Publié dans Le Progrès social n°2656 du 15/03/2008
La question de la croyance est toujours posée en direction de la magie et de la sorcellerie. Met-elle le sujet dans une situation attentiste, entrave t-elle son dynamisme, la cantonne t-elle à l’accusation des autres en l’inscrivant au registre des victimes ? En 2008 doit-on croire aux maléfices, à Belzébuth et aux zombis. Espère t-on que les poules dans les trois chemins et les crapauds aux gueules cadenassées en période électorale aideront à battre l’adversaire ? La modernité a augmenté le niveau de vie mais n’a pas gommé l’incertitude du lendemain, la crainte de l’environnement et la méfiance envers autrui. Persuadé que la jalousie est le moteur des attaques perfides d’ennemis connus et inconnus, le sujet se doit de se protéger. Depuis des siècles, la sorcellerie fait partie de l’histoire des sociétés humaines sous des angles modelés par la croyance populaire et la culture du milieu de l’individu. Des campagnes les plus reculées aux grands centres urbains, elle est considérée comme une réalité profonde dont certains se disent capables de fournir des preuves. Envisagées sous ce versant révélateur d’une mentalité qui colore nombre d’attitudes de la vie quotidienne, sa survivance et son évolution sont les références d’un ancrage dans la personnalité donc de la psychologie d’un peuple.
Il faut décrypter les données culturelles pour comprendre et expliquer les comportements individuels en les resituant dans le contexte global du comportement collectif ; c’est-à-dire le sens de l’univers social et affectif qui en dicte les fondements. La culture féconde l’humain en imprégnant largement ses mécanismes psychiques où se démarquent les signes qui sont autant d’indices d’une articulation significative puisque loi, morale, système de croyances ( magie et religion) s’emboîtent de manières diverses pour régler la conduite des hommes dans le sens d’une syntonie groupale. La religion apparaît comme un système de classification, une façon d’ordonner et de conceptualiser l’univers en y distinguant des types multiples de pouvoir et de puissance. Cependant l’homme n’a pas conscience d’avoir inventer la religion. Il a l’impression que c’est le monde lui-même qui est religieux. L’homme religieux croit à une réalité absolue qui transcende le monde, le sanctifie et le rend idéal. Sa perte, son absence son manque crée de l’angoisse. Dieu est extérieur au monde et présent dans la croyance : le point de rencontre de la divinité avec l’homme se produit dans l’âme de chacun sous forme d’un commerce personnel entre deux sujets. Le lien de chaque individu avec dieu traduit le rapport fondamental de l’homme avec son créateur. La preuve de l’existence de Dieu est contenue dans l’idée d’indéfini. « J’ai l’idée de Dieu, donc il existe. » Magie et religion suivent la même démarche : elles permettent la représentation des choses. Toutes deux se meuvent dans l’imaginaire, la magie le sait, la religion feint de l’ignorer. Le croyant croit apercevoir les indices concrets de l’amour que Dieu lui porte. Il interprète les gestes et le évènements en dépit de leur signification sociale. Si la religion reçoit une totale adhésion dans sa pratique c’est qu’elle valide l’existence de la conscience morale et des valeurs morales. Dieu a un pouvoir de souveraineté ; il dispose d’une force supérieure lui permettant une entière domination sur autrui. Cette puissance lui donne un caractère double et contradictoire : Dieu de bonté, mais aussi Dieu vengeur. La malédiction divine, l’injuste de la disparition d’un jeune enfant, l’imprévisibilité des catastrophes lui sont imputables. Cependant l’humain a besoin de religion car elle remplit une fonction de libération émotionnelle. Le rite offre un recours apaisant, il procède à une épuration intérieure de ce qui inquiète. Le rite a une valeur organisatrice à l’égard de l’agressivité ; il permet qu’elle se transforme en quelque chose de plus acceptable qui diffère le passage à l’acte. Par exemple, la prière est utilisée comme un acte de sorcellerie : celle de Saint Bouleverse faite en direction de l’ennemi soulage pour deux raisons : elle répare le mal commis par l’autre, elle venge en sachant que le choc en retour est opérant. Quelle est la différence d’intention contenue dans ce choc en retour et le choc en retour(renvoi à l’agresseur de l’acte de sorcellerie) incurable de la magie ? Hormis ses fonctions positives, la religion contient son versant négatif quand un mouvement archaïque religieux désire enfermer la femme dans une position inculte : réalité qui souligne le mépris dont elle est l’objet. Aucun Dieu de bonté ne saurait l’admettre. La désobéissance des croyantes pratiquantes ou pas, se jaugent à l’échelle des pratiques sexuelles. Elles se protègent malgré les interdits et avortent parce que la modernité garantit la limitation des naissances. Mais la transgression de l’interdit n’est pas aussi patente dans certains groupes qui maintiennent vivace le refus de la transfusion sanguine, au risque de perte de vies. Le dilemme est grand quand l’équipe médicale explique la nécessité vitale de cet acte et les conséquences du refus. La raison prend rarement le pas sur la prégnance des lois religieuses. Le malaise provoqué par la prise de position contraire à la foi, n’est pas facile à évacuer. Des années après un avortement, des femmes ont au moment du surgissement d’un malheur, mis en relation la transgression de l’interdit et la punition divine, la culpabilité remontant à la conscience.
Le phénomène magique semble différent du phénomène religieux. Cette différence tient à l’organisation du rituel. Est magique tout rite qui ne fait pas partie d’un culte organisé, tendant à la limite vers le rite prohibé. La magie agit à l’aide des forces de la nature tandis que la religion suppose la transcendance du sacré. Pourtant la magie remplit aussi des fonctions : fonction sociale, fonction psychologique. Le fait d’avoir recours à la consultation magique quand tous les chemins sont barrés par la volonté d’autrui, empêche le passage à l’acte direct. La grande victoire consiste à s’être sorti de cette mauvaise passe. La déception de l’ennemi n’en sera que plus grande. La socialisation de l’agressivité passe par l’identification du conflit et sa résolution. La consultation magique, en identifiant l’agresseur, en le nommant, donne l’assurance d’une réparation des dommages causés et rend opérant un mode de régulation/symbolisation de la pulsion agressive. Le mécanisme de défense autorise le passage d’un mode de fonctionnement mental à un autre, dont la fonction élective est non seulement une dissolution de la tension mais aussi l’entreprise combinatoire d’un changement des conditions internes qui la provoque. Si l’activité première est génératrice de conflits psychiques, secondairement l’activité fantasmatique réitère la possibilité d’une prise du désir sur le réel. La magie est un exutoire culturel, elle emploie les objets de l’église, ( bougies, hostie, argent de la quête, médaille bénie) à des fins de manipulation. Le magico-religieux s’étend à toutes les strates sociales parce qu’il est une construction symbolique qui possède son efficacité psychique. Il n’y a pas de contradiction fondamentale pour un consultant à maîtriser Internet et les contenus de la Science et accepter qu’un praticien de la magie mette un balai cassé en trois dans un quatre chemins pour lui trouver, favoriser ou maintenir un emploi. Le bain démarré met en de meilleure disposition le candidat au concours. A défaut d’être ensorcelé, les effets bénéfiques des feuillages et des parfums l’aideront dans sa réussite. L’impossible se retranche derrière la certitude. Il n’y a pas d’un côté les bons et de l’autre les méchants, mais des représentations qui suscitent l’angoisse et d’autres qui permettent d’en tirer bénéfice. Et ce sont les mêmes motifs qui en sont les supports. La croyance permet de lutter contre l’expérience de la souffrance. La répétition d’expériences rassurantes autorise l’intégration du vécu et de l’imaginaire. Elle structure le processus des conflits psychiques en objectivant une nouvelle réalisation de soi. Elle ouvre une perspective idéale construite sur un désir dans le pacte qu’elle sous-tend avec la culture.