Le vaccin du refus

23 juin 2021 : En France, le taux vaccinal de la population de 52 millions est de 46,45% de personnes ayant reçu une dose et de 25,35% ayant reçu deux doses Le projet est d’atteindre les 60% à la fin de l’été. 60% reste éloigné d’une réelle immunité collective disent les scientifiques.

Après avoir traîné les pieds, la perspective des vacances s’appuyant sur le pass sanitaire, a généré des files d’attente devant les vaccinodromes adaptés à l’afflux des bras prêts à la piqûre. Puis, l’enthousiasme est retombé. La date de péremption approchant, le ministre de la Santé a fait grise mine. La vaccination s’est élargie de plus en plus aux tranches d’âge jusqu’à se limiter à la douzième année de vie. Ecouler le stock de façon altruiste vers les pays émergents, était une suggestion faite par COVAX (accès mondial équitable aux vaccins), solution empreinte de bienveillance à l’égard des plus démunis, qui évitait de jeter les flacons. Il a été plus rentable d’augmenter le nombre de candidats à la deuxième dose hors du périmètre de résidence, donc sur les lieux de vacances.

En Guadeloupe, 20,41% de personnes de plus de 18 ans ont reçu une dose de vaccin. Espère t’on franchir cette barre de façon progressive et dans combien de temps ? Si rien ne bouge, la date de péremption va entraîner l’arrêt des commandes, avec le risque de déconstruire le projet élaboré en dehors de toute production collective de connaissances au sein d’un système complexe cherchant à relier des savoirs théoriques, des savoirs d’action et les résultats des actions. C’est-dire qu’un système apprenant doit être conçu pour permettre d’interpréter, de décrire, de travailler sur le sens et la pertinence des choix. Comment dès lors proposer des modes et des voies d’implication à ces femmes, à ces hommes, sans qui rien d’essentiel ne saurait se faire ? Rien de durable ne peut s’imaginer sans eux. Pourquoi ignore t’on que tout système est corrélatif à une entité morale qui doit respecter les humains, les valoriser, veiller à leur développement social, intellectuel, culturel ? L’implication des gens et leur type de conduite s’accrochent aux notions d’efficacité rassurante basées sur les questions de pouvoirs, de style employé (symboles, enjeux, responsabilisation). Le style accepté est en adéquation à la culture ; et ses effets sont observables selon la structure de la gouvernance. La gouvernance désigne une manière de gouverner, elle remet en cause le modèle qui fondait le gouvernement d’une organisation sur l’autorité, la hiérarchie et une puissante bureaucratie. Elle permet de décrire les transformations des pouvoirs locaux dans leurs rapports au pouvoir central. Elle exprime une volonté de ce dernier de chercher à réformer sans cesse toutes les responsabilités locales dont les politiques de santé.

Qu’observe-t-on ici ? Que les décideurs locaux n’ont aucun rôle à jouer dans la gestion de cette crise sanitaire. Le renforcement du pouvoir central ne leur a pas laissé d’espace. La sourde oreille à propos d’une délégation de médecins cubains offrant leur savoir, la venue de l’équipe médicale de l’armée sur l’île alors que la France était en pénurie de soignants au plus fort du temps des hospitalisations en réanimation, ont alimenté la méfiance envers une prise en charge noyée sous la contradiction des scientifiques, des politiques.

Quelles sont les causes de ce taux vaccinal à 20,41% ?

  • Ce ne sont pas tant les fakes news que les annonces officielles jetées en pâture à un public non habitué à ces mots nouveaux, interprétés en fonction de ce qu’il percevait de façon individuelle. Personne sur un plateau télévisé ou une émission radio pour débattre, avancer une théorie, expliciter ne serait-ce que le mot virus. La Guadeloupe a des scientifiques, infectiologues, épidémiologistes, virologues, comme partout ailleurs. Quelle interprétation donnée à cette absence de débat capable d’inscrire dans l’imaginaire le danger sans catastrophisme et les moyens de s’en protéger, avec des mots ayant une résonnance profonde pour la population ? La répétition d’une obligation vaccinale, démonstration caméra au poing, a augmenté l’incrédulité de la démarche jugée inutile. Et quand ce chef d’entreprise, au journal télévisé de 19h30 ; a affirmé que les personnes qui étaient en réanimation n’étaient pas vaccinés, les commentaires ont fusé avec force. « Depuis quand était-il médecin ? » Cela signifie que n’importe qui pouvait s’emparer d’un sujet sérieux et y aller de sa harangue, et en fonction de ses intérêts économiques. La manœuvre a amoindri le sens du mot : nécessité. Nécessité d’une protection pour soi, et aussi pour les siens, effeuillant par la même, l’affiche touristique. Tout le monde sait, personne ne sait, tout et le contraire de tout s’égrènent en permanence, obstruant la compréhension et le temps de réflexion.

La durée de l’immunité est incertaine. Se faire vacciner deux mois, six mois après la positivité ? N’y aura-t-il pas pléthore d’anticorps ? La récente annonce d’un test avant vaccin donne la mesure d’un non-savoir à ce propos. En France le ralentissement de la demande est un fait observable.

  • Le style a eu une influence sur l’attitude du refus. L’impression d’une sanction due au bas taux vaccinal par le maintien du couvre-feu alors que la circulation du virus était en légère baisse, a avancé les lèvres en signe de mécontentement. Le chantage rend irritable, surtout que dans d’autres pays où les personnes étaient vaccinées, la contamination était repartie à la hausse, augmentée du variant delta, anglais, brésilien, sud-africain, de plus en plus infestant. « Madame un variant c’est quoi ? » L’occasion ratée d’une explication rationnelle et sécurisante.
  • La mémoire traumatique a ramené à la surface cette pollution généralisée due au chlordécone. La vie des habitants de ce département français, a tout simplement été niée au profit de motivations purement économiques. Les guadeloupéens s’autorisent à se demander si des erreurs répétées sont possibles et pourquoi aujourd’hui le prendre soin s’impose avec tant d’insistance, voire d’obligation. Les routines défensives resurgissent face à l’innovation qui peut signifier pour certains la fin de leur qualité de vie. Comment agissent les routines défensives ? Elles vont puiser leurs arguments dans des faits réels (la vie indépendante du virus), non contrôlés (la question de l’immunité), ou dans les idées reçues de plantes médicinales assurant une couverture de prévention. Tout cela doublé d’une méfiance envers des gouvernements qui ne se sont jamais préoccupés d’un réel mieux-être des territoires lointains.
  • L’ancrage de la fatalité : Sa ki la pouw dlo pa ka chayéye. Le fatum ou destin s’intègre à la culture qui se transmet, s’entretient, il est de l’ordre des savoirs tacites, d’acceptation d’une certaine forme d’impuissance véhiculée par la croyance religieuse. On ne peut échapper à son destin quoi que l’on fasse. Seule l’évolution des représentations collectives peut modifier cette forme de pensée, mais cela suppose une analyse fine du système et de son organisation afin de trouver des leviers pour l’action

En 2009/2010, la grippe A avait incité les guadeloupéens à se faire vacciner contre le virus H1N1. Aucune précipitation dans les lieux dédiés et ouverts à tous, aucun affolement n’avait proposé au voisin le partage du médicament oseltamivir ou zanamivir, prescrit par le médecin référent, lui permettant de faire l’impasse d’une consultation. Et pourtant raille-t-on, une seconde vague de cette grippe a sévi en 2013/2014 aux USA, sans conséquences pour la Guadeloupe.

Comment à travers le monde est abordé cette question vaccinale ?

La récompense, encouragement, gratification a comme fondement la gourmandise aux USA. Une injection, un donut, avec suggestion d’un complément si parrainage, comme pour les assurances. En Russie, un peu d’argent semble satisfaire les volontaires.

Le refus, dans une menace à peine voilée en France devrait convaincre le personnel des EPAHD à une obligation, sous peine d’être éloigné des espaces de soins. Les statistiques dévoilent que 50% des soignants des EPAHD sont vaccinés. La pénurie de ce personnel indispensable ne semble même pas être envisagée. Convient-il de penser qu’un ordre autoritaire limitant les libertés serait en marche ? D’une manière plus dictatoriale, le Pakistan a trouvé la solution en évoquant le possible blocage de la carte SIM du téléphone :« Si tu veux ton téléphone, va te faire vacciner. »

Les fake news ajoutés à ces raisons factuels du taux de contamination de personnes ayant reçu les deux doses, accréditent la réticence de quelques jeunes qui disent attendre encore un peu. Attendre quoi ? Le balisage d’un doute et la certitude d’une fiabilité totale d’un vaccin peut être à venir. L’indispensable information, la communication appropriée en direction de la population ; l’analyse des représentations, peuvent-elles encore pénétrer le champ des possibles ?

Fait à Saint-Claude le 23 juin 2021

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