Dans certaines cultures les femmes et les hommes ont porté en guise de vêtement des robes et des jupes. Avec le temps, seuls les évènements festifs ont sorti des armoires ce qui était un quotidien pour le masculin, tel le kilt écossais. En Europe, la séparation des catégories, semblable à la couleur rose ou bleue, avait établi des règles vestimentaires qui symbolisent l’histoire des femmes. La religion est la première à poser un diktat sur le port du pantalon. La bible, stipule que les femmes ne doivent pas s’habiller comme les hommes. Le prêtre pouvait refuser la communion à la provocatrice supposée. La loi de 1800 prend le relais et pèse de tout son poids sur l’interdit. Seules les transgressives à l’image de Georges Sand ont bravé le juridique bien avant l’abrogation de 2013. Car ce n’est qu’en 2013 que la loi fut abrogée.
A quoi correspond la catégorisation de l’habit ? A conserver une masculinité qui représente la puissance et le pouvoir. La crainte de perdre ces deux éléments de domination a contraint le corps féminin à se soumettre à l’ordre établi. Le pantalon était un critère de hiérarchisation des pouvoirs. L’intérieur et l’extérieur synonyme de liberté sont contraires. La division des tâches, la prépondérance de la place occupée, n’étaient pas énoncé clairement mais cantonnaient la femme à un unique rôle celui de mère. Gardienne du foyer elle devait le rester et s’enfermer dans la représentation dévolue à son sexe. L’expression porter la culotte souligne la volonté du maintien de la suprématie masculine. L’homme doit être au gouvernail sans concurrence aucune, porteur des valeurs d’une société qui le hisse au premier plan des rouages économiques.
Le confort vestimentaire démontre une préférence accordée à un sexe. Alors que corset, jupons, cerceau empêtraient la femme dans une limitation de mouvements, l’obligeant à adopter des postures adaptées, l’aisance était le fait d’une simplicité mâle. La jupe arrivait à la cheville qu’il fallait éviter de montrer au risque de paraître vulgaire. La gorge avec les hauts à balconnets se livrait aux regards naturellement. Le permis décidait de l’érotisation d’une partie du corps en accord avec une époque révolue. Aujourd’hui c’est la totalité du corps qui est érotisée. La pruderie affichée qui imposait la jupe offrait la possibilité de voir se qui se passait en dessous, ouvrant un accès au sexe de la femme par le regard. La montée des escaliers avec des jupons amidonnés ou à cerceau, dévoilait les sous-vêtements portés à partir du XXème siècle en France. Excitation cachée, prohibée, la réforme de la garde-robe raccourcissant la jupe en 1925, l’autorisait jusqu’à accuser la mini-jupe des années 1960 d’être responsable de passages à l’acte. Les collégiennes renoncent à la jupe en 2000 parce qu’elle est signe de disponibilité sexuelle dit-on. L’évocation de la putain touche les sensibilités, suscite le mépris, gommant la féminité qui ne serait que provocation.
Doit-on oublier d’être une femme ? Le mouvement Ni putes, ni soumises revendique le port de la jupe comme un droit inaliénable. La journée de la jupe et du respect initiée en 2006 met l’accent sur la volonté d’une égalité entre les sexes. L’éducation nationale n’est pas dénuée de sexisme retrouvé dans les règlements scolaires. Tenue correcte exigée est une manière détournée de séparer les groupes, de pénaliser une catégorie, quand les filles se voient refuser l’entrée de l’établissement pour la simple raison que leur tenue pourrait exciter les garçons. Short court ou pantalon dévoilant le slip ne sont pas passibles de telle mesure. Ne serait-il pas préférable d’éduquer les garçons au lieu de pénaliser les filles leur faisant porter le fardeau de la responsabilité d’une absence de maitrise des pulsions ? Interroger à ce sujet l’ex-ministre de l’Education Nationale a répondu avec une grande neutralité : « Il suffit de s’habiller normalement ; »
Peut-on de nos jours s’habiller à sa guise ? Les hôtesses de l’air en 2005 ont obtenu l’autorisation de porter le pantalon et de ranger les jupes crayon au placard. Cependant l’article L.120.2 du droit du travail stipule que l’employeur s’il justifie ses raisons peut imposer le port de la jupe à ses employées. Par exemple les vendeuses représentation oblige, pour le marketing de l’entreprise, peuvent être contraintes à un uniforme. Des écoles privées exigent la jupe plissée. Jusqu’en 1980, les députées de l’Assemblée nationale n’étaient pas admises en pantalon. Chantal Leblanc, députée communiste, refoulée, proteste contre la mesure et obtient gain de cause. Obtenu par des luttes et des revendications, le droit de porter la jupe ou le pantalon est une affaire de femmes désireuse d’être libres et de mettre un terme à la discrimination.
Des couturiers ont volé à leur secours. Par exemple Yves St Laurent a inclus dans un défilé le smoking pour femme, d’autres ont suivi. Phénomène de mode et de mise en valeur de la féminité, les robes ont occupé tout l’espace reléguant aux oubliettes la possibilité d’un choix. Beauté rime avec vêtement féminin, transparence, sensualité, érotisation du corps et volupté. Femme pour le plaisir avant tout, privilège d’être désirée, enfermée dans un cadre formel. La mode no gender appelée couramment unisexe a participé à la chute des barrières vestimentaires dans une volonté d’indifférenciation. L’objectif a été de faire en sorte que les couples se vêtent de la même manière, affichant leur cohabitation en public, signe de bonne entente dans le partage du goût. Comme lui ou comme elle, ils s’étiquettent semblables, loin de tout préjugé, faisant part au monde d’une égalité des sexes.
Aujourd’hui la femme s’est libérée de l’identité des genres puisqu’elle occupe les mêmes espaces que les hommes. Mais cela signifie t’il que les problèmes aient disparu ? Quelques-unes portent le pantalon sur leur lieu de travail pour échapper aux commentaires, gloussements ou remarques de leurs collègues. Au collège ou au lycée, elles sont en butte à ces mêmes manifestations, elles parlent d’agressions sexistes. La réponse donnée en cas de dénonciation est l’opprobre jetée sur la façon de se vêtir. Jetées en pâture, il leur est reproché d’avoir inciter au viol par leur indécence. L’agresseur accuse le comportement séducteur de la victime responsable de sa violence. Les idées reçues ont la vie dure.
Les garçons du lycée Gerville Réache ont mis la jupe par solidarité avec cette mouvance des filles porteuses d’égalité. Ensemble ils ont par groupes rassemblé des idées, les ont restitués, ont débattu, prouvant une capacité à travailler ensemble, chaque groupe écoutant l’autre. Ils ont évoqué le sexisme en le blâmant avec des propos d’une telle lucidité qui devrait être entendu par les hommes dans la vie active. La génération nouvelle semble consciente que la domination est une peur de perdre la face, d’être dépossédé de ce leurre qu’est la masculinité, et de devoir s’accommoder d’un partage de l’espace. La violence et le harcèlement en filigrane de la parole étaient présents, relégués au second plan puisque l’objet de la rencontre : le port de la jupe devait faire débat. La question posée par un groupe : « quelle est votre réaction quand vous voyez une femme en jupe » suivie de « conseillerez-vous à votre sœur de porter une jupe » onteu des réponses très pertinentes et d’une grande tolérance. Les échanges ont pris fin sur l’obligation de respect. Des hommes revendiquent de pouvoir porter une jupe afin de varier les plaisirs, à la conquête de libertés nouvelles, mais surtout pour une érotisation du corps, une mise en valeur en le livrant aux regards.
L’école est un lieu d’apprentissage, mais aussi un lieu où pourraient se forger les identités. Le débat nourrit la réflexion et débouche sur une ouverture à l‘autre mis à mal par les réseaux sociaux.
Fait à Saint-Claude le 22 mai 2022