C’est Noël

Publié dans Le Progrès social n° 2543 du 24/12/2005

Les vitrines de la ville l’annoncent aux passants de toutes les religions, elles scintillent de guirlandes aux multiples coloris, vert, or, bleu, rouge, assorties de lumière intermittente saccadée, clignotante, pour le plaisir de la contemplation des présents à offrir. L’incitation à la dépense est mise en scène par la somptuosité du décor, véritable opération de marketing destinée à réveiller les désirs d’enfance. Qui n’a rêvé de pénétrer les territoires des fées, de se vêtir de leurs robes longues cousues de lune et de soleil, qui n’a voulu faire rouler un camion rutilant sur le sol de la maison, avoir les plus belles poupées, la plus grosse peluche ? L’occasion d’accéder à ces manques se présente de manière détournée. La joie suscitée chez l’enfant au cadeau reçu, répare la frustration du passé. Deux bonheurs réunis, celui de l’autre et le sien mis en acte par l’appropriation donc la maîtrise de l’objet et sa restitution à la période d’enfance. Sauf pour les jaloux dont les offrandes obligatoires torturent l’idée de trop donner, ce qui les priverait d’un plus pour soi, mais vont jusqu’à chercher à savoir le prix des jouets offerts à leurs enfants. La force de l’amour correspond là à la somme investie : «  Quand on aime on ne compte pas », c’est un précepte applicable à autrui. Chez les radins la pensée est plus claire. Ils ne ressentent  le besoin ni de donner ni de recevoir. Noël est révélateur de la personnalité, des liens entretenus avec la parentèle, des comportements. Certaines familles y trouvent l’occasion d’un partage : partage d’amitié, de nourriture, de temps volé à la vie trépidante et sa course à l’enrichissement. Quelques-uns uns sont des rassembleurs, presque toujours les mêmes, à inviter sans réclamer de l’aide. Ils disent se lasser à la longue : l’espoir d’un retour enfui. De plus en plus le repas se restreint aux habitants de la maison, surtout les citadins enfermés dans leur habitat, à l’abri de l’insécurité. Personne ne peut franchir le seuil gardé par l’alarme, au contraire de l’antan où un morceau de jambon arrosé de shrubb, de liqueur d’anis vert ou rose réunissait des voisins passant d’une maison à l’autre, à pied, chantant dans la rue «  Noël O, Noël O », laissant assis sur les trottoirs les plus assoiffés ou les moins costauds. La modernité, la peur de l’agression, l’absence de communication tiennent les volets clos et les portails verrouillés. En attendant la messe on grignote quelques petites gourmandises, réservant le ragoût de porc, les pois d’angole et les ignames pour l’après visite à l’église. C’est une fête religieuse, on l’aurait presque oublié ! Les sapins remplacés par les filaos en voie de disparition regardent sous leurs branches basses les paquets coquets des déjà grands : ceux amenés par le Père Noël arriveront durant le sommeil des plus petits ou portés carrément par lui quand tout le monde est à table ; l’approche de ce vieil homme venu du froid impressionne les craintifs, excite les plus hardis. Le petit Jésus peut être mis dans la crèche. La préparation de son avènement commence avec les chanters noël du samedi soir, début décembre. Le rendez-vous est pris chez un particulier, l’information circule de bouche à oreille. Les petits pâtés, le shrubb, le jambon sont emmenés par les femmes et les hommes amateurs de cantiques créoles imprimés dans des recueils et distribués gracieusement. Après les salutations d’usage et l’installation, les tabourets sous les bras sont placés selon les affinités et les connaissances ; la meneuse entame le chant suivie du chœur. La qualité de la voix n’a aucune incidence sur la participation, mais les talents se dévoilent dans le « minuit chrétien. Les sopranos et les barytons internationaux n’ont qu’à bien se tenir ! Le choix des morceaux est laissé à l’assemblée démocratiquement ; entrecoupés de dégustation. A la semaine prochaine ! Rendez-vous est pris dans un autre lieu.

De plus en plus les comités d’entreprise, les municipalités, les médias, organisent des chanters noël tout public, histoire d’ouvrir et d’élargir la ronde. Des bienfaiteurs fixent un montant repas compris : la recette ira à une œuvre caritative. Le chanter noël est-il doucement en train de s’institutionnaliser et de se monnayer ? La décision d’en faire un spectacle scindera les populations : participants et spectateurs, comme pour le carnaval où il a été suggéré qu’une participation financière du public permettrait la pérennité du défilé/parade, les costumes étant de plus en plus coûteux ? . La rue n’appartient déjà plus aux mas, le droit d’entrée sera-t-il fixe et exigible à tous ? Carnaval et chanters noël se transformeront sous l’impulsion de critères encore mal définis. Restent les marchés de noël qui restituent les tubercules anciens, igname pat a chouval, pa possible, ador, igname an ba bon, les breuvages oubliés, mabi, nectar des Dieux, vert-vert et autres délices. La tradition est revenue, la tradition s’apprécie, elle s’est même placardée sur des affiches murales débordant de produits locaux à déguster absolument, rappelant que la ripaille est permise en cette saison où une partie du monde n’aura rien à se mettre sous la dent le 24 décembre, ou parce que le pays est en guerre, ou parce que ce jour symbolique pour les catholiques est un jour de famine et de pauvreté. Les dames à l’entrée des hypermarchés tendant le sachet «  à votre bon cœur » destiné à améliorer l’ordinaire des pauvres de la Guadeloupe, font le plein des denrées non périssables que la banque alimentaire et le secours catholique distribueront. Comme tous les jours sans boudin créole et jambon pays et ragoût de porc. Les enfants ont des jouets au moins de deux institutions ; ils pourraient bénéficier d’un repas amélioré dans une famille dont la fille ou le fils sont à la même table de classe. Une invitation proposée par un enfant à un autre enfant quand bien même ils ne seraient pas amis. La bonne action s’apprend. La générosité se conjugue sous des formes multiples. Elle peut aller en direction d’une voisine vieillissante, seule, qui sera ravie de l’attention portée non pas à sa condition sociale, mais à sa personne. L’être solitaire n’est pas toujours en détresse morale ou financière, cependant le message délivré de fraternité est porteur d’espoir de la rencontre des humains, de tous les humains, malgré leurs divergences de point de vue et leurs croyances religieuses.

            La fête de Noël reste une féerie dans une société qui a compris que les éléments traditionnels confortent la culture, la mettent dans une position de force, faisant d’elle une référence dont tout un chacun se réclame ici ou ailleurs. Il suffit de regarder les attitudes de ceux qui dans le froid se regroupent dans les cuisines à pétrir le sang et le pain du boudin noir. Moment exceptionnel d’un coude à coude empli de souvenirs individuels et muets, où le passé du même et de l’identique, qu’importe la classe sociale, signe l’appartenance à un groupe, à ses racines, dans ce faire ensemble communiel. Les relents du pays, la perpétuation de la tradition, renforcent le Moi dans sa quête identitaire : rambarde de sécurité à laquelle s’accrocher en cas de doute. L’oignon ajouté aux cives autorise aux larmes de perler de gratitude sans explication aucune.

            Le réveillon se doit d’être un enchantement.

                                                Joyeux Noël

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