Parler de la femme antillaise revient à dessiner les contours d’un modèle unique, à ériger une norme valable pour la plus grande partie de la population observée. Ainsi, je ne dirai pas la femme mais les femmes. Elles sont multiples. Ce qui les différencie ?
- La catégorie sociale
- Les conditions de vie
- La région géographique
- L’âge.
La classe d’âge est le premier critère où les modes de penser et d’agir accusent des dissemblances, parce que l’évolution sociale obligée influence les comportements. Le second critère, facteur de différences, la catégorie sociale est liée à la région géographique et aux conditions de vie. Le monde citadin est d’une superficialité plus grande que le monde rural. Le conformisme du style de vie rural, les représentations sociales, obligent à adopter des attitudes qui sont en décalage avec les aspirations, ayant pour conséquence une frustration permanente.
Ce qui lie ces femmes c’est leur ressenti de la place qu’elles ont dans la société (la qualité de l’intégration), la vision d’une dignité revendiquée à travers leur rôle, leur statut, la rencontre avec le masculin.
La condition de femmes est très souvent centrée sur deux images : celle de mère et d’épouse, parce que les luttes de libération et les lois sur la parité et l’égalité ont du mal à modifier cette représentation. Or, si le travail, même avec ses inégalités lui avait fait entrevoir une totale reconnaissance au sein de la vie sociale, en mettant fin à une situation de dépendance financière, le réel et son quotidien allaient rapidement entraîner de grandes désillusions. Les transformations des vieilles peurs telles : ne pas être une bonne mère, une épouse ou une compagne idéale, l’ancre dans une histoire contemporaine, source de nombreux malaises avec le masculin.
Il est nécessaire dès lors d’examiner comment les liens entretenus de part et d’autre ont généré de véritables matrices de pensée qui ont du mal à s’harmoniser et ceci étant, s’exacerbent dans la contestation actuelle du vivre ensemble. Comment en dépit des efforts pour se hisser à un niveau social grâce à des études supérieures et des formations diplômantes, il lui semble que la distribution des statuts au sein de l’entreprise reste en marge de ses préoccupations, sous l’emprise de certains clichés dont on a du mal à se défaire : elle est souvent ignorée dans l’attribution des responsabilités donc de la confiance. C’est ainsi que se constituent des lignes de blessures qui continuent à entretenir sa quête de dignité. « La dignité est le respect, la considération ou les égards que méritent quelqu’un ou quelque chose. La dignité de la personne humaine est le principe selon lequel une personne ne doit jamais être traitée comme un objet, comme un moyen, mais comme une entité intrinsèque. Elle mérite un respect inconditionnel indépendamment de son âge, de son sexe, de son état de santé physique ou mentale, de sa condition sociale, de sa religion ou de son origine ethnique ». La notion de dignité de la personne humaine en droit international a été introduite dans la Déclaration universelle des Droits de l’hommede 1848, qui reconnaît que tous les humains possèdent une dignité inhérente et qu’ils naissent libres et égaux en droits et en dignité ( Art 1er).
Mais la dignité englobe aussi une attitude de respect de soi, inspirée par un désir de respectabilité et traduit le sentiment que la personne a de sa propre valeur, en psychologie c’est l’estime de soi. Honneur et respect disaient les anciens. Ces deux mots ponctuaient les échanges et les rencontres. En général, on réclame ce qui fait défaut, ce qui manque. Honneur et respect ne clôturent plus la fin de la parole : la maxime aurait due être acquise. Il n’en est rien.
Le 8 mars, journée des femmes, est une date désormais incontournable. Elles descendent dans la rue pour
- Rappeler leur existence et leur participation à la construction du monde
- Dire au grand jour qu’elles ont des revendications et qu’elles comptent sur cette présence dans la rue pour les faire avancer (égalité des chances, à travail égal/salaire égal, aménagement de l’emploi afin de concilier vie familiale/vie professionnelle, demander l’application de leurs droits au travail et au logement, insister sur le fait qu’à la violence tolérance zéro).
Mais cette quête des femmes est-elle justifiée ? A interroger le social on remarque que les relations des femmes ne se limitent plus à la famille ou à celles qu’elles pensent entretenir sur leur lieu de travail. Elles s’intègrent au tissu social par leur vie politique, associative ou religieuse. Leur changement d’attitude ou de situation provoque la résistance du corps social surtout dans le domaine politique, lieu d’exercice privilégié du pouvoir.
L’opinion publique accepte maintenant l’idée de voir les femmes exercer des responsabilités politiques. Elles auraient semble t-il plus le sens du concret et des réalités quotidiennes, elles seraient moins portées par une vision théorique ou idéologique, parleraient un langage plus direct et plus compréhensible ; agiraient plus efficacement, hésiteraient moins à bousculer les frontières qui séparent le public et le privé.
Le salaire moyen des hommes dépasse celui des femmes de 27%. Cet écart est du à la différence de qualification des emplois occupés par chaque sexe. Dans la fonction publique les écarts sont moins forts, mais persistent : ils proviennent des différences dans l’avancement des carrières et dans les primes reçues.
Le travail est devenu le facteur majeur de l’insertion des femmes. Le modèle dominant n’est plus celui de l’alternative (travailler ou avoir des enfants), ni celui de l’alternance au cours du temps, mais bien celui du cumul. Pourtant les études sur les congés parentaux, la politique familiale et l’emploi des femmes soulignent les limites du « libre choix ». La division des tâches au sein des couples n’évolue que très lentement. La pression des intéressées pour concilier vie familiale et vie professionnelle, conduira t elle à modifier les habitudes ? Cela impliquerait d’autres modes d’organisation du temps de travail, une autre gestion des ressources humaines et des carrières au sein de l’entreprise. La réponse à ces interrogations infléchira les politiques d’emploi des femmes et d’égalité professionnelle.
La population active féminine ne cesse d’augmenter. Certaines occupent des postes de haut niveau, mais la plupart reste cantonnée dans des emplois peu qualifiés, à temps partiel ou à durée déterminée. La persistance du chômage au féminin (30,8%) contre 21,2% pour les hommes souligne qu’elles ont plus de difficultés à s’insérer dans le marché du travail. En France on a cherché à intégrer les préoccupations de l’emploi des femmes dans les programmes généraux de lutte contre le chômage. Cela a permis de sensibiliser les acteurs sociaux aux problèmes de l’égalité des chances. C’est insuffisant. Faudrait-il encore que la lutte contre l’exclusion soit complétée par une recherche de l’amélioration des conditions de vie des femmes qui travaillent et de la mixité des emplois
La sphère intime
L’émergence des femmes dans la vie sociale et familiale entraîne de nouvelles relations entre les sexes. Certains hommes s’en félicitent et souhaitent que la tendance des femmes à être plus libres et indépendantes et à s’assumer seules, se poursuive. D’autres vivent mal la transformation actuelles des images respectives de l’homme et de la femme et souhaitent que l’on revienne à des valeurs plus familiales. Les qualités dites féminines (intuition, sens pratique, modestie, générosité, pacifisme, douceur) sont de plus en plus valorisées alors que les caractéristiques souvent associées aux hommes (compétition, domination, agressivité) sont dénoncées. Des hommes trouvent qu’il est plus difficile d’être un homme aujourd’hui que la génération de leur père. Ils se sentent de plus en plus mal et sont nombreux dans les consultations psychanalytiques.
La question récurrente des modèles parentaux s’efface en regard à cette violence qui fait irruption dans le paysage médiatique, alors qu’il en constitue la trame. La surexposition médiatique n’a pas forcément apporté plus de lisibilité : il y a lieu de l’expliquer, de la saisir dans ses racines et prolongements, voire de saisir la démarche d’esprit qu’elle présuppose.
Le passé convoqué fournit un éclairage sur les rôles et les statuts de chacun des éléments du couple traditionnel. Des nostalgiques de ce passé sublimé se raidissent à l’affirmation de ces parents aux relations conflictuelles, élevant la voix dans des jactées d’acrimonie, dont la vie était émaillée d’épisodes violents allant parfois jusqu’au drame qu’on évoquait peu. Les moyens d’information n’avaient pas encore cette allure d’immédiateté. Déjà des protestations s’élevaient contre l’assujettissement de cette femme prisonnière du qu’en dira t-on incapable d’assurer sa propre gestion financière indispensable à son plein épanouissement. Quand engagée dans une détermination à prendre des risques, résolument tournée vers l’avenir, sa propre mère/confidente lui disait : « je n’en suis pas morte. Calme le jeu, prends ton mal en patience. La vie de femme c’est aussi le gommage des difficultés. » Mère/courage gardienne de la maison érigée en sanctuaire témoin des sacrifices, implorant le dieu de bonté avec une foi inébranlable, elle continuait à inculquer des valeurs à ses enfants, crispée sur une morale de la contradiction. Sans désaveu d’une violence acceptée, physique, symbolique – ici toutes les strates sociales sont concernées- ce qui change, ce sont les formes qu’elles empruntent, plus insidieuses chez les grands raffinés à la personnalité perverse.
La domination de la femme, culturellement imprimée dans les imaginaires et dans la distribution de rôles – la maison et les tâches domestiques, l’éducation des enfants- conditionnent sa manière d’être au monde. Adepte des Dieux Lares, ces divinités du foyer et de l’âtre, elle ne faisait face qu’à un seul visage de Janus, gardien des seuils, représenté par la porte aux deux visages, l’un intérieur, l’autre extérieur. Passer le seuil pour aller où ?vers quelles réjouissances corruptrices ? Elle la respectable épouse se portant garant d’une moralité qui rejaillissait sur son homme croulant sous les éloges d’un environnement social. Cette description volontairement caricaturale d’un archaïsme lointain, n’est exposée que pour montrer les socles qui ont nourri les comportements d’aujourd’hui et qui contribuent à leur pérennité comme à leurs transformations. L’évacuer des recherches ne suffit pas à en faire disparaître les séquelles. Pour mieux appréhender cette histoire intime des couples et comprendre comment la femme évitait de se faire tuer, il suffit de mettre en lumière les éléments tels :
- L’adaptation à la hiérarchisation des inégalités.
- L’intégration du pouvoir du masculin.
- La grande tolérance à la violence.
- La reconnaissance des signaux du vis-à-vis.
Il était important de survivre à l’intérieur d’un même territoire en attendant une possible émancipation.
Un mari a blessé sa femme. Une femme est morte égorgée, une autre femme est poignardée. La loi des séries teinte de violence les méandres de la pensée. Comment comprendre cette flambée de passage à l’acte à une époque distillant la séduction, la douceur, la tendresse. Ceux-là même qui offrent un présent à la Saint Valentin, s’acharnent avec agressivité sur le corps de désir qui se dérobe. Car il s’agit bien de cela : d’une dérobade non permise donc non acceptée. C’est que l’évolution sociale a prodigieusement accélérée les comportements de la femme. Ces changements d’inversion des principes n’ont pas été perçus par des hommes qui ont conservé les représentations anciennes, cultivant le modèle paternel, alors que la femme a défait en quelques décennies ce que les siècles précédents avaient patiemment construit, entretenu et préservé. Nous sommes en présence d’une rupture du modèle maternel ancien chez la femme et d’une continuité du modèle paternel chez l’homme. Ces transformations ont abouti à un décalage profond entre la rapidité du progrès et la lenteur de son assimilation par la société toute entière. Elles sont à l’origine de la difficulté à vivre à une époque où la civilisation érige de nouvelles bases. Et pourtant elles constituent les fondements d’une nouvelle ère qui commence à se mettre en place. L’aventure affective contemporaine ouvre sur des problématiques, telles les questions de reconnaissance, de la nécessaire redéfinition d’une cohésion sociale face à une intégration chancelante, de la prise en compte des désirs de chacun et de l’acceptation de la différence.
Une femme est violée, une femme est tuée. Il s’agit bien là du balaiement de la dignité, de la chosification de l’être. Le passage à l’acte n’autorise aucune compréhension dans l’agir destructeur. Il n’y à là qu’une décision unique de vie et de mort. Dans la confrontation du couple, c’est l’édification d’un je égal à celui de l’agresseur qui va permettre la bascule dans l’inéluctable. Les mères et les grands-mères savaient reconnaître les signaux précurseurs de malheur et pouvaient se mettre à l’abri. Aujourd’hui la méconnaissance des signes justifiée par des droits et des lois : « ma parole est un droit » face à un violent récidiviste débouche sur le drame. La gorge tranchée ne pourra plus proférée une parole. Le cycle de violence est parfois dans sa forme la plus élaborée. D’abord le dénigrement, puis les insultes, ensuite les passages à l’acte/punition signés par les yeux au beurre noir et les bras gonflés d’ecchymoses. Puis les excuses, les cadeaux enfin la lune de miel. Première acceptation. Une accalmie, la reprise violente du cycle instituant le trouble et la honte. Quelquefois, l’escalade infernale. La répercussion au niveau des enfants génère malaise et reproduction du phénomène inconscient.
Comment faire couple, comment former famille dans la dignité ? Il y a-t-il des solutions pérennes préservant l’intégrité physique et psychique des individus ?
Le deuxième volet de la dignité tient aussi au respect de soi, l’estime de soi. Comment conserver son estime de soi d’un côté comme de l’autre ? Aujourd’hui le mâle doute de ses capacités à être un homme : cela se remarque même dans sa virilité qui est partie intégrante du mécanisme de domination. Il arrive d’entendre sortant des groupes d’hommes une menace en direction d’une femme trop arrogante : « Celle-là je l’aurais prise, je l’aurais fait plier » entendons à coups de rein. Mais de plus en plus le masculin laisse échapper sa désolation d’impuissance sexuelle totale, à telle enseigne que la consultation magique et son remède le massage du sexe commence à rentrer dans les mœurs. Se faire masser la partie intime par un gadé-zafé homme ! Cela ressemble fort à une posture homosexuelle. Face à la peur de la femme nouveau crû, ivre de liberté et de choix, la rupture est ressentie comme un rejet doublé d’une grande dévalorisation narcissique. Les reproches en sa direction sont un déplacement de la dépréciation interne de l’homme. Au début, la relation était aimante, puis elle a été remise en question à la suite d’un préjudice ou d’une déception. Le travail de deuil d’une relation impossible n’est pas fait et toute la libido qui avait été investie est conservée. Le conflit est intériorisé, vécu dans une condamnation de la jouissance qui serait mortifère pour le sujet. Il y a risque de passage à l’acte auto agressif (sur soi) ou sur la femme aimée et haïe à la fois. D’autres comportements sont à l’œuvre dans les violences : l’ambiguïté de la rupture à travers le visiting et les services rendus, la reprise de l’espérance d’un bout de chemin ensemble, puis l’évidence d’un remplaçant de cœur et de corps. L’effondrement de l’espoir, la rage, le sentiment d’une trahison nourrissent la rancœur.
Les solutions à ces débordements se présentent sous des formes multiples. Informer en commençant très tôt dans les écoles à alimenter des débats sur le phénomène de violence, avec l’impérieuse nécessité de faire comprendre l’égale importance de toutes les formes de violences, c’est sensibiliser les filles et les garçons au respect de l’autre. De plus mettre en place des cellules de vigilance dans les lieux de travail contre le harcèlement moral et sexuel, le chantage à la disponibilité. Et enfin humaniser l’accueil des victimes des violences conjugales.
Conclusion
Au temps de la conquête de liberté, succède celui de la poursuite de l’égalité. Cela semble se faire dans la douleur, créant une situation paradoxale : d’un côté la proclamation de droit inaliénables et de l’autre, la tendance à tenir à l’écart les bénéficiaires de ces droits. Le but essentiel d’une pleine égalité de droits pour tous devra être reconnu sans discrimination en qualité de leur être citoyen.
Il ne suffit plus de dénoncer, il importe de resituer les croyances, les aspirations, les réseaux et les héritages.
Le débat autour de l’égalité des chances et sur la notion d’équité soulignent combien ces notions sont au cœur de nos sociétés. Et la réduction aux catégories du bien et du mal, des victimes et des coupables, néglige la complexité du phénomène. A méditer cette phrase :
« Une société n’est pas seulement constituée par la masse des individus qui la composent, par le sol qu’ils occupent, par les choses dont ils se servent, par les mouvements qu’ils accomplissent, mais avant tout par l’idée qu’elle se fait d’elle-même. » – Emile DURKHEIM