Sans préservatif : un comportement sexuel

Publié dans Le Progrès social n° 2540 du 03/12/2005 

Le virus VIH se propage. L’augmentation de la séropositivité n’est due qu’à une attitude caractérisée : celle du refus de l’utilisation du préservatif. Le seul moyen de se protéger du sida est celui-là et pourtant… Les campagnes d’information, la mise en garde du risque, la meilleure connaissance d’un danger réel n’arrivent pas à modifier les comportements sexuels. Les 18-25 ans en direction desquels une publicité avait cru transformer une réticence à se préserver, se retrouvent dans l’ascendance des chiffres. Le plus inquiétant concerne les plus âgés, jugés raisonnables, tels les 40 ans et plus et les seniors, dont les amours débridés sans capotes dévoilent l’ampleur du phénomène. L’homme est souvent transmetteur et développe moins la maladie que les femmes dont la confiance indéfectible n’a pas l’exigence du simple geste d’enfiler le fourreau en latex.

Pourquoi ?

Le timide n’ose pas, craignant la maladresse et ne sachant choisir le moment idéal. Le jugement redouté, la peur du ridicule le préoccupent au point que la chose glissée sous l’oreiller en début des agacements le restera sans que nulle main furtive ne l’attrape à la hâte comme dans le cas de l’homme confiant assuré de son temps de plaisir. Chez la femme le processus est identique. La timidité l’empêche de s’introduire un préservatif féminin même s’il peut se mettre en place à l’avance. « Que pensera t-il, aimera t-il ? » Et comme l’acte d’amour est rarement planifié, elle accepte le coït sans délai indispensable à une couverture sécurisante. A fortiori demander au partenaire de placer le sien ou de l’aider en ce sens, ou de se charger de l’opération toute entière. Les blocages annulent la pensée rationnelle où s’amoncellent des projets de vie. Le ici et maintenant limitent l’idée du danger de la contamination. Advienne que pourra, les yeux fermés sur une sombre réalité, le timide refuse d’entrevoir la violence faite à l’autre. L’absence de dépistage pourtant gratuit, du tombeur de ces dames, souscrit à cet ordre d’idée. Ne pas envisager un seul instant qu’on puisse gâcher une vie, procède d’une violence bien intégrée. Ne pas envisager qu’on puisse soi-même être porteur du virus ou avoir le sida sous-tend un sentiment de toute-puissance. Rien ne peut advenir à l’être dont le Dieu veille sur la santé. Il est l’élu, le bien-aimé. Il est choisi, hors d’atteinte de la souffrance. Le raisonnement consiste à lui faire croire qu’il est bon avec beaucoup d’autres qualités, justifiant la préférence du Dieu/père. Être aimé du père c’est être fille ou fils admirable : la gratification est garantie.

L’attitude de prise de risque, la conduite ordalique, pour la résumer : « Ca passe ou ca casse », quand le danger est évalué, connu mais oblitéré, est un défi lancé à ce père, « Si tu m’aimes je ne mourrai pas », semblable à une transgression dont on attend le rappel de l’interdit, maintient un état d’excitation interne comme dans le jeu pathologique. Fréquente à la période adolescente, elle en dit long sur l’état de d’immaturité de l’adulte. Être responsable de la disparition de l’autre ou des autres, tenté de disparaître soi en omettant le préservatif, met en scène d’un côté la violence originaire, celle d’une volonté de destruction des liens, de l’autre une forme de dépression chronique, supportable, avec des variations plus ou moins assumées. Quand la culpabilité submerge, l’individu s’enferme dans une période d’abstinence comme pour absoudre la faute. Mettre un préservatif afin d’éviter les maladies sexuellement transmissibles correspond à une stérilisation momentanée difficilement admise. Puisque dans l’imaginaire, fertilité équivaut à virilité, l’homme dévirilisé ne saurait atteindre ni donner une satisfaction sexuelle totale. Alors sont évoqués la diminution du plaisir, l’abaissement de la sensation de la muqueuse du vagin ( tout est lisse), la notion de corps étranger comme une sentinelle contrôlant les excès, le doute de l’éjaculation. Toutes ces difficultés ne sont que prétextes à camoufler la crainte d’une perte de la virilité. Peu de fois la religion vient fournir une explication logique du respect de l’interdit de l’église. Dire que cet élément est opérant serait mentir vu la vantardise du don juanisme dont se réclame l’homme en permanence. A cela est à relier le concept de pouvoir. Assujettir une femme est une donnée qui suggère qu’elle soit imprégnée d’un peu de soi, de sperme. Déposer quelque chose en elle peut se considérer comme un acte sacré ; elle devient calice où tous communient ( rituel qu’on retrouve dans le viol collectif mais dont le sens a disparu) ou bien comme une volonté de soumission, d’écrasement par la souillure infligée. Demeure cette notion d’impureté issue du religieux, celle qui corrompt l’âme en plaçant l’humain au centre d’une difficulté majeure : la marque de l’infamie. Soumettre par le truchement de la souillure ne peut venir que d’un être impur donc mauvais. Si la procédure était au niveau du conscient, elle fournirait une bonne raison d’exiger le préservatif.

Ne pas se savoir ou se savoir malade du sida et se dispenser de l’emploi du préservatif, sont dans les deux cas de l’ordre de la violence. Violence bien intégrée et inconsciente, violence délibérée, agie ayant pour but de faire payer les autres, leur faire porter une part de malheur, leur en vouloir d’être en bonne santé. Les malades condamnés à l’incurabilité dispersent leurs germes avec ou sans rage, espérant les partager avec le plus grand nombre. Les tuberculeux d’antan crachaient par terre ou laissaient traîner leurs mouchoirs partout. Ils ne prenaient aucune précaution particulière, exposant l’entourage à la contagion.

L’année 2005 a fait du sida une priorité sanitaire, c’est dire qu’une lutte devait s’engager à non seulement étudier les facteurs de la propagation afin d’en restreindre le processus, mais encore à accélérer la prise en charge médicale et sociale des personnes porteuses de la maladie et enfin à axer l’effort sur la recherche du vaccin, unique espoir et seul capable d’enrayer cette pandémie. Le contraire s’est produit. La séropositivité et le sida sont en ascension croissante partout dans le monde. Les chiffres le dénoncent.

Fatalité, mauvaise estimation statistique, surdité des femmes et des hommes à l’appel à la prudence, incompréhension du sens des informations ne correspondant pas aux mentalités ? Un peu de tout cela peut-être.

Quand sous toutes les latitudes des personnes sont infectées de la sorte, cela ressemble fort à une détermination collective à se supprimer, sans le verbaliser. Il est vrai que la désespérance et l’absence d’appétit de vie s’installent petit à petit, prennent possession des âmes en ces temps de morosité et de difficultés économiques, sociales, affectives.

Reste à re-travailler et à repenser la prévention en fonction de chaque société et de ses représentations.

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