« Allez, à quatre pattes, aboie, plus fort, couché. Le couple sado/maso est à regarder au travers du prisme d’une époque. Les grands-mères de quatre-vingts ans auraient levé les yeux au ciel, fait trois signes de croix et bouché leurs oreilles au récit d’une sexualité jugée hors norme, elles à qui on a raconté que l’interdit de la nudité avait confectionné de longues chemises de nuit avec un trou pour le coït marital. Les alcôves étaient soumises au jugement de Dieu.
Aujourd’hui, le fouet de la dominatrice et autres accessoires de torture font partie de la panoplie jouissive des catégories d’âge diversifiées. L’utilisation des réseaux sociaux donne un cadre légal à ces sexes montrés et regardés en toute liberté démontrant que le couplage exhibitionnisme/voyeurisme, est à l’œuvre au quotidien et ne choque personne. A l’instar du sadomasochisme ces comportements ne sont catalogués déviants uniquement quand ils ont un impact négatif sur la psyché des individus.
Les vidéos fait maison de partenaires de plus de 55 ans, dans des ébats créatifs sont regardées par eux comme témoin d’une puissance sexuelle auréolée de plaisir, une montée en flèche de leur désir en berne, une réassurance vis-à-vis de l’immortalité : la promesse d’une éternelle jeunesse.
Le couple échangiste, par le biais d’internet n’a plus besoin de clubs dédiés pour organiser une rencontre. L’outil informatique est propice à la dissimulation dans un petit pays où tout se sait. Les hôtels de passe offrent une sécurité quand les logements sont peuplés et les plages dangereuses.
Le frotteur a peu de marge de manœuvre privé de la foule debout des transports en commun des pays lointains (ici on s’assied, chacun a sa place.), il se rabat sur les concerts en plein air, les fêtes de quartier, là où s’agglutinent les gens au corps mouvants. II tombe sous le coup de l’interdiction mais sans preuves formelles, la sanction est corrélative à sa force de dénégation. Puis la victime prend souvent ses désirs pour la réalité n’est-ce pas.
La Clystérophilie, plaisir obtenu par lavement, demeure floue dans la mesure où la demande tourne autour du nettoyage des intestins, à un professionnel de santé. Volupté sous couvert d’un soin prescrit, hypocrisie et faire semblant, la demande est régie par une limite de prescription. Mais que peut-on qualifier de déviances sexuelles dès lors que la libéralisation des mœurs a transformé les normes et les valeurs, élargissant le champ de la sexualité. Le Manuel des maladies mentales (DMS III) dans sa classification, inclut dans le domaine de la paraphilie, autre dénomination des déviances sexuelles les comportements non classiques pour les pudiques, à partir du moment où ils génèrent une souffrance chez le sujet avec risque d’effondrement psychique, donnant lieu à une altération de l’environnement social, professionnel, familial. Par ailleurs, a été déclassifiée de ce manuel l’homosexualité depuis 1980, qui ne figure plus dans la liste des troubles mentaux. Et il va sans dire, que les représentations ne sont pas statiques et que le sexe demeure affaire de principes, de normes de groupe, revendiquant une légitimité.
Par exemple, les pratiques admises quand elles génèrent un dysfonctionnement comme dans le cas de l’homme privé de coups de fouet par lassitude de sa partenaire dont le dégoût avait atteint le paroxysme, elle qui s’était prêtée à ce jeu par simple curiosité sans en mesurer l’impact sur son surmoi, oblige à reconsidérer certains paramètres. Le manque ayant induit un trouble dépressif, le secret a été éventé dès lors que l’attitude de l’homme envers ses enfants sous-tendait un besoin d’humiliation. La sérénité familiale s’en est ressentie, l’image du père s’est fissurée. Tant que les adultes s’adonnent à des pratiques volontaires comme la morsure d’un sein masculin jusqu’au sang, il n’y a pas lieu d’y porter jugements. En revanche, le sadisme dans sa définition de : faire souffrir autrui pour trouver dans cette souffrance une jouissance sexuelle, tel le piqueur à l’aiguille des dames en tout lieu public, correspond à une agression. Parler de déviances sexuelles, c’est établir une gradation de l’acceptable à l’interdit jusqu’à l’insupportable. Celles qui se cantonnent aux perversions en ne causant aucun dommage à autrui relève d’une volonté de demande de soins quand un événement majeur intervient et érige la honte de soi. Fétichisme exhibitionnisme, voyeurisme ou sadisme se retrouvent autant chez les femmes que chez les hommes. A petites échelles certes, tous ces comportements ne font pas partie de conversation de salon mais on les retrouve dans la population guadeloupéenne. « Laperversion existe, elle est fréquemment incarnée mais chose étrange nous ne savons pas comment ». J Lacan 1975
Le fétichisme est moins patent. C’est une dimension symbolique de l’objet qui produit une cristallisation complète du fantasme. Le substitut de l’objet sexuel est une partie du corps ou un objet inanimé. Le substitut remplace la personne sexuelle. Faudrait-il encore que le fétichiste trouve une partenaire qui se plie à son désir quand il lui enfile une paire de bottes rouges au moment de l’acte. Sa collection allant du 38 au 40, sa recherche de partenaires se limite à l’estimation de ces trois pointures. Le fétichisme peut virer à l’exhibitionnisme ou au travestisme. Il peut être pathologique quand on garde à vie cette prédilection, quand l’impulsion est irrésistible et quand le caractère exclusif de l’objet s’ancre dans la satisfaction sexuelle au détriment de sa globalité. Une prise en charge psychanalytique est sollicitée après l’envahissement de la honte comme chez cet exhibitionniste surpris par son entourage et qui parvient à maîtriser de plus en plus son malpoli. Mais celui qui fait le tour des prostituées afin de collecter les préservatifs gorgés de sperme pour en gober le contenu sera ou à cause d’une enchère sur les prix ou à cause du manque, dans un marasme psychologique, contraint à une autre attitude déviante, par déplacement, peut être dangereuse pour lui et pour les autres.
Les déviances sexuelles peuvent se considérer sous l’angle du préjudice causé.
Le viol est en inflation et n’épargne ni les enfants ni les femmes ni les adolescents ni les hommes. Je n évoquerai pas les aspects sociohistoriques, car ce qui se joue là va par-delà la représentation de la femme propriété de l’homme. Les violeurs se recrutent aussi bien parmi les psychopathes, les débiles mentaux, les psychotiques et les pervers. Les pédophiles occupent une place à part. Les viols collectifs n’ont pas la même signification que le viol individuel.
Mis à part les atteintes psychopathologiques, le violeur est souvent monsieur tout-le-monde qui n’avoue presque jamais son acte qui serait la preuve que sa victime ne l’a pas reconnue comme homme sexué. Il doit toujours composer avec ses conflits internes et avec la loi. Dans son rapport à la femme, il idéalise son objet d’amour et salit son objet de désir sexuel : c’est le classique syndrome de la sainte et de la putain. Impuissant psychique, il est incapable de développer un espace intermédiaire de séduction qui lui permette de provoquer le désir de l’autre, un danger qui réveille son angoisse de castration. Il n’obtient une satisfaction génitale qu’avec une prostituée ou une femme instrument, celle qu’il viole et dont l’absence de désir d’être pénétrée, est niée. Une personne qu’il ne puisse en aucun cas confondre avec sa mère. Le viol est inscrit dans la catégorie crime.
L’incestueux ou le pédophile est un sujet qui refuse le monde des adultes. Dans la moitié des cas il a été victime de viol ou d’inceste, son mécanisme de défense étant une identification à l’agresseur. Il épouse volontiers une femme qui a des enfants en bas âge et sa profession le met souvent en contact avec eux : médecin, éducateur, enseignant, prêtre. Il n’éprouve pas de remords et sa stupéfiante froideur démontre qu’il ne tient pas compte de l’objet de son désir, l’enfant impubère. Le parent incestueux tue l’enfant en son enfant dans une attaque radicale de toute position différenciée en une scène primitive agie, dans la mesure où il n’y a pas eu chez lui de fantasme de scène primitive véritablement organisateur. L’inceste en acte vient signer le déni de la différence des sexes et des générations.
L’inceste maternel plus rare sous forme d’actes génitaux caractérisés et les relations sexuelles entre un fils adolescent et sa mère sont le fait d’une mère au fonctionnement psychotique. Mais les soins de puériculture dissimulent parfois des comportements pernicieux. L ‘enfant peut être l’objet sexuel indirect d’une mère à travers un allaitement addictif, des soins intrusifs répétés (suppositoires, contrôle de l’hygiène des organes sexuels pour induire le sommeil.) Ces incestes-là ne sont pas pénalisés. Les incestes précoces peuvent entraîner des incestes à l’adolescence. Souvenirs traumatiques oubliés, longue émergence de souffrances anciennes, ébranlement douloureux de clivages protecteurs, la cure tend vers une modification de l’économie psychique qui ne permettra pas l’effacement du trauma mais son insertion dans une souplesse psychique retrouvée avec la mise en place de d’autres mécanismes de défense moins invalidants que le clivage et le déni. Les faits peuvent être présents dans la mémoire des victimes sans que les désastres psychiques soient moindres. Le problème n’est pas celui de l’oubli des faits mais du destin des affects complexes qui les ont accompagnés : rigidité d’un fonctionnement psychique, appauvrissement fantasmatique. En France on vient de chiffrer le coût des agressions sexuelles chez les mineurs : plusieurs milliards d’euros. Mais sait-on calculer le prix du traumatisme qui dure parfois toute une vie ? Une prévention est possible, faudrait-il encore la conceptualiser.
La nécrophilie est le viol de cadavre mais ne constitue ni un délit ni un crime sexuel. L’horreur qu’elle suscite à certainement contribuer à ne pas la nommer dans les textes de loi. La loi punit la profanation, la violation de sépultures ainsi que toute atteinte à l’intégrité du cadavre par quelques moyens que ce soit. La nécrophilie conserve le caractère d’un crime moral exceptionnel jugé au cas par cas. Il n’est pas considéré comme un acte sexuel déviant mais comme une transgression majeure qui bafoue un interdit, le rapport entre deux mondes distincts supposés ne communiquer qu’exceptionnellement, celui des morts et celui des vivants.
La zoophilie est un acte sexuel avec les animaux. Un site spécialisé dans la zoopornographie dispense un complément de jouissance aux adeptes de ces attitudes. Les chiens, les chevaux ; les cochons, les chèvres, les poules et les vaches selon la zone géographique, sont utilisés au bon plaisir de leurs propriétaires. Punie par la loi, les vétérinaires n’osent pas faire de signalement non par méconnaissance du problème mais par crainte de vexer une clientèle somme toute bien sympathique. Quand, à la consultation du généraliste, il est porté un diagnostic de zoonose, maladie transmissible entre l’animal et l’homme, le médecin ne pose jamais la question de l’animal de compagnie dans le lit, pas plus que le gynécologue qui fait le constat que sa cliente est une adepte du cunnilingus canin. Seule la dépression pousse la porte de la psychanalyste en différant l’aveu d’une relation prohibée.
Le ressort de certaines conduites ne rentre pas dans la catégorisation des classes sociales. On les retrouve dans la population à des degrés divers. La différence tient au statut qu’on lui octroie, plus décrié en milieu rural, mais on sait que la ville n’est pas distante de la campagne, seul le faubourg les sépare. Donner du sens à ces actes inexpliqués, reste du domaine de la psychopathologie qui vole au secours du pénal. Le traitement des agresseurs sexuels, des délinquants sexuels, est fonction de la connaissance d’une clinique qui doit se porter garant des rechutes.
Le traitement des agresseurs sexuels
La prise en charge psychologique de l’agresseur sexuel incestant ou non émane rarement d’une demande personnelle. Elle est soutenue par l’injonction thérapeutique qui selon les cas se perçoit sous des angles multiples : positif, contrasté contraignant inutile, sans jamais se départir de son caractère paternel. Comment dès lors aménager les dispositifs de soins qui tiennent compte de l’obligation sachant que le sujet désirant est dans l’absence ? Quelle que soit la méthode employée, le thérapeute ne saurait être confondu avec le judiciaire car de l’espace entre les places respectives du juge et de l’analyste, naît met le transfert.
La perspective de prise en charge
Tous les agresseurs sexuels ne pouvant être rangés sous la même analyse, certains indicateurs paraissent favorables à la mise en place d’une psychothérapie. Trois éléments semblent déterminants dans l’entreprise du projet thérapeutique :
- La reconnaissance de l’acte.
- La reconnaissance des conséquences de l’acte.
- Le sentiment de honte et de culpabilité.
La reconnaissance de l’acte est un des critères d’une prise de conscience dans la mesure ou le projet thérapeutique consiste à opérer un véritable saut de l’acte à la pensée alors qu’une cloison est érigée entre l’acte et les conflits internes, c’est-à-dire que le sujet ne comprend pas ce qui lui arrive dans la plupart des cas. Le sujet touche n’importe quel autre, n’importe comment en fonction de la montée d’excitation. Il y a là une forme de distinction qui n’a pu s’opérer : le double interdit du toucher est défaillant. Cette défaillance permet de comprendre que le sujet n’a nul besoin d’être agressé dans l’enfance pour être agresseur. Différents niveaux apparaissent dans la reconnaissance de l’acte. Ceux qui ont subi une agression sexuelle dans l’enfance n’hésitent pas à reconnaître les faits. Les agresseurs d’adultes ont une perception faible du délit, ils reconnaissent rarement totalement les faits. Les violeurs de mineurs sont réticents à reconnaître les faits au contraire des agresseurs de mineurs. L’agression sexuelle correspond à : « Tout atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ». Article 222. 22 du code pénal en vigueur depuis le 1 mars 1994, section 3, livre II :« Le viol est un acte de pénétration de quelque nature que ce soit ». Article 222. 23.
Les définitions juridiques ne sont citées que pour mieux étayer les particularismes de la dénégation. Les violeurs de mineurs ne reconnaissent pas la pénétration et les agresseurs de mineurs ne reconnaissent pas la violence. Les premiers mettent l’accent sur le consentement de la victime, sa séduction, son absence de virginité surtout chez les sujets incestants. Pour quelques-uns ce n’était qu’un jeu. Le déni de l’acte est un retournement de la culpabilité, l’excitation ne vient pas de l’agresseur mais de la victime. On pénètre dans le champ psychique indéfini dedans/dehors sans contours marqués.
La reconnaissance des conséquences de l’acte se perçoit d’abord pour lui l’agresseur. Ces conséquences sont par ordre décroissant sociales, pénales, morales. La perte d’emploi occupe le devant de la scène venant là mettre en exerce un préjudice subi par l’incarcération : ceci montre la difficulté à relier le caractère du délit et du temps d’emprisonnement. Les conséquences pour la victime sont peu évoquées ; quand elles le sont, elles portent davantage sur les effets psychologiques : perception temporelle du traumatisme associée à la perception de la transformation du monde de la victime :« elle a perdu ses repères, elle n’aura pas confiance dans l’adulte ». En filigrane se profile une sorte d’omnipotence : « elle ne pourra pas oublier », dans l’ambiguïté d’avoir marqué la vie de l’autre à tout jamais rendant l’oubli interdit, comme dans la parole sur l’atteinte de la sexualité : « elle ne pourra pas s’épanouir sexuellement avec un homme »
Les suites de l’acte sont banalisées. Elles ne sont jamais vécues comme effet direct du franchissement de l’interdit ayant porté atteinte à l’identité de la victime. Le retournement affranchit des responsabilités : « <Ce n’est pas l’acte qui est le plus traumatisant mais le passage devant le juge, les examens médicaux, les entretiens. », avoue-t-il. Il arrive que les conséquences soient reconnues et retournées à la fois : « elle fera plus attention une prochaine fois »
Ces éléments démontrent à quel point la violence morale de l’acte n’est pas repérée par l’agresseur. La névrose de la destinée chez les violeurs dans l’enfance accuse la fatalité de les pousser vers un passage à l’acte qui met fin à ce qui doit de toute façon arriver.
La honte et la culpabilité s’inscrivent sur des tableaux différents. Le premier est du registre narcissique, le second recouvre la dimension de l’objet (l’autre). Ceux qui éprouvent de la culpabilité expriment le désir de changer et sont soulagés d’avoir été arrêté. Ils sont en butte à une lutte interne générée par la difficulté de contention des défenses
Le sentiment de honte et de culpabilité n’amène à aucune élaboration psychique s’il n’est lié à l’évaluation des conséquences. Il ne saurait être considéré comme un indicateur privilégié de la prise en charge psychothérapique ; cependant il arrive dans certains cas à infléchir une tendance à la prise de conscience surtout chez les sujets disant avoir agi sous impulsion, soulignant leur état second au moment des faits mais reconnaissant l’anormalité de l’acte. Un sujet à une fois abordé la possibilité d’une lobotomie. Cette allusion s’inscrit comme un acte de mutilation/castration semblable à une violence sacrificielle. À travers le dire, il souligne l’incompréhension du comportement sans fin envisageable La psychothérapie doit être le lieu de contenance psychique dans ce processus du comportement qui remplace la pensée. L’agresseur n’est pas dans le passage à l’acte, il bascule dans l’acte. L’analyste doit faire en sorte que le sujet soit capable de mentaliser avec efficacité son acte, de mettre des mots sur une histoire personnelle donc de la percevoir. En allant à la rencontre de l’acte dans la parole il en prend possession, il se transforme ainsi en personne souffrante se dépouillant de l’étiquette d’agresseur, il met à nu sa blessure. Peut-on se cantonner à la règle de la libre parole laissant le choix au sujet de dire ce qu’il veut aborder, autorisant la réticence d’une parole qui met du temps ou qui ne vient pas ? Ne pas orienter vers le récit, c’est alimenter le déni de l’acte, de le retrancher de la dimension de cette loi humaine organisée autour des sexes et des générations.
En Guadeloupe, les agresseurs sexuels après emprisonnement ou non, sommés par l’injonction thérapeutique bénéficient de l’opportunité de la prise en charge. Ce n’est pas suffisant. Il faudrait chez ceux qui sont incarcérés, durant cette période en susciter la demande. Le traitement doit se faire en prison dans le cadre symbolique mis en place par le monde culturel.
Fait à Saint-Claude le 16 juin 2023
