Publié dans Le Progrès social n°2611 du 05/05/2007
L’attitude défensive envers autrui transparaît dans le langage, dans l’évitement et semble une banalité acceptée par tous. L’accusation portée contre l’entourage responsable du mal-être et des échecs s’appuie sur l’affirmation d’actes de sorcellerie ayant pour base la jalousie. Ne rien avoir de désirable visible, ni beauté, ni richesse n’empêche pas à l’ennemi déclaré ou soupçonné de contrecarrer le destin. Le mal en position d’extériorité est une donnée culturelle qui régit les relations humaines et fournit un système explicatif aux tourments internes. Hormis ce schéma qui prévaut dans certaines sociétés, les jaloux et les envieux existent en tous lieux et leurs sentiments s’abreuvent à une source commune.
L’envie et la jalousie entretiennent des liens étroits mais différent par certains aspects. « L’envie est le sentiment de colère qu’éprouve un sujet quand il craint qu’un autre ne possède quelque chose de désirable et n’en jouisse. L’impulsion envieuse tend à s’emparer de cet objet ou à l’endommager. » La jalousie se fonde sur l’envie. Mais alors que l’envie implique la relation du sujet à une seule personne et remonte à la toute première relation exclusive avec la mère, la jalousie comporte une relation avec deux personnes au moins et concerne principalement l’amour que le sujet sent comme lui étant dû. Amour qui lui a été ravi ou pourrait l’être par un rival. « La jalousie est le sentiment qu’éprouve l’homme ou la femme d’être privé de la personne aimée par quelqu’un d’autre. » L’envie se nourrit d’avidité, désir impérieux et insatiable, qui prétend obtenir ce qu’on ne peut lui donner et exige même au-delà des besoins. Si l’avidité et l’envie sont inséparables, une variante de taille les différence. L’avidité est interne ( introjectée), l’envie est externe ( projetée.)
La jalousie est communément admise et rationalisée parce qu’elle se retrouve dans toutes les classes sociales, chez les individus de tous âges, autant les femmes que les hommes. L’amour, pense t-on, ne supporte pas d’être partagé sans ardeur et la force du sentiment qui s’exprime avec passion démontre l’attachement. Le sourire accompagne le récit de la surveillance du jaloux, le décrivant comme possessif et étouffant. Un brin de fierté se lit dans les yeux de l’aimée semblant dire : « Il tient à moi, je compte pour lui. » La tolérance envers les actes de violence rarement soumis à une critique constructive ne donne lieu à aucune plainte judiciaire, à aucun certificat médical. Dans la plupart des cas, le crime passionnel se limite à cinq années d’emprisonnement, peine moins lourde que pour un assassinat d’une autre nature. Oter la vie de l’être adoré a pour mobile l’amour et justifie des circonstances atténuantes. Mais si le meurtre d’un rival se fonde sur ce principe identique : tuer par amour, la rivalité avec le père soupçonné et accusé de s’être emparé du sein maternel et de la mère est une évidence. A supprimer définitivement une personne qui se dérobe, à refuser qu’elle établisse un lien amoureux en dehors de soi, démontre la prégnance d’une avidité stimulée par la crainte. Le processus de destruction prend racine chez le jaloux dans ses fantasmes spécifiques d’attaques visant à l’éliminer donc à le tuer psychiquement. L’effondrement narcissique, l’impression d’inutilité, de dévalorisation, accroissent l’épisode dépressif. Celle qui le prive de tout bénéfice amoureux devient mauvaise, haïssable. Entravé par l’angoisse de persécution à cause de ses désirs inassouvis, il se retrouve dans les situations émotionnelles vécues à des stades précoces, ceux de l’enfance. Le souhait de chacun est celui d’une mère bienveillante et toute-puissante capable de protéger contre les souffrances et les maux provenant de l’intérieur et de l’extérieur.
La jalousie draine une attitude revendicatrice à l’égard de la mère qui n’a pas nourri de façon satisfaisante. Car il s’agit bien ici de la relation au sein de la mère, de sa capacité à nourrir l’enfant et de ses conséquences répercutées à l’âge adulte. Le sein nourricier, à défaut le biberon, représente pour le nourrisson quelque chose qui possède tout ce qu’il désire. Il est une source inépuisable de lait et d’amour à sa disposition et pour son entière satisfaction. Quand le sein le prive il donne assise à du ressentiment ; il se met alors à le désirer et à vouloir le détruire à la fois. La frustration accroît l’avidité et l’angoisse de persécution, ouvrant une porte à l’envie. Le sein généreux dans un trop plein de gratification, tout donner, trop donner, suscite aussi l’envie comme si le don ne saurait être qu’inaccessible. Il induit dans ce cas le sentiment indigne d’en tirer bénéfice. Beaucoup d’enfants éprouvent de grandes difficultés à surmonter des griefs de cet ordre : l’excès de frustration et la trop grande indulgence. Une certaine somme de frustrations suivie de gratifications leur permettent de se sentir capables d’affronter les situations d’angoisse. Quand la frustration n’est pas excessive ; elle favorise l’adaptation au monde extérieur et le développement du sens des réalités. L’absence de conflit ( à supposer que cela puisse exister ) les priverait d’un enrichissement indispensable au renforcement de leur personnalité. Le conflit doit porter en lui l’aptitude à négocier, c’est-à-dire à comprendre les raisons du vis-à-vis, afin de mettre en œuvre les moyens inhérents à sa résolution. Le dépassement des conflits génère du plaisir. La possibilité d’éprouver du plaisir quelle qu’en soit la source repose sur la capacité de jouir de la toute première relation au sein maternel.
L’envie est une réactivation des sentiments primitifs de destruction. Le degré et l’intensité de ces sentiments sont soumis à des variations individuelles. Nul doute que la frustration et les circonstances difficiles n’éveillent l’envie et la haine au cours de la vie de chacun, mais la manière de les affronter dénote la prégnance d’une volonté d’omnipotence. Le besoin de destruction des biens s’observe dans toutes les formes de délinquance. Abîmer, dégrader, détériorer, sont des manières de dépouiller l’autre de ce qu’il possède. De même que celui, qui après une mise en valeur de l’objet de son admiration, personne adulée, idéalisée, la rapetisse. Après avoir tirer partie de ses capacités, sa défense contre l’envie, l’entraînera dans une procédure de destruction. D’une part il tentera de la ravaler à la plus simple expression, jusqu’à ce que rien de bon ne subsiste, d’autre part il projettera sur elle son attitude hostile et envieuse. Le choix d’une autre personne de remplacement, ne pourra satisfaire son désir de dépréciation.
L’avidité intense sert de socle à l’ambitieux excessif. Avide de succès, il est incapable de laisser le premier rôle aux autres. Voulant toujours davantage, il compromet la collaboration avec autrui. La critique éveille aussitôt son angoisse persécutive témoignant par-là l’impossibilité à corriger ses erreurs. Le refus d’apprendre de l’autre correspond à une sous-estimation de l’enseignement proposé, à une méfiance aussi. Il n’est pas question d’accorder sa confiance à qui que ce soit. Si encore il tirait de cette ambition une grande satisfaction, elle légitimerait son attitude. Mais sa crainte d’être supplanté par un autre pouvant menacer sa prééminence l’emplit d’une frustration permanente.
L’envie et la jalousie prennent racine dans les relations précoces mère/enfant. Elles s’élaborent à partir des premières émotions et des fantasmes infantiles. Ses répercussions se perçoivent à l’âge adulte sous des manifestations plus ou moins camouflées d’hostilité. Elles arrivent à rendre instables les relations humaines et à pervertir les rapports amoureux.