Mi-carême 2022

La mi-carême est une pause d’un jour qui autorise les croyants à déroger aux règles strictes d’une période chrétienne de privation, de jeûne et d’abstinence, alimentaire et sexuelle, dont la durée est de quarante jours. Le carême commence le lendemain du mardi-Gras, le mercredi des Cendres et ce pendant cinq dimanches. Lors de la messe, les cendres sur le front des fidèles, traçage d’une croix, par le prêtre, est porteur de multiples symboles. Il exprime l’appel à la pénitence, à la conversion, le rappel à l’image de la pauvreté. Signe de miséricorde Dieu, il évoque la symbolique de la mort.

Le sens du jeûne

 Ce temps de prières sous-tend le jeûne comme élément important pour le croyant, en relation directe avec sa foi. Par identification à son chef spirituel Jésus, il ne cédera pas à la tentation du diable et du pêché. Après son baptême, ce dernier s’était retiré dans le désert pour un jeûne de quarante jours. Le diable en a profité pour le tenter à plusieurs reprises. La tentation du christ dans son imitation renvoie aux limites, au sacrifice et à la renonciation. L’Eglise l’a institué, au départ, le mercredi des cendres et le vendredi saint. Mais par extension, les croyants mangent maigre tous les vendredis de carême. La suppression de la viande a une origine. Elle était consommée les jours de fête, son coût était élevé et s’en priver consistait à s’éloigner du péché de gourmandise, à se détacher des plaisirs terrestres.

Dans un monde où la société de consommation est incitatrice à de multiples achats alimentaires, celui qui durant quarante jours mange maigre, a le sentiment d’entretenir des liens forts avec sa religion. Il y a-t-il une diminution dans la population de la pratique du jeûne ? Les végétariens, les végétaliens ne mangent pas de viande ou occasionnellement, les flexitariens, pour des raisons idéologiques ou en lien avec la cause de la souffrance animale, se préoccupent peu des privations de cette période. Les plus âgés qui continuent à l’instaurer dans le faitout essayent parfois en vain d’obtenir l’adhésion des adolescents sur un autre tableau, celui de la fréquence des jeux informatisés. Car jeûner s’est avant tout se priver de plaisir en résistant à la tentation, il n’est pas seulement purification physique mais retour à l’essentiel. S’associer à la souffrance de Jésus mort sur la croix, s’est se concentrer sur la vraie nourriture qui doit être avant tout spirituelle. « Il est des démons que l’on ne peut chasser que par le jeûne et par la prière. » Evangile de Mathieu 17,21 Le recentrage sur le spirituel reste une manière d’être au monde du croyant et de sa force de conviction. 

Carnaval et carême

Le carême met l’accent sur la pénitence obligatoire des libations, des débridements des corps exhibés aux yeux de tous pendant le carnaval. La purification viendrait là rétablir l’ordre moral, c’est-à-dire religieux, des actes réprouvés, soumis à l’influence du démon. Tromper son mari comme en Guyane les touloulous, se déguiser en femme, sont bannis de la foi chrétienne qui n’acceptent pas l’institution du désordre et de la résistance. Carnaval est aussi résistance dans l’histoire de la constitution des peuples. Il est la marque du pouvoir populaire dont les nantis n’avaient pas accès.

Mettre bas les masques lors des bals carnavalesques, à minuit, avaient pour but de chasser du lieu les intrus/nantis qui désiraient se mêler à la populace. A remarquer l’association peuple et libertinage. A telle enseigne que l’imaginaire a longtemps entretenu l’idée d’un taux de natalité augmenté neuf mois après le carnaval. Une recherche en ce sens a permis la déconstruction de la rumeur. La croyance de l’existence permanente du diable tentateur avait inspiré la chanson dont les paroles : « Toutt ti diab dewo » ravive la mémoire des sceptiques. Purification, abstinence, pénitence sont donc nécessaires à l’avènement du bwa bwa vaval qui renaît de ses cendres tel le phénix, signant là une immortalité refusée à l’humain et que le prêtre souligne avec les cendres sur le front en murmurant : « Homme souviens toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière » Genèse 3,19. 

Croyances et carême

Les démons du carnaval conservent une place de choix dans les croyances. La tentation du christ, par analogie, va accroître la crainte de céder aux impulsions du diable et de ses infernaux qui pourraient faire perdre le contrôle aux humains d’autant plus que les prières en baisse ne jugulent pas les mauvais instincts. La charge maléfique est au maximum et d’aucuns voit une augmentation des pratiques maléfiques et leurs signes dans les carrefours, dans les agressions, -hier des personnes ont été tué par balles lors d’un anniversaire-, dans la gravité des accidents de la route. Le diabolique s’empare du réel de toute explication, et l’exhortation à rester au calme, à ne pas battre les tambours, à se priver de sorties festives et de boite de nuit démontrent le grand danger de cette quarantaine. Une vidéo d’un homme jeune adressée à ses colistiers, dit combien ce carême est rêd. Cela signifie que les démons aiment le sang versé dont la symbolique se retrouve dans toutes les cultures (cf la cathédrale Saint Sauveur sur le sang versé à Saint Pétersbourg en Russie.)

L’empreinte maléfique est sujet à réparation. Dans la bible le sang d’Abel versé par son frère Caïn, crie vers Dieu pour réclamer vengeance. Le sang est associé à un symbolisme très riche qui évoque un réseau complexe de relations entre la vie et la mort. Trop d’excès est censuré par une perte humaine. Les esprits aiment le sang affirme-t-on. Ainsi donc le sang versé serait l’unique punition pour le non-respect de l’observance des règles de cette période de restrictions. Le sang versé serait aussi le rachat d’une faute commise, un sang innocent sacrificiel ? Les personnes de tous âges s’accrochent à ladite croyance et citent des exemples en datant les faits.

L’affirmation du carême rêd est une mise en garde, un conseil de prudence, une annonce préventive des accidents de la route. Il est porteur d’un message d’amitié qui dit dans un langage simple et indirect restez en vie ne tentez pas le diable. La transmission est assurée. L’explication demandée à un échantillon de personnes de tous âges, à propos de la dangerosité de la période du carême ne donne pas de réponse satisfaisante. Le comportement est identique à celui de ne pas rouler en voiture sur un coq pattes liées dans un trois chemins. Sans savoir pourquoi, il vaut mieux l’éviter. La croyance est un support auquel s’accroche l’humain. Il serait vain de vouloir la rationnaliser. La présence tentatrice du diable alliée à la méchanceté d’autrui et de ses mauvais penchants, demeure vivace dans la psyché.

Le rôle de la mi-carême

La séparation des quarante jours en deux séquences de vingt jours proposés par la religion, a une double cause. La première, économique, reliant jeûne et consommation d’œufs. La fraîcheur du produit ne pouvant excéder vingt jours, il fallait le vendre et le consommer avant la date de péremption. La religion a volé au secours de l’économique. La seconde, mentale, les personnes risquaient de surseoir à la privation de trop longue durée. Une pause, un allègement autorisaient le respect des règles. Une journée carnavalesque instituait la coupure avec la monotonie des jours maigres. On avait compris la nécessité de cette soupape de sécurité. Une soupape de sécurité est un dispositif permettant de contenir les surtensions, il a comme objectif de réguler les passages à l’acte, de créer une voie de dégagement garant de la paix sociale.

Le carnaval remplit pleinement cette fonction et la mi-carême est à l’identique un contenant. La décision préfectorale d’interdire les manifestations carnavalesques de la mi-carême, annoncée le mardi 23 mars, quarante-huit heures avant les festivités, précise que la hausse des contaminations, a déterminé cet arrêté. Suit la claire menace de retarder la fin de l’urgence sanitaire si des mesures telles l’absence de distanciation, le non-port du masque, le non-respect du couvre-feu étaient constatés. Cette requête s’adresse à la population et aux groupes carnavalesques. La réponse de VOUKOUM et de AKIYO a souligné les incohérences des affirmations : les hospitalisions étaient en baisse et le taux d’incidence aussi. La mi-carême a rempli les rues de carnavaliers et de spectateurs. La soupape de sécurité a joué son rôle de contention des tensions en ces temps de stress et de désespérance générés par une situation qui perdure sans espoir d’une sortie de pandémie.

Les contaminations sont en hausse partout dans le monde et la Guadeloupe fait partie du monde. Il serait souhaitable de réfléchir aux moyens capables d’améliorer une situation économique catastrophique, augmentée par les pertes d’emploi, afin d’assurer le bien-être de tous, au lieu de menacer et de punir. Arrêter le fossé qui se creuse de plus en plus entre les décideurs politiques et la population, recréer la confiance, devraient être des priorités. 

Fait à Saint-Claude le 26 mars 2022

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