BIK A REZISTANZ

Depuis un an, les personnels suspendus dans des institutions très diversifiées sont sans salaires. En situation de survie financière, ils attendent une réhabilitation qui tarde, malgré les nombreux procès intentés. L’espoir d’une réintégration avec continuité de carrière, demeure vivace.

Les soignants se sont installés devant les deux principaux centres hospitaliers, celui de la Basse-Terre, celui de Pointe-à-Pitre. L’occupation du parking à l’intérieur du Chu de Pointe-à-Pitre, dans un temps premier, a déclenché de la part de la Direction de l’hôpital une demande d’expulsion que les forces de l’ordre ont exécuté, à l’aube, quand une nuit d’inconfort embrouillait les esprits des sentinelles de garde. Les installations précaires en toile ont été pulvérisées, l’appropriation de cette parcelle privée étant déclarée illégale. La protestation devant se poursuivre, les suspendus ont aménagé devant l’hôpital sur un parking externe urbain.

S’est recrée le bik. Un bik est une place centrale d’un village, où tout un chacun, sans discrimination, peut participer aux échanges oraux. Chez les Grecs, appelé agora, cet espace public de rassemblement social, politique, était un rendez-vous où prendre des nouvelles, donnait lieu aux confrontations d’opinions. L’implantation de différents bâtiments d’intérêt général agrémentaient les déplacements, en offrant des services d’ordre juridique. Commerces et locaux de loisirs, exerçaient en plus une réelle attractivité. Des villes nouvelles dans un vent de modernité, ont édifié ce concept en le nommant forum, tel le speakers’ corner de Hyde Park à Londres où s’agglutinent à l’occasion des manifestants. En France, l’architecture d’avant-garde n’a pas négligé ce lieu d’accueil formant des rues piétonnières, où flâneries et shopping attirent de plus en plus de badauds. L’Afrique a toujours accordé de l’importance aux besoins d’inciter les débats ne serait-ce que sous un arbre, l’arbre à palabres. La configuration du parking externe à l’entrée de l’hôpital rend le bik plus visible et interpelle en permanence la population qui se rend compte qu’un problème de taille n’a pas encore trouvé de résolution.

L’organisation

L’augmentation des abris en toile ou en plastique, signe une détermination à maintenir la pression et à continuer le combat. Sont venus s’ajouter des personnels d’autres lieux de soins, gonflant les rangs des personnes en lutte. La permanence des syndicats, (collectif des organisations en lutte), initiateurs du combat contre l’obligation vaccinale, donne une solide ossature au groupe constitué, avec l’énorme défi lancé à la face du monde.

Semblable à l’ordonnancement d’une cité, tout est structuré en fonction des utilisations et des besoins du groupe. Alignés côte à côte, les abris sont occupés par des gens ayant des affinités professionnelles, qui participent aux activités communes. L’endroit principal, le plus grand, accueille tout le monde, lors de manifestations programmées. Pivot des rencontres, il est disposé comme une salle de spectacle aménagée de sièges (il est recommandé de porter le sien), faisant face à un orateur. Le chœur antique est composé de tambouyés qui ponctuent les moments importants. Il se met en scène après chaque intervention, accompagnant la voix de la chanteuse dont les mélodies disent le refus de la domination/soumission. Ces chants créoles incisifs racontent la révolte, la désobéissance, le devoir de résistance.

Bien intégré, à l’ensemble, le stand restauration étale de quoi se sustenter, ce qui n’empêche nullement d’avoir sa propre glaciaire. Souvent l’offre de repas par les restaurateurs, est en partage. La nourriture procède à une communion, une reconnaissance d’une appartenance à une grande famille, issue de la même lignée. Donner des kénètes, recevoir des parts de melon, proposer de façon spontanée son en-cas du jour en allant à la rencontre des différents groupes, le moment de pause est l’occasion de se regarder, de cautionner une existence. On se reflète dans les yeux des autres, on n’est plus nié. Absence de rapports mercantiles, ouverture sur la générosité, offrir sans rien attendre en retour, les attitudes de la société de la misère sont retrouvées. Les offres de denrées alimentaires sont entreposées dans une salle, avoirs communs, cuisinées au domicile d’une résistante et transformées en mets de délices. Les dons sont bienvenus, ils peuvent être de premières nécessités ou concerner ce qu’une maitresse de maison utilise au quotidien. La distribution de tâches est planifiée, chacun assure le poste qui lui est confié. L’hygiène est rigoureuse dans les toilettes en parfait état de propreté. Les médias sont présents ; radio tambou, médias 97 plus, assurent la mémoire des évènements. L’organisation comporte des programmes dont l’intérêt est en corrélation avec les interrogations d’une population de plus en plus demandeuse de savoir. Elle se scinde en plusieurs activités.

Le lakou santé.

La cour a complétement disparu du paysage urbain. Agglomérat de cases, ses venelles non identifiables donnaient l’impression d’un lacis où trouver son chemin était difficile. Ces quartiers insalubres de la ville de Pointe-à-Pitre, longtemps considérés comme malfamés, avaient une entité sociale et culturelle enserrée dans des liens d’appartenance identitaire. Plusieurs générations s’y succédaient. Véritable phénomène social, la cour avait un art de vivre particulier, l’entraide faisait partie de sa règle d’or. Les démunis se résignaient à un état endémique de pauvreté sans projet de l’amélioration de l’habitat. A prononcer le nom de la cour où il vivait, le sujet signait sa catégorie sociale comme celui aujourd’hui issu du ghetto.

Contraire à l’impuissance des habitants de la cour, le lakou du bik dénonce l’immobilisme de l’antan en insufflant une dynamique pourvoyeuse de vie. Un éventail d’activités où chacun peut trouver sa place dans un intérêt commun, propose un faire ensemble pour le mieux-être de tous. Par exemple le lakou santé s’est donné pour mission de sensibiliser la population aux risques modernes de la vie. Institué en véritable outil de prévention communautaire, les informations sur l’hypertension, le diabète, le bien-être, la gestion du stress pallient le manque des services sanitaires responsables de la prévention, tout en donnant l’opportunité aux personnes de parler de leurs maux sans limitation restreinte comme chez le médecin.

Le 27ème lakou santé a eu comme thème : « L’apprentissage des gestes de premiers secours », c’est dire que le leitmotiv des résistants s’inscrit dans une volonté de préservation de la vie. Démonstration que les choses peuvent être faites, à preuve, les conditions extrêmes de leur réalisation. Chaque vendredi de 09 heures à 16 heures, un nouveau thème amène ceux qui désirent apprendre en écoutant dans une atmosphère détendue. Les intervenants sont d’une grande disponibilité. Le témoignage d’expériences vécues durant l’hospitalisation en réanimation covid, à l’instar d’autres, s’est gravé dans les souvenirs. Il a rempli une double fonction : celle de la décharge émotionnelle de l’ancien patient, celle de la compassion dans la fraternité.

Les baumes de l’âme

Pourquoi ne pas parler de loisirs dans cette circonstance de ravissement ? Parce que le mot loisirs ne reflète pas la volonté de procurer un apaisement ne serait-ce qu’éphémère aux nombreux problèmes rencontrés par la mise à l’écart des personnes. La journée de vendredi se clôture par une action de réjouissance gratifiante, dans le prolongement du lakou santé, fenêtre ouverte sur le week-end à venir. Les artistes soutiennent le mouvement. Ils se produisent comme sur une vraie scène. Le vent complice emmène dans la nuit approchante, jusqu’au centre-ville, les airs de joie et d’allégresse. Les paroles du conteur, celles des slameurs font oublier une dure réalité dans la formation de la ronde à ciel ouvert. Le sentiment d’être dans un ailleurs tellement éloigné de l’évidence injuste, procède à vibration généralisée. Le rire diminue les accès de stress et de doute d’une situation hors du commun. Une trouée de bonheur dans un futur incertain. Le modèle de défi suprême abolissant la punition a été un défilé de mode, les suspendus portant les vêtements de couturier à talents, sourire aux lèvres, mentons relevés en guise de provocation. A l’analyse, la désobéissance fait un pied de nez à la loi d’août 2021 qui devient caduque. Pour donner des ordres, il faut être sûr d’être obéi. La Guadeloupe a applaudi à l’exploit. Le moral depuis un an aurait pu être à zéro, l’attitude transmise de génération en génération consiste à mettre, la vaillance au premier plan, serrer les dents et avancer coûte que coûte.

Les conférences

Le mardi à 19 heures les conférences ont pour objectif d’instruire, de susciter le débat, d’entendre ce qui ne se dit pas dans les programmes aux horaires stricts. Le temps n’a de limites que l’épuisement des participants. Les discours s’adressant à toutes les populations utilisent des mots connus, compréhensibles, reformulés en créole si besoin est. L’université populaire trouve là une assise qui devrait être promue dans les projets de l’instruction des populations.

Les meetings sous forme de compte rendus et commentaires des évènements procéduraux, politiques, relatifs à l’obligation vaccinale, informent une foule de plus en plus dense, avide de comprendre une telle décision.

Les séances de ciné/débat où chaque thématique correspond à la complexité d’un pouvoir qui dépasse l’entendement, porte la réflexion sur le risque des prises de position autoritaires gouvernementales.

La structuration identitaire

La tradition honore les ancêtres en leur donnant de la lumière. Rituel en remerciement à leur protection accordée au groupe. La vie quotidienne demande du courage, le bannissement de la lassitude, la préservation de la santé. L’illumination attire les regards du passant et des résidents des immeubles proches tout en adressant une supplique aux dieux et aux morts. Les rituels ont pour fonction première de baliser l’anxiété. La réflexion sur l’origine est un rappel de la place que l’on décide d’occuper dans le monde. Un clin d’œil vers l’Egypte s’est imposé comme révélateur des carences entretenues s’agissant des civilisations d’avant-garde autres qu’européennes. L’Afrique et le dévoilement de sa médecine traditionnelle convoque les pertes occasionnées par la traversée. La source magnifiée des connaissances ignorées est un élément de surprise apte à générer une volonté d’en savoir plus.

La conservation de l’évènement à l’aide des supports numériques est une entreprise mémorielle. La mémoire humaine est sélective, elle expurge aisément les faits déplaisants en les remodelant. L’image filmée au montage correct a le mérite d’être le grand témoin d’un temps. Laisser des traces est indispensable. De temps en temps la projection d’un film dévoile ce que l’œil n’avait pas perçu malgré son regard scrutateur. On commente, on s’étonne, la cour ne dort pas.

Les réseaux sociaux et leur capacité de diffusion touchent un grand nombre d’internautes.

La création d’une kazette étoffe le mouvement. Organe de réflexion et d’information, il requiert une équipe dont la compétence n’a rien à envier aux spécialistes de l’édition.

Les ateliers : plantes, rimèd razié, diététique, décuplent l’intérêt pour l’environnement mal perçu jusqu’ici, réhabilitent les produits locaux. C’est un réel travail de reconstruction de l’être.

La danse, le mercredi, quand le corps se réjouit dans une liberté de mouvement, l’esprit se libère dans une évasion des sons, résonnances intimes propices au lâcher prise.

Les actions hors du bik

L’ingéniosité a franchi la frontière du bik, en accordant aux petits et aux grands des répits champêtres. Des sorties semblables à des vacances ont coloré des journées en famille. Les restrictions financières gommées, par l’accessibilité de l’offre a mis des étoiles dans les yeux. Accéder à la normalité de l’être, se sentir comme une personne ordinaire et jouir d’un moment agréable volé à l’insupportable, deviennent féerie.

Un second type d’action hors du bik a été de sensibiliser les organisateurs et les participants du tour de la Guadeloupe à la cause des personnels suspendus. Pancartes et présence sur le terrain ont informé à deux étapes la continuité de la lutte.

Une détermination de troisième type met en marche dans différentes villes les corps. Slogans, pancartes, présence, la manifestation rappelle aux habitants que les résistants ne baisseront pas les bras et que leur volonté farouche ne lâchera rien.

Les actes solidaires tels les brocantes, les tombolas, le parrainage d’enfants scolarisés, sont des appels à l’entraide et à la générosité avec beaucoup de tact.

Le bik de Basse-Terre est actif mais n’a pas la possibilité de drainer une foule aussi conséquente vu l’étroitesse de l’abri. Leur nombre en personnel est restreint comparé au groupe de Pointe-à-Pitre. Il n’empêche, que le soutien de gens bien intentionnés, dont la présence n’est pas effective sur le bik est véritable. La communication entre les deux lieux favorise la visite de leaders de Pointe-à-Pitre sur le site de la Basse-Terre, impulsant un dynamisme retrouvé.

Afin de ne pas sombrer dans l’oubli et la désespérance, ce mouvement résistant a inventé une forme inédite de survie. Son plan de sauvetage s’est édifié sur la démonstration qu’un mieux-être psychique trouvait sa garantie dans le prendre soin des autres, bay fôs pou pwan fôs, mais qu’avant, il fallait être soi-même en bonne forme. L’acte de donner pour mieux recevoir, édicte un principe fondamental de base qui a englobé la population dans un projet de santé centré sur l’humain, dénonçant les manquements d’une réelle politique de prévention par les actions menées en fonction des besoins. Le soutien de leurs collègues en activité, des retraités, des artistes, des défenseurs de leurs droits, leur passage sur le bik à reziztanz prodigue du réconfort. Créer du lien, se sentir compris impulse une force inouïe. La Guadeloupe innovante, à travers la résistance des personnels suspendus, a su inverser la situation de maltraitance, a mis en échec la soumission à l’autorité en conservant son droit à dire non. Ce mouvement fait désormais partie de la mémoire du pays.

Fait à Saint-Claude le 4 septembre 2022

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Un commentaire pour “BIK A REZISTANZ

  1. Merci Mme MIGEREL à travers vos propos vous m’avez permis de visiter ces lieux de Résistance oui nous sommes un peuple vaillant qui refuse le dicktat.
    Cordialement

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