Mai 2023, des voix du fond du rectorat s’élèvent et mettent l’accent sur l’urgence qu’il y a à prendre à bras le corps un problème qui a privé de leur joie de vivre des adolescents et en a poussé d’autres au suicide en France : le harcèlement scolaire. Le cyberharcèlement en inflation est uniquement du ressort de la justice, son champ d’application étant en dehors de l’espace d’enseignement. Les victimes de cette forme de violence, car il s’agit bien là de comportements violents dont l’intention est de détruire psychiquement un être désigné par un élève ou un groupe d’élève, se consument dans un grand silence. Depuis plus de dix ans aucun projet conséquent ne s’est élancé du tiroir où il a été déposé, privé des supers pouvoirs de se désigner comme oublié par la main qui l’a réceptionné. Chaque année un ou deux médias relate tel un fait divers la tristesse d’une famille qui découvre trop tard la détresse de l’enfant qui n’est pas passé à l’acte.
Depuis le plus jeune âge
Le petit garçon de 5 ans parle de ses trois amis de classe. Il les aime bien et avec eux il faut :« attaquer les filles. » Amener à préciser à quoi correspond « attaquer les filles », il dit qu’il faut leur faire peur, leur tirer les cheveux, leur crier dessus. Ce comportement en direction des enfants calmes, un peu craintifs, timides, quand il est répété s’inscrit au registre du harcèlement.
Très tôt, le dominant s’intéresse au goûter à la maternelle. Il commence par le demander régulièrement. Quand bien même l’esprit de partage lui en octroie une part, il s’en empare, désireux de la totalité. La résistance provoque bousculade, pincements et grimaces de défi. Le souffre douleur, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ne subit presque pas l’outrage de la désignation de la couleur de peau. Les enfants très jeunes ne sont pas racistes, ils ne forment pas de groupe, l’intérêt étant de démontrer leur pouvoir, leur force. Un autre peut prendre le relais en cas de lassitude et d’abandon du comportement perturbant. Chez les plus âgés, la moquerie est un phénomène courant : elle est dirigée vers les cheveux (épaisseur, longueur, forme de la coiffure), les chaussures, la démarche et tous les petits défauts visibles. Le bégaiement est la panacée de l’harceleur. Les noms sont écornés avec insistance. Leurs associations à des appellations d’animaux ou de choses donnent lieu à des mimes ou à des cris de bêtes. Au sein des écoles où l’uniforme n’est pas obligatoire, le vêtement fait l’objet de quolibets : le rose ou le jaune de la chemise est souligné comme une marque de féminité et de faiblesse. Dans cet ordre d’idée, celui qui la porte doit être dominé. Un coloris de prédilection, accole une image à la personne : « mademoiselle omo », pour le blanc, « fifille » pour le rose. La rigolade de deux moqueurs s’étend à tout le groupe, longtemps, bruyamment. La fille mal à l’aise face aux propositions masculines subit l’outrage de la parole et du regard permanent du malotru qui pousse son bassin en avant en murmurant : « Viens manger. » Le groupe se constitue sur la base d’alliance à l’extérieur de l’école : partage de produits illicites, complicité de larcins. La bande assoit sa puissance sur l’environnement scolaire, au grand jour. Les menaces fusent afin de mieux incruster la peur et la crainte ; le racket devient ainsi plus aisé sous l’effet du conditionnement. Les vols réitérés dans le même cartable arraché devant les autres qui ne bronchent pas, jeté par terre ensuite, à la manière des caïds, désigne le chef. L’obéissance est requise. Souvent ceux de la bande sont des anciens rackettés qui se joignent au groupe dans une volonté de puissance. Ils se protégent et font subir le même sort aux autres : répétition de l’effet traumatique comme pour s’en délivrer. Au vol et au racket, s’ajoutent les coups. Violences incessantes qui débordent les limites du collège ou du lycée, quand la fuite du bouc émissaire prive de satisfaction. Les bandes de filles sont plus féroces parfois, elles ne laissent aucun répit. La vantardise augmente leur degré de cruauté. Les raisons évoquées de l’acharnement semblent futiles : une attitude hautaine, une séductrice sainte-nitouche. A l’observation, c’est souvent au visage que les coups sont portés. La volonté d’abîmer le portrait reflète la jalousie envers une apparence de star. Le bouc émissaire remplit une fonction ; il est porteur des maux de la société. Là, il concentre l’échec d’adolescents taraudés par l’incapacité. Incapacité à maîtriser le système scolaire perçu comme sélectif au vu de leurs difficultés d’apprentissage. Incapacité à intégrer les valeurs morales impliquant le respect d’autrui. S’acharner sur quelqu’un n’est jamais un acte gratuit.
Les harcelés et les harceleurs ont-ils des profils types ?
Le premier de la classe, l’ancien fort en thème, est une victime désignée. Son grand sérieux le tient à l’écart du bouillonnement des récréations. L’isolement est un indicateur déterminant : il simplifie la tâche de l’agresseur. L’absence d’agressivité donne assise à son sentiment de toute puissance. La volonté d’éviter les conflits détermine une attitude jugée peureuse et conforte l’autre dans son pouvoir sans limites. Effrayée par la perspective de complications, la victime s’enferme dans un mutisme provoqué par la peur mais aussi par l’incompréhension d’une situation presque irréelle. La honte d’être dans un engrenage infernal écrase sa révolte. L’impression qu’aucune aide extérieure ne peut la sortir de cette mauvaise passe est induite par les menaces d’augmentation des sévices en cas de dénonciation. Ce processus est à l’oeuvre chez les enfants violés à qui on affirme que leurs parents seront tués s’ils parlent. Longtemps les choses sont tues, enkystant la souffrance.
Les timides qui baissent la tête à la moindre remarque sont des proies faciles. Ils ne répondent pas aux sollicitations violentes, ont du mal à se plaindre. Un jour, lassés de ces actes réitérés ils s’arment et blessent un ou deux agresseurs.
L’harceleur a des antécédents passés inaperçus ou banalisés par l’entourage. Des souvenirs de morsures données affluent dans les remémorations maternelles, de jouets cassés appartenant aux autres, de refus d’obtempérer aux injonctions des adultes. Il présente un tableau de personne introvertie, à la recherche de réassurance, incapable de contrôler son impulsivité. L’envie l’habite tout entier et son incapacité à se hisser au niveau du premier de cordée signe sa détermination à le casser, l’amoindrir en l’humiliant. L’autre représente un danger à éradiquer. L’harceleuse peut faire montre d’autant de férocité que l’harceleur. Parvenue à l’âge adulte, une femme avoue avoir harcelé une camarade de classe afin d’éprouver sa capacité de domination. Elle s’était acharnée sur une plus faible afin de se sentir forte. Des années après elle le regrettait. Le manque de confiance en soi est facilitateur d’une mise en place de remparts de protection. Souvent les situations de dictature ou de fonction suprême sont révélatrices d’une prise de pouvoir d’un individu habité par un sentiment d’infériorité ou d’un doute profond de soi. L’imposition de sa seule volonté ne souffre pas de désaccord. Il suffit pourtant d’une forte pression pour que la domination change de camp. A son tour pris dans la cruauté des rets d’un dominant, il utilise la fuite comme seul échappatoire possible. La relation domination/soumission entretient des liens étroits, et peut être interchangeable.
Les conséquences du harcèlement sont multiples. Des traces indélébiles sillonnent la vie de certains provoquant des changements d’humeur inexpliqués. L’abaissement de l’estime de soi favorise les hésitations, les imprécisions. La tendance au découragement s’aperçoit dans les situations difficiles. L’estime de soi est en abaissement. Mais la blessure la plus douloureuse s’ancre dans la blessure nominale : la blessure autour du nom. Le rapport à l’origine, fait référence au corps propre, à sa condition et sa place dans la filiation. Les enfants sont les héritiers de la souffrance de leurs parents. La blessure nominale remet en question l’identité et la difficulté de sa lente construction.
La gestion de la violence
Que dire de ces regards d’adultes qui se détournent des couloirs où les agressions ont lieu ? Ils savent que tant qu’elles seront dirigées vers les élèves, ils seront à l’abri derrière leur bureau. La lâcheté ferme les yeux lors des récréations. Le signalement prend du temps et son pourcentage détermine les bons établissements. Les armes prennent allure de l’effrayant, à telle enseigne qu’un détecteur de métaux a fait son entrée dans une école, comme à l’aéroport. Se dirige t-on vers une école où les enfants ne se sentent pas en sécurité et que l’écho suscite chez les parents de l’inquiétude ? Devant un tel constat l’Education nationale devrait mettre en place un certain nombre de mesures adaptées à une réalité préoccupante. La gestion de la violence passe par des facteurs inhérents aux modalités de l’enseignement autant que la connaissance des besoins individuels. A défaut d’enseigner, l’école pourrait se donner pour mission de forger les identités. Faudrait-il encore qu’elle soit capable de se remettre en question et d’accepter de jouer le jeu du changement.
Le ministre de l’éducation Nationale à sa prise de pouvoir lors du dernier remaniement ministériel en septembre 2023, est confronté à un suicide d’un jeune garçon harcelé, un de plus. Mais cette fois ; il prend à bras le corps la situation, désapprouvant l’attitude du rectorat et sa lettre jugée indigne en réponse au signalement des parents. Il fustige publiquement le laxisme. L’écho s’étale partout et des enfants et leur famille témoignent de l’indifférence des institutions combien même la loi du 02 mars 2022 fixait le cadre d’un programme de prévention et de lutte contre le harcèlement(phare). L’action la plus forte de ce programme était de garantir la prise en charge de 100% des situations signalées. L’insuffisance de l’application de la loi a déterminé le gouvernement à renforcer les mesures énoncées.
L’augmentation des subventions à l’association opératrice de la ligne d’écoute 3018, suivie d’un nouveau décret (16 août 2023) durcissant les sanctions de harcèlement les plus graves dans le premier degré, c’est l’élève harceleur qui devra changer d’école, dans le second degré une procédure disciplinaire devra être appliquée. Ces mesures vont peut-être inverser la courbe des comportements d’indifférence. La dénonciation de la violence et son déplacement devraient donner des résultats probants. Près d’un million d’enfants vivent une situation de harcèlement à l’école. Ce phénomène conduit à une hausse de plus de 300% aujourd’hui. Les enfants ne parlent pas facilement de ce qu’ils vivent de la part d’autres enfants de leur âge. Les adultes n’entendent pas non plus le drame qui se vit au quotidien parce que la représentation de la violence est différente. Des lors l’information est primordiale, elle doit être adaptée à chaque groupe. Les référents volontaires dans les classes reçoivent une formation qui nécessite une supervision puisque les modes de harcèlement évoluent en fonction de l’avancée des sociétés. Le si tu m’embête j’casserai ta gueule à la récré » est désuet et plus dans l’air du temps. Les nouveaux dispositifs impliquent les enseignants, les représentants/violence au sein des établissements, les parents. Le 9 novembre est décrétée journée de lutte contre le harcèlement scolaire. Gageons qu’elle inscrira au frontispice de l’école : à la violence tolérance zéro. La détermination du nouveau ministre s’est entendue dans le plan présenté par la première ministre le 27 septembre 2023 qui sous-entend, 100% de prévention, 100% de détection, 100% de solutions, aura sans aucun doute une efficacité que toutes les années précédentes n’ont pas connue. Le témoignage d’une fille dont les agressions étaient visibles de tous, par un groupe, depuis la sixième a démontré qu’il avait été plus facile de lui donner un garde du corps à l’école, alors qu’elle était noire (ce qui augmentait les insultes) plutôt que de régler le problème. Cela s’est passé en France, pas aux Etats-Unis comme dans le tableau de Norman WORKWELL (The problem we all live with). Elle a pu en parler devant la caméra à l’âge de 25 ans.
La rentrée a emmené nombre d’élèves sur les bancs de l’école, avec cette année la promesse d’une sérénité et d’une sécurité assumées par la nouvelle loi contre le harcèlement scolaire, élargie au cyber harcèlement au sport et à la justice. La décision la plus importante de l’énoncé de cette loi concerne la mutation de l’harceleur dans une autre école. D’abord parce qu’il est désigné et reconnu coupable de faits suffisamment graves envers autrui, ensuite parce qu’il perdra son pouvoir aux yeux des autres (ceux qui l’approuvent et parfois le suivent pour être protégé) puis une nécessaire adaptation au nouvel environnement lui permettra de réfléchir à une attitude différente soulignée par la mesure disciplinaire. La honte changera peut-être de camp. La politique de l’autruche souvent utilisée par l’entourage qui prend racine dans l’indifférence deviendra dès lors de la non-assistance à personne en danger.
Une autre décision, celle d’un référent harcèlement dans chaque tribunal, autorisera une écoute attentive et assurera aux familles plaignantes la prise en considération de leur requête. Le comportement d’une mère (circulant sur les réseaux sociaux) obligeant un élève à s’agenouiller et à demander pardon à son fils harcelé est intolérable. De surcroît elle encourage la victime à frapper son agresseur. La question à poser est à savoir si un signalement avait été fait et si oui pourquoi cette mère en était arrivée là. L’association Médiations attitudes avaient formé des élèves à reconnaître les conflits, à les désamorcer. L’action ne s’est pas étendue aux générations suivantes.
Fait à Saint-Claude le 13 octobre 2023