Covid-19 attitudes

Décembre 2019, des images inondent les écrans de télévision d’une catastrophe sanitaire en Chine : un virus s’empare des vies de personnes de tous âges. L’isolement d’une province, nul ne rentre, nul ne sort, l’édification rapide d’un hôpital au sein de cette région, le nombre de morts, la recherche de la source, requièrent une attention à peine accrue des guadeloupéens : c’est loin la Chine.

La source est identifiée : une chauve-souris sur un marché aux vivres. Biologistes et vaccinologues entament une course contre la montre afin de créer un vaccin. La propagation du covid-19 (il est doté d’un nom familier comme pour l’apprivoiser) augmente le port du masque dans un pays habitué à se protéger de cette façon contre la pollution. L’Europe regarde, observe : c’est loin la Chine. Les ressortissants français, ceux qui le veulent, rentrent en France et après un isolement de quelques jours, retrouvent leurs proches.

La nouvelle d’un premier cas dans le sud de la France résonne dans les oreilles ahuries, suit très vite la contamination d’un groupe d’une église évangéliste. L’hôpital de Mulhouse n’en peut plus de remplir les lits. Ici le carnaval bat son plein. Aucun groupe ne rappelle à la conscience le danger du virus comme précédemment le nucléaire ou la pollution. La rumeur assure que les noirs sont protégés et que la population sera épargnée, comme durant la période du prion de la vache folle ou celle du virus de la grippe A/H1N1, la grippe porcine. Ebola s’est limitée à l’Afrique, le coronavirus stagnera en Chine.

En début de carême, une dame de 38 ans dans la région de la Basse-Terre est testée positive : préconisation d’un isolement strict de 14 jours. Les nouvelles de France affirment qu’il n’y a plus de masques ou de gels hydroalcoolique dans les pharmacies. Ici les gens se ruent sur les produits comme par mimétisme, créant la pénurie. La croisière déverse des personnes contaminées à Pointe-à-Pitre sans lieu de confinement prévu. Elles sont libres de circuler. Le bilan à l’heure où sont écrites ces lignes, est de 45 cas confirmés, 8 personnes hospitalisées au CHU de Pointe-à-Pitre dont 5 dans le service des maladies infectieuses et 3 en réanimation. Le pic prévisionnel (40) est dépassé. Pas de décès recensé.

La culture du cyclone a instauré des gestes de mise à l’abri, de consolidation des habitations, de stockage de denrées de premières nécessités. Les postures quasi automatiques balisent l’angoisse face à l’incertitude de la rage des vents et des inondations. L’imaginaire crée des conditions d’apprivoisements d’après cyclone. Les séismes arrivent à l’improviste, ils maintiennent cette peur de la disparition de l’île annoncée depuis 1992. Aucune préparation préventive, si ce n’est un sac de survie contenant quelques effets vestimentaires non fragiles, un peu d’eau, des pansements, non renouvelés, n’est envisagée.

Seul le sauve qui peut après l’édification de la maison antisismique régie par une loi, s’ancre dans la mémoire qui a gardé les images de 2010 du pays Haïti dévasté (plus de 230.000 morts et 220.000 blessés). La situation inédite de cette pandémie génère chez tout un chacun des réactions divergentes.

  • Le refus de la réalité autorise de mettre en doute la possible propagation virale. Des images font le tour des réseaux sociaux d’une restauratrice embrassant ses clients en s’interrogeant sur l’annonce de morts par coronavirus et rappelant que la grippe tue chaque année dans le plus grand des silences. Une ex première dame tousse avec ironie entourée de gens constituant une galerie amusée. Assis sur les bords de la Seine le dimanche des élections municipales, certains se préoccupent uniquement de bronzer à Paris. La dénégation est un système de défense dont la fonction est une mise à distance de la peur. Si cela n’existe pas, je n’ai pas à m’en faire pour ma santé. C’est une porte ouverte sur la pensée magique semblable à une réaction infantile de toute-puissance. Dans l’instauration du confinement obligatoire depuis mardi 17 mars, ce fragment de la population essaie de contourner la loi en bravant les interdits. Incapable de se penser touché par la maladie, peu soucieux de ce qui pourrait arriver aux autres à cause de leurs attitudes.
  • Les indifférents dans un autre registre adoptent l’attitude fataliste des déprimés légers : « Si je suis touché tant pis, je ferai avec. » La peur de souffrir ni celle de mourir ne les pousse à se mettre à l’abri. Sur l’autre page du même registre, la conduite ordalique inconsciente leur assure une protection indéfectible venant de Dieu. Aimés du père, donc protégés, rien de mal ne peut survenir. En droite ligne de la pensée adolescente, aller au-devant de la mort et y échapper relève d’un miracle. La société sans père donne à voir nombre de comportements basés sur cette quête paternelle sans cesse renouvelée, d’amour et de protection.
  • La peur du manque a dévalisé les commerces d’alimentation après le premier discours du Président de la République. La foule n’a pas donné le temps aux gérants de réguler cette masse, laissant vide les rayons de produits précipitamment entassés dans les chariots, dans un pays d’abondance. Se nourrir est une priorité doublée de plaisir. Mais comme à l’annonce d’un cyclone, c’est la peur du manque qui mobilise la pensée. Mais de quel manque s’agit-il ? L’égoïsme se perçoit dans la volonté de stockage sans se soucier d’en laisser un peu pour les autres. Ceux-là même qui portent critique sur une telle conduite, font exactement la même chose, désignant l’autre, tous les autres d’une volonté inconsciente de mort par inanition. Le fait de privation de nourriture révèle le désir inconscient de décider de la mort d’aucuns. Le confinement annoncé a aligné les véhicules en longues files d’attente dans les stations-services d’essence. Il s’agit de la même accumulation de fournitures (enfermé chez soi point n’est besoin de voiture), enclenchant une réassurance de comblement du vide et du manque. L’organisation de régulation d’une entrée et d’une sortie dans les hypermarchés a mis en relief à la manière de Compère Lapin, des gens désireux de passer devant tout le monde, mine de rien, grignotant au fur et à mesure une place. Un couple de très jeune s’est entendu dire : « Il y aura à manger pour tous, tout le monde rentrera », et en guise de réponse le garçon a rétorqué: « Je suis pressé. » L’angoisse à l’état brut, à peine diluée, hisse au premier plan le sentiment d’être plus important que quiconque, comme sur la route où la vitesse et le dépassement assoient la certitude de la puissance du je de celui qui se croit le premier de cordée.

Le coronavirus est un révélateur des secrets les plus intimes. Un garçon de 14ans, interrogé sur ses rencontres a eu beaucoup de mal à avouer un premier baiser, il l’a dit en fin d’entretien, presque honteux de donner le nom de la jeune fille, conscient d’un sentiment de trahison. Débuter sa vie amoureuse par un sentiment de culpabilité n’est pas chose aisée. Être obligé d’étaler ses amours et ses désirs partagés au moment de l’adolescence reste une épreuve difficile à vivre.

Le virus du sida a causé des ravages et continue encore malgré les traitements à se transmettre. Ce virus est aussi révélateur des pénuries dans l’Education Nationale. Les élèves et les étudiants sont priés de rester à leur domicile. Les cours seront assurés par le biais d’Internet. Les syndicats mettent l’accent sur des familles entières qui ne sont pas équipées en matériel informatique. La réponse est surprenante : -Tous pourront en bénéficier. De quelle manière ? Internet est un abonnement qui a un coût. Pareil pour la seconde question. Certaines écoles n’ont pas d’eau, l’insistance porte sur le lavage des mains. -Il fallait fermer les écoles. Puis -le problème de l’eau en Guadeloupe dure depuis des années, comment faire ? -Bien sûr que c’est un scandale non tolérable, il faudra régler cela, a dit la voix de l’Etat. Et l’impertinence de penser : le grand YAKA a dit.

Tout est source de complication au regard d’un quotidien bouleversé. La recommandation de ne point faire garder les enfants par les grands-parents alors que les crèches sont fermées, n’a pas prévu le déchirement vécu de part et d’autre. « Moi j’aime ma mamie et mon papy. » Les enfants écoutent les informations, certains ont retenu que des personnes âgées sont mortes et que le danger du virus pourrait venir d’eux. La douleur de la séparation même provisoire, la crainte de la disparition demande beaucoup de pédagogie.

En cette période trouble, qui prend le temps de mettre à l’écran par skipe ou WhatsApp ces bien-aimés vivants afin de réassurer l’âme infantile ? Innover en adaptant les comportements en fonction des situations paraît indispensable. C’est une grande première sans précédent qui frappe à toute vitesse et de plein fouet les populations. Les explications jour après jour de spécialistes se contredisant parfois, le masque ne sert à rien, ou il est indispensable, la prise de température dans les aéroports n’est là que pour rassurer, il suffit d’avaler un paracétamol pour faire chuter la fièvre.

L’hésitation et les corrections des annonces du gouvernement, les contraires aussi des discours, confinement, jogging de 1 ou 2 kilomètres possible, sème un doute à cause de l’imprécision ressentie. Alors les réseaux sociaux deviennent des guides qui vont légitimer les savoirs et ce sera à qui débattra en vrai infectiologue, virologue ou vaccinologue sans diplômes. L’important c’est d’affirmer avec force ses convictions. On sait.

Covid-19 oblige à construire pas à pas les attitudes dans l’essai et l’erreur parce qu’il n’y a pas de certitude d’une limitation de la propagation. L’inédit est pourvoyeur de créativité, d’adaptation : « Nous n’avons pas perçu la gravité de l’évènement. » a dit un membre du comité scientifique. Les mots guerre, combat, sont assourdissants de menace face à la science désarmée incapable de façon immédiate d’éradiquer ce fléau, cette pandémie engageant la responsabilité de chacun. L’unique moyen de se protéger collectivement est le confinement.

Certains flairant l’affaire juteuse dérobent des masques indispensables aux soignants qui sont les plus exposés, ou les volent dans l’hôpital, lors de la livraison, ou en augmente le prix au grand jour. Marché noir, abus de confiance ont toujours existé dans les temps de besoin. A la mémoire remonte le « temps Sorin » en Guadeloupe ou l’occupation allemande en France.

En Guadeloupe la capacité d’accueil en réanimation est de 8 lits pouvant passer au double (16 lits) après acceptation d’autres structures de soins. On attend l’annonce de l’urgence sanitaire en passe d’être votée à l’Assemblée Nationale. Le message du sauf-conduit a été entendu. Ce papier participe à la prise de conscience d’une nécessaire solidarité et plus encore, rappelle que nous sommes liés par une chaîne signifiante qui nous unit les uns aux autres.

Fait à Saint-Claude le 20 mars 2019

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