Publié dans Le Progrès social n° 2507 du 09/04/2005
Les violences scolaires empruntent de multiples formes :
- Violences entre les personnes scolarisées( agressions verbales et physiques, rackett, vol, viols et tentatives de viol)
- Violences envers les enseignants dedans et hors l’établissement
- Violences envers les locaux et le matériel( dégradations)
- Violences des enseignants envers les enfants
- Violences des parents envers les enseignants.
Ce phénomène a toujours existé, mais a été longtemps tu à cause de la volonté de doter l’Education Nationale d’une image de marque, à cause aussi de la honte de l’enseignant à dévoiler les agressions dont il était l’objet.
Aujourd’hui en accroissement, l’observation et l’étude du processus ne reflètent quand même pas la réalité des faits parce que les fiches de signalement mises à disposition dans les établissements sont rarement remplies et envoyées au centre de traitement.
Les auteurs de violence sont en plus grand nombre des élèves de collèges et quelques inconnus, puis ceux des lycées professionnels, enfin ceux des lycées. L’absentéisme qui est un comportement déviant se retrouve partout avec une dominante dans les lycées professionnels. La violence est plus le fait de garçons que de filles, elle apparaît de manière précoce dès les classes de CE1 et de CE2 : elle touche donc l’enseignement primaire. Le rapport dominant/dominé se fait jour au début dans le rackett du goûter, des billes puis du portable. Très tôt le sentiment d’impunité et la loi du silence se développent. L’enfant victime en proie à la dévalorisation et à la culpabilité( incapacité à se défendre, dissimulation de l’outrage subi) afin de se reconstruire narcissiquement va côtoyer les plus durs en leur prêtant main forte( phénomène de reproduction.) Dans les collèges et les lycées, le port du cutter, du couteau et des armes à feu signale l’assise de la grande délinquance. La fréquence des actes de violence est à mettre en relation avec le nombre d’élèves en difficultés scolaires. La périodicité des actes se situe la veille ou après les vacances, avant et après les conseils de classe.
L’augmentation de l’indiscipline, de l’agitation et du bruit rend difficile l’exercice du métier d’enseignant dont l’autorité est remise en cause ; il a du mal à se faire respecter. Les incivilités( injures, absence d’écoute) alimentent un climat malsain ouvrant le questionnement sur le sens(en crise) de l’enseignement. Le malaise et le sentiment d’insécurité dus à cette forme larvée de violence, plus insidieuse que les violences brutales assoient la certitude d’une dégradation constante, élargissant un fossé entre les deux entités en présence. Le report du comportement du milieu social à l’école, déroute l’enseignant parce que ses règles ne lui sont pas accessibles : par exemple l’utilisation intempestive du signal d’alarme, les cris de guerre des sioux, donnent une impression d’impuissance et de harcèlement. Cette violence est révélatrice d’une forte crise du lien social, à telle enseigne que les parents convoqués ne viennent pas, assurant l’enfant dans sa toute-puissance négative.
La violence augmente alors que l’échec scolaire est en diminution. Ce constat met en relief la présence d’une population qui ignore les règles et les repères du milieu scolaire, qui n’aurait jamais pu autrefois prétendre à une scolarisation dans un cursus aussi long. Il ne s’agit pas d’un problème de socialisation mais d’une confrontation au savoir. Ne pas comprendre ce qui est demandé constitue une blessure d’amour-propre doublée d’une absence de sens des choses enseignées.
Pour le professeur, l’élève n’est pas du niveau de la classe ; l’élève pense que c’est l’autre qui est mauvais enseignant à moins qu’il ne se juge nul lui-même. La dignité personnelle et professionnelle de chacun fait naître une tension et un risque de violence. Le dérapage relationnel dans l’affirmation des deux « je » en présence nourrit le conflit à partir du moment où les émotions cessent d’être régulées. Si personne ne cède, refusant de perdre la face, en absence de médiation, la situation devient explosive. La tendance à considérer une scission entre les bons et les méchants, creuse un fossé jamais comblé. Comment après cela se conçoivent le statut et le rôle de chacun ?
La violence scolaire n’est que le pâle reflet d’un ailleurs, de problèmes inhérents à la sphère psychosociale de l’individu :
- Conflits relationnels familiaux( effondrement des valeurs morales et religieuses au sein de la famille)
- Difficultés de communication
- Mal être existentiel du à cette période de l’adolescence, quête identitaire provoquant des coups de « folie »
- Agitation à la place de la déprime( tentative de suicide ou suicide)
- Prise de substance psycho active( poly toxicomanie)
- Pauvreté culturelle
- Début de marginalisation.
La violence a des conséquences personnelles et professionnelles. Hormis les blessures physiques, les souffrances traumatiques débouchent sur la dévalorisation de l’image de l’enseignant( atteinte de l’identité professionnelle dans le sens de son engagement, de ses croyances, de ses valeurs) entraînant un sentiment d’échec contraire à sa condition d’adulte responsable, doté d’une maîtrise de soi. Il se sent disqualifié dans le désaveu de son rôle, honteux, humilié, il est en butte au pire des cas à des idées suicidaires, des ruminations mentales, des comportements d’évitement(phobies), d’insomnies doublées d’un état d’alerte et de tension.
Ce processus psychopathologique présente le même tableau que le stress post-traumatique. Pour les élèves victimes, la baisse de l’estime de soi est importante dans les cas de violences sexuelles, ils subissent aussi les effets du stress.
L’école possède les ressources pour endiguer et même prévenir cette violence. Elles passent par la formation adaptée des enseignants qui ont la possibilité de la recevoir par le biais de l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres(IUFM), par le contact avec les parents(dialogue et orientation) qui ferait renoncer au « tout psy », par le travail en partenariat avec d’autres services de l’Etat(culture, jeunesse et sports, santé, justice) permettant de suivre les évolutions du système éducatif et d’adapter ses actions aux élèves.
Cependant le chef d’établissement demeure le relais indispensable de la politique éducative en matière de prévention des conduites à risques. Il doit garder sa dimension hiérarchique, morale et relationnelle, ce qui accroît sa possibilité à gérer les difficultés. Garant des règles de vie de l’établissement, il doit veiller à ce qu’elles soient effectivement appliquées par tous et pour tous.
A ne pas négliger la participation à la médiation des conseillers d’éducation, des psychologues scolaires, des infirmiers qui ont un rôle à jouer au niveau de la prévention de la violence et de sa diminution. Il est indispensable dans le milieu scolaire d’entretenir un rapport satisfaisant à la Loi avec un règlement intérieur clair et visible, un système de sanction bien défini applicable à tous.
C’est vrai que l’école est basée sur l’uniformisation des savoirs, en cela elle est élitiste. Elle s’arroge comme mission ce piège du « tout professionnel » érigé uniquement pour l’accès à l’emploi. On y joue toute sa vie. Elle ne démontre pas qu’elle peut être un lieu d’apprentissage de choses n’existant nulle part ailleurs, un lieu où trouver des repères pour mieux comprendre la vie, un lieu où forger des identités et mieux vivre en commun.