissent sur la base d’un sauvetage à réaliser, comme héritage de la bonté transmise. Les attentes ne sont pas en inflation dans la mesure où l’ignorance de l’origine n’autorise pas de pronostics. Les frasques feront l’objet de tolérance. Les performances seront le résultat de l’excellente condition de vie : une palme à accrocher au mur du bienfait.

Les grands-mères adoptives ont un regard autre que celui qu’elles portent sur l’enfant de la famille recomposée. Autorisé par un des parents, il se conduit comme un ayant droit dans une maison où il n’est pas forcément apprécié. Il arrive sans être inclus dans un programme longuement préparé dont la réalisation est une somme d’attentes aiguisant le désir. L’enfant adopté ne provient ni de l’un ni de l’autre : il correspond à un choix du couple autour duquel se noue la complicité parentale. A l’heure où gronde la révolte adolescente, la grand-mère adoptive maternelle érige une médiation allant jusqu’à héberger son petit enfant le temps du calme revenu. L’accueil régulier aux vacances, les récompenses pour bonne conduite, la narration de l’histoire familiale renforcent les liens à l’épreuve des gènes et de l’hérédité.

La famille élargie ( trois générations sous le même toit) est en voie de complète disparition. La grand-mère maternelle y avait tout pouvoir. Elle régissait la maisonnée et les décisions passaient par elle. L’homme y était inexistant. Le foyer monoparental, de par sa construction, a généré certaines attitudes, qui sont visibles encore de nos jours. La jeune mère à la recherche d’un emploi, confiait son bébé temporairement à sa  génitrice qui ne travaillait pas à l’extérieur.

Nombre d’enfants ont été élevés par leur grand-mère jusqu’à l’apprentissage d’un métier ou à la cérémonie du mariage. Le départ à l’étranger, les difficultés d’adaptation, la formation d’un couple, confortaient l’idée du maintien dans le lieu d’origine, dans un environnement sécurisant, d’une progéniture dont la présence n’était pas souhaitable. La rencontre inévitable mettait face à face deux personnes qui ne se connaissaient pas. Lorsque le couple formé se construisait une famille, l’arrivant n’avait pas de place assignable. Des arrivées ont tourné au drame parfois mortel, faisant exploser un édifice fragile, mettant la grand-mère incrédule en émoi. La campagne ne résonnerait plus des cris de l’enfance joyeuse. Souvent elle ne réclamait pas d’allocation se contentant de quelques deniers personnels.

L’intervention de la grand-mère paternelle n’était requise qu’en cas de défection de la première. Elle servait à attirer l’attention du géniteur sur une difficulté à garder, à élever seule, un nourrisson non reconnu. A vouloir aussi évincer une rivale. Le fils dépassé par une garde non préparée, confie volontiers à sa mère, durant les vacances, sa descendance à découvrir. La réciprocité des services rendus a ses exigences.

Le couple normé dont l’éducation diffère de celle des parents s’abstient de laisser les réprobations tourmenter la maison familiale. De passage au déjeuner dominical, les visites s’écourtent à la grande joie des petits et des adolescents que ni les menus, ni le rappel du savoir-vivre n’enchantent. La désertion de ces endroits jugés trop sévères plonge dans la solitude des aînés atteints de plus en plus de troubles affectifs.

La privation de grands-parents dépositaires de la mémoire, ne nourrit pas l’imaginaire infantile, obligée de s’aligner sur les histoires des autres. Comme les adultes bombardés par les fantasmes venus d’ailleurs dont les rêves ne sont que la projection de ceux d’autrui. La vieillesse en institution n’est caressée par aucun regard de petits enfants. Ce qui fait murmurer : « Les vieux n’aiment pas les vieux, les jeunes n’aiment pas les vieux. »

Certains soupçonnent d’intéressement les aidants spontanés pour les courses. Pas de ruine visible, mais de petites sommes : un paiement de services en quelque sorte. Il n’est pas aisé de tracer une typologie de grands-parents. Mais un fait est certain : la qualité de la relation avec les petits enfants subit une inclinaison.

Cependant, selon l’âge, la classe sociale, les habitudes de vie, le lieu de résidence, les attentes ne sont pas identiques. La mamie gâteau, fond de casserole de confiture subsiste pour quelques-uns. Elle s’est transformée en panthère grise par ailleurs friande de croisières et de voyage, fréquentant les cours de danse de salon, ou les clubs du troisième âge. Loin de ces nuits à garder, les oreilles en alerte, un bébé enrhumé, elle rêve d’arpenter le podium du concours de la plus belle : donc un teint à entretenir. Encore jeune et séduisante elle veut vivre le plaisir du temps qui lui reste. Qui donc ose appeler grand-mère une dame aux rides estompées, aux lèvres pulpeuses de silicone, capable encore de séduire et d’attirer le regard ?

Une petite fille a chuchoté : « Ma mamie c’est important, je l’aime même si elle est vieille et je crois qu’elle m’aime aussi. »

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