Bwa galba : la parole d’anciens prisonniers

Bwa galba est une série documentaire qui traite des faits de société propices à susciter des débats. Avec neutralité, les thèmes abordés sont construits de façon que chacun puisse donner un avis, porte ouverte sur la réflexion individuelle et collective. Le réalisateur Dimitri Zandronis dont on connaît l’acuité du regard doublé d’une grande sensibilité, a évité le piège de l’orientation rigoriste, tout en favorisant l’accès à tous les possibles. L’objectif poursuivi est de mettre la caméra au service de la compréhension des phénomènes culturels, sociologiques, psychiques sans volonté de souligner les distorsions d’un système.

L’œil de la réalisation est dévoilement, jamais juge, éloigné des effets de seuil ou de stigmatisation ou de surenchère, il matérialise la nécessité de présenter une photographie d’un peuple en quête de lui-même. Le thème de la misère sociale par exemple, ne véhiculait aucune note de misérabilisme, de plainte, de mise en accusation, ni dénonciation, il rappelait l’existence de démunis, mais qui engageaient une lutte pour combattre l’adversité et trouver des solutions pour sortir de l’impasse. Les violences conjugales montrent un faisceau de critères qui s’agrègent et se combinent en variant au gré des circonstances, et l’aide soutenue par la croyance religieuse dans un témoignage simple, digne. Démonstration est faite d’une ouverture totale sur le monde tel qu’il est dans lequel les personnes accèdent à leur manière à l’idée qu’elles se font du bonheur et du bien-être. Le message d’espoir ne manque pas à l’appel, il est tout le temps intégré à bwa galba, même s’il n’est pas explicitement inscrit au frontispice de la chose montrée. Le réalisme est le mot exact qui correspond à ce qui est donné à voir le premier et le troisième jeudi du mois.

Un peuple qui ne s’exprime pas, pour de multiples raisons, se musèle, oublieux du « Qui ne dit mot consent. » Les trois statuts de singes, symbole d’origine asiatique : mains sur les yeux, ne pas voir le mal, mains sur la bouche : ne pas dire le mal, mains sur les oreilles, ne pas entendre le mal, est une représentation issue d’une culture et d’une période donnée. La sagesse ne justifie pas ce désir farouche de ne se mêler d’aucune situation préjudiciable à autrui, de conserver sa sérénité envers et contre tout, de s’obstiner à croire que le monde est bon, sans rugosités. C’est alors se vautrer dans l’idéalité qui repose sur une logique de sa propre perfection. Des gens parfaits dans un monde parfait. Les humains hissés au stade des dieux.

 Le dernier numéro de cette série documentaire mérite de porter réflexion à propos des paroles d’anciens prisonniers, essentiellement des hommes : les filles abordent rarement leurs difficultés à visage découvert, on l’a vu dans le numéro traitant de la sexualité des jeunes. L’item concernant les dispositifs institutionnels de la réinsertion mérite qu’on s’y attarde, il est central.

Insertion et réinsertion du détenu

L’information concernant la vie en prison a été l’objet d’une réelle déconstruction de la croyance en une vie agréable, sinécure gratuite, véhiculée par des personnes voulant banaliser l’incarcération. Gommer la pénibilité de ce temps d’enfermement serait comme vouloir crier à l’extérieur que la sanction n’a pas eu l’effet escompté, à l’instar de l’enfant battu qui regarde sans un pleur ni une plainte l’adulte qui lui donne des coups de ceinture. Le but n’est pas atteint, l’acte perd de sa valeur. La bravade s’utilise pour faire démonstration d’un courage à toute épreuve. Chalo lajôle i ka bwê i ka manjé, chalo lajôle i ka gadé telévizion » La réalité est autre affirment ceux qui devant la caméra disent la solitude, la désespérance parfois. Les chiffres rendent compte de la distribution de médicaments dans les centres de détention. Ce sont des tranquillisants, des hypnotiques, des somnifères, des anxiolytiques, des neuroleptiques sédatifs et des antiépileptiques. Cependant les antidépresseurs sont relégués au second plan malgré la fréquence des réactions dépressives et des troubles du comportement. La mort hante souvent sont qui sont enfermés.

La société guadeloupéenne utilise rarement de tels produits pour tromper l’angoisse de la nuit. Tenir jusqu’à la sortie suppose la mise en œuvre de l’imaginaire, l’élaboration fantasmatique et la projection dans l’avenir. La prison est la duplication de la société en plus féroce ; l’alcool, les substances psychoactives font partie des trafics ignorés de la direction pénitentiaire. Ils remplissent une fonction : le maintien de la paix dans l’enceinte du bâtiment. Le téléphone portable devrait en principe être interdit. Mais le contrôle du détenu sur sa compagne reste une énigme.

Entre dénégation, interdit et permis, l’univers carcéral revêt un habit de mystère. La place d’un adolescent n’est pas en prison. Mais l’absence d’infrastructure capable de prendre en charge et de socialiser délinquants et meurtriers, autorise leur temps de peine, par le passage à Baie-Mahault où la formation ne fait pas partie de la vacuité de leurs jours. Quand on sait que la majorité des jeunes incarcérés a un niveau scolaire très bas, l’opportunité de leur apporter quelques connaissances permettant leur réinsertion dans le monde d’après, devrait être saisie. Ce manque évoqué par un ancien détenu pose la question du principe d’indifférence envers les nombreuses récidives qui ont pour socle la difficulté à s’orienter vers un emploi, doublé de la méfiance envers ceux qui reviennent de prison.

La formation à l’intérieur aurait un double objectif : celui d’une activité saine et favorisant le repos nocturne, celui d’une reconnaissance de l’humanité de l’être, une socialisation en quelque sorte, une reviviscence. Elle servirait aussi de tremplin à une assurance plus marquée permettant d’aborder la vie extérieure. Un double volet, intérieur, extérieur où la discrimination, le sceau de l’infâmie décide du retour dans le lieu d’isolement. Lorsque l’Etat se targue de faire en sorte que la sanction ne soit pas vaine, il y a un écart entre les idéaux proclamés et les pratiques réelles. Les mots ne sont pas des actions mais des projets en trompe l’œil qui fécondent l’ambigüité, le flou comme dans la mise en place de la prise en charge des délinquants sexuels en prison. Cela ne fonctionne pas. L’insertion demeure encore aujourd’hui un échec par manque de programme, de coordination et probablement de moyens. Le lien intérieur/extérieur devrait s‘appuyer sur du personnel spécialisé, accompagnant la recherche de subsistances, à la manière de mise en place de stagiaire. 

Les acteurs de l’accompagnement

On ne peut compter que sur soi-même. La réinsertion spontanée s’est édifiée pour venir en aide à ceux qui ne voient pas le bout du tunnel. Associations, sans moyens financiers, elles ont fondé un premier élément d’entraide au sein des quartiers difficiles. Leurs actions doivent être réinventées en fonction du sujet accueilli, de sa non-demande parfois. Le groupe qui n’a même pas à disposition une maison de quartier ; il expérimente sa démarche en l’évaluant sous l’angle de la positivité ou de l’échec. Il est à remarquer que le groupe forge et protège les individus qui le construit. Tous d’anciens détenus sauf un, coach sportif incitant à prendre conscience de son corps, à travers une réalité physique, expriment avec des mots le plus important : le groupe materne, légitime les croyances et crée des réseaux d’affiliation dans lesquels on s’identifie en prenant conscience de soi et des autres.

Puissant médiateur de transformation sociale et culturelle, il établit aussi des règles, des identifications, réalisant qu’un possible peut advenir puisque le référent a vécu une situation similaire et a réussi à orienter sa vie différemment. Facteur transcendant qui attire et à qui on donne valeur de vérité. La reconstruction est amorcée sans connaissances particulières d‘un savoir-faire légal. Exemple à suivre pour des experts dont la légitimité favoriserait la connexion avec le monde de l’intégration et l’établissement de réseaux d’accueil avec des propositions d’emploi justifiant les conditions de sortie de l’institution carcérale.

Il manquait dans le paysage télévisuel une émission de cette facture, où la perception de soi des groupes sociaux ne donne lieu à aucun stéréotype, mais au contraire favorise l’homogénéisation d’un peuple, sa prégnance culturelle et la reconnaissance de l’autre en soi. Le numéro dont le thème a souligné les récidives des détenus, a trouvé une explication dans l’analyse d’anciens prisonniers qui ont eu le courage de s’exprimer à visage découvert, prouvant que leur réinsertion les autorisait à être des citoyens comme les autres.

Vivement le jeudi de bwa galba.

Fait à Saint-Claude le 3 mars 2022

       

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