« M’en voudrez-vous beaucoup
Si je vous dis un monde
Où on n’est pas toujours
Du côté du plus fort »
Extrait de POTEMKINE de Jean FERRAT
Contraindre, c’est forcé quelqu’un à agir contre sa volonté par le biais de pressions morales ou physiques. C’est une violence contre autrui.
L’obligation vaccinale de certains corps de métiers dont la date butoir en Guadeloupe est insérée dans un flou temporel de fin de la quatrième vague de la pandémie de coronavirus, par cette décision du ministre de la santé et des solidarités : « Considérant la situation épidémique et la mobilisation du monde médical, on ne va pas rajouter la contrainte de l’obligation vaccinale durant cette période. » est entrée en vigueur en France le 15 septembre. Des sanctions prévues dans le projet de loi anti-covid ont été appliquées aux soignants : suspension des contrats de travail jusqu’à deux mois maximum, sans rémunération. Pour continuer à exercer, les médecins doivent justifier de 2 doses de vaccin.
Si le schéma vaccinal n’est pas complet, ils doivent également présenter le résultat d’un test de non-contamination de moins de 72 heures, ou un certificat de rétablissement s’ils ont été infectés par le virus. A partir du 16 octobre, les libéraux dont le schéma vaccinal n’est pas complet et qui ne disposent pas d’un certificat de contre-indication à la vaccination seront interdits d’exercer (loi du 05 août 2021.) L’obligation sanitaire vaccinale pour les soignants est pérenne, elle restera en vigueur même si le pass sanitaire prend fin.
Et pourtant la résolution du Conseil de l’Europe du 27 janvier 2021, demande aux Etats et à l’Union Européenne ( Art- 7.3.1) : « De s’assurer que les citoyens et citoyennes sont informés que la vaccination n’est pas obligatoire et que personne ne subit de pressions politiques, sociales ou autres pour se faire vacciner s’il ou elle ne souhaite pas le faire personnellement » et d’ajouter (Art 7.3.2)-« De veiller à ce que personne ne soit victime de discrimination pour ne pas avoir été vacciné, en raison des risques potentiels pour la santé ou pour ne pas vouloir se faire vacciner. »
La France fait -elle partie de l’Europe ? C’est à ne rien comprendre.
La Guadeloupe s’indigne et résiste à cette imposition qui ne tient aucunement compte du droit de chacun à disposer de son corps. Le sursis accordé n’écarte pas la mise en demeure qui avait déjà provoqué une onde de choc lors d’un communiqué de la direction du CHU ordonnant à chaque soignant de justifier de son état vaccinal avant la date du 16 septembre. Cette direction était restée sourde aux propos du ministre du gouvernement, et avait occultée cette décision de fin de pandémie, augmentant le climat anxiogène d’un personnel rappelé à son poste lors du pic épidémique, pass sanitaire oublié pour la bonne cause. Le juridique a rappelé le droit. L’erreur n’a trouvé d’autre explication qu’un retard de mise à jour des mots non insérés dans une loi. La loi, rien que la loi, la soumission à l’autorité du fonctionnaire englué dans la contrainte participative a été un réel déchirement quand il s’est agi de la transgresser.
Le personnel non vacciné ne sera pas renvoyé quand le moment viendra, pour cause de disparition des actions de soins. L’hôpital ne saurait fermer ses portes. Sans personnel soignant, pas de prises en charge de la souffrance, pas de gestion des maladies de la population, la catastrophe sanitaire atteindrait le summum du supportable. L’impossibilité d’application de la contrainte avec 70% d’agents non vaccinés semble être une énigme pour les décideurs locaux, mais aussi pour le gouvernement. Quelle équation va se jouer et à quel niveau ? Les conceptions contradictoires seront-elles mises en œuvre ? Ou le bon sens qui est le souci de l’adaptation aux circonstances finira par l’emporter ? Le bon sens est le sens du réel, de la souplesse de l’intelligence, il s’applique aussi bien aux rapports entre les choses ou les idées qu’aux rapports entre les comportements et les situations.
Pendant ce temps, les manifestations disent l’indignité de ceux qui en permanence sauvent des vies, entremêlent les deux catégories de profession les plus aimées, les soignants et les pompiers, font se côtoyer des personnes qui viennent donner de l’ampleur aux refus de ces injonctions. La détermination qui anime les groupes agglomérés se moque du mépris venant de l’intérieur qui affirme selon des statistiques non affinés (on peut faire dire presque n’importe quoi à des chiffres qui sont publiés de façon parcellaire) que les soignants non vaccinés se trouveraient au bas de l’échelle sociale.
La recherche implique des règles méthodologiques incontournables qui valident une hypothèse. Les blessures narcissiques affectent les cibles désignées. Elles ne sont pas gratuites. Elles révèlent souvent la volte-face de certaines personnalités psycho rigides qui voient là l’occasion d’imposer un point de vue, celui qui est légitimé par leur toute-puissance, volonté de montrer le chemin du raisonnable, sans aborder les rives de la tolérance et du respect de l’opinion d’autrui. En rabaissant les non-vaccinés, l’illusion de se trouver dans la sphère d’une élite, symbole de la conscience collective, comme réalité supérieure aux individus, source de toute raison et de toute valeur, les habite.
La parade de la marche arrière
La conscience humaine, caractérisée par le pour soi n’opère aucun recul quand il s’agit de proposer une démarche qui est celle de refuser le vaccin ou de s’en méfier, puis de revenir sur ces dires avec éclat ou subrepticement. Engager sa personne dans une vision individualiste et l’expliciter, se maintenir dans cette posture sans dédire est d’une grande honnêteté. Chacun devrait se sentir responsable de ses œuvres, elles dépendent de lui, et, en tant qu’il peut se proposer des buts, il se sent créateur de certaines valeurs.
De là, s’élève l’affirmation de la valeur humaine. Prônant ce qui lui paraît être de l’ordre de la raison, son estime de soi contribue à identifier le réel. Que se passe t-il quand il décide de revenir sur ses annonces de départ, de faire machine arrière en explicitant ou pas les limites de ses idées antérieures ? Il abolit ses croyances en les niant. Le naufrage des valeurs aboutit à une fuite devant l’être et devant la responsabilité, à un sentiment angoissant de néant, de solitude et de détresse. Il s’accroche à une dialectique sans fondement semblable au mythe de Sisyphe, avec dans ce sillage la supposition d’une vie non conforme à ses théories. Il instaure le désordre et la contradiction, affirmant et niant tour à tour une intime conviction mise à mal. Se donner le temps d’une réflexion aurait été plus que nécessaire. La crédibilité encourt le risque d’un effondrement.
Les déchirures
L’acrimonie engendrée au sein des familles partagées entre l’acceptation ou le refus du vaccin ne repose que sur le besoin d’avoir raison et d’en imposer à celui considéré désormais comme un étranger. Si tu ne penses pas comme moi, tu es contre moi. » Quand l’autorité maternelle protège, l’attaque est souterraine. Le terrorisme de la pensée s’implante de plus en plus et la mise en retrait aussi. Les accusations portent sur des thèmes tels la légèreté de l’être, l’irresponsabilité, l’absence de morale du côté des vaccinés qui subissent aussi les assauts langagiers évocateurs de mort prochaine, de soumission à l’autorité, de peur irraisonnée. Les deux camps n’épargnent pas les mauvaises influences extérieures. Ils s’accordent au moins sur cette affirmation.
Toutes ces critiques se trouvent renforcées par le climat anxiogène de la contamination et la reprise en force de la circulation du virus. Le dialogue est une donnée rendue difficile par la mise en accusation d’un groupe jugé paria qui encombre les lits de réanimation. Les amitiés instaurent une distance par le silence. La difficulté réside dans l’échange impossible à propos de la pandémie. Chacun s’accroche à son savoir, à ce qu’il a compris, ses certitudes et ses affirmations. L’effort pour convaincre le réticent se teinte d’incompréhension. La sphère amicale s’étiole. Les discussions s’interdisent la voie de la neutralité : il faut être anti ou pro. L’aveu coupable du fervent contre avançant une raison non entendue ou mal perçue lors d’une précédente conversation plombe l’atmosphère.
Ce vaccin a réussi à établir une ère du soupçon au sein de groupes apparemment homogènes, bien structurés, dont les liens étaient saturés d’affection. De manière insidieuse, il s’est installé dans l’imaginaire drainant une peur, prenant possession des êtres et de leur intimité. Il crée de différences qui n’existaient pas et leur confère des propriétés organisatrices (phénomène d’induction en chaîne), d’un principe de finalité proche de la transformation de l’espèce.
Il y a-t-il une logique de la contrainte ? Sauf l’intérêt que certains trouvent dans la contrainte de participation : bénéfice pour une personne à s’engager dans un contrat, ce concept interroge les arguments du scepticisme. Cette formule reste la devise des antidogmatismes c’est-à-dire de tous les efforts pour ramener les vérités dites éternelles ou absolues à de petites vérités si relatives à la manière humaine de vivre ou de comprendre relative à l’époque, à l’expérience, au caractère, aux influences, qu’elles ne paraissent plus vraies du tout.
Celui qui exige d’autrui devient vite intolérant ou fanatique. Celui qui croit « détenir la vérité » comme on détient un avoir immuable est un être qui doit inspirer de la méfiance. La vérité n’est pas essentielle à la logique si on considère que la logique peut très bien aider à mettre sur pied un mensonge qui se tient, c’est-à-dire qui ne laisse pas de prises à la réflexion d’autrui. Elle peut servir à organiser n’importe quoi, l’essentiel pour elle est d’organiser selon les principes de la raison.
Convaincre et non contraindre, était le projet de départ.
Fait à Saint-Claude le 19 septembre 2021