Le sexisme

« On m’a dit de frapper les filles. » Ce garçonnet de 10 ans signalé par le milieu scolaire pour agressivité est assis tranquillement et répond avec calme aux questions.

Tu es une fille ? – Non un garçon.

Papa est une fille ? – Non un garçon.

Maman est une fille ? – Oui.

Papa attaque maman ? -Oui.

Qu’est-ce que tu fais à ce moment-là ? -Je me cache.

Et moi qui je suis ? – Une fille.

Tu veux m’attaquer ? Mais non.

Cet exemple est éclairant à double titre : celui du modèle parental et de la reproduction, celui de l’influence. Pour être accepté par le groupe, l’enfant acquiesce à la demande d’autant plus que cela se fait chez lui.

Très tôt, le sexisme peut faire partie des comportements jugés acceptables. Discrimination fondée sur le sexe, il donne assise aux préjugés et aux croyances s’agissant de la supériorité des hommes. Le harcèlement sexuel, le viol en passant par les gestes et les paroles offrent un panorama où s’inscrivent les formes d’inégalités hommes/femmes. Il a cours dans la sphère privée de la maison, au travail, dans la sphère publique. Il existe sous trois formes principales :

Le sexisme hostile s’exprime à travers des postures agressives justifiées par la conviction d’une perversité féminine. La femme serait séductrice, manipulatrice, responsable de ce qui pourrait lui arriver de mauvais. Eloignée de son rôle traditionnel, elle mérite les violences qu’elle provoque. Actes et gestes à l’appui sont là pour la sanctionner et lui rappeler qu’elle doit se cantonner à une unique place. Avec conviction, la circulation de ces pensées dans les cercles d’hommes ne choque pas.

Le sexisme bienveillant avec subtilité et parfois délicatesse honore les qualités de la femme jusqu’à certaines limites surtout quand elle se maintient dans les rôles à caractère féminin. Elle a le privilège d’une reconnaissance dès lors que dans ce cadre où se dilue une domination non visible, non ressentie, le sentiment d’une crainte d’incompétence de l’homme n’est pas soupçonnée. Flattée par tant de sollicitude à son encontre, elle ne décèle pas la peur d’une rivalité qui pourrait le mettre en difficulté. Divinité du foyer, merci pour les performances reste là où tu es, ne déborde pas du cadre car tu risque de me faire concurrence, pense l’époux. Les conversations portant sur les exigences des femmes, subtilement, persuadent que cela ne peut être que le fait d’un groupuscule qui ne se satisfait de rien, alors que les lois sur l’égalité et la parité reconnaissent les droits des femmes. Gentillesse et sourire complètent la légèreté voulue des constructions de pensées qui érodent les convictions superficielles. Comment percevoir ce sexisme ? Habile et dangereux comme la décision d’une famille de se serrer dans les bras en disant câlinou afin de juguler le conflit en tout début. L’interdit du dedans s’est déversé sur l’extérieur avec une violence inouïe, sans contention possible. Sexisme hostile et sexisme bienveillant peuvent cohabiter en alternance, s’inscrivant sur le mur de l’ambivalence afin de mieux désorienter et scotomiser l’opposition. Le paradoxe égare la compréhension, emprisonne, jugule toute action de révolte.

Le sexisme dans le couple se manifeste selon les relations établies depuis le début avec l’acceptation de la partenaire qui à la longue quand l’usure s’installe, ne supporte plus le système. La domination revêt des formes multiples ; celle qui ravale la femme au stade d’objet est la pire. Sois belle et tais-toi, est l’exemple type que le dominant impose à celle de son choix, au physique envié qui rejaillit sur sa capacité à séduire la plus désirable. Elle représente son pouvoir, côte financière, côte sexuelle, tous les atouts réunis qu’il exhibe faisant des autres les voyeurs. Exhibitionnisme et voyeurisme, couplage de particularités sexuelles dont le plaisir est procuré par la pulsion de voir, donne de l’excitation voire de la jouissance à celui qui montre et à celui qui regarde. Il y a une dialectique entre voyeurisme et exhibitionnisme qui se structure dans la circulation des regards et dans l’échange des rôles. Le rapport oculaire conduit naturellement au contact charnel car regarder c’est toucher, palper ce qui est au bout du rayon visuel. La recommandation « toucher avec les yeux » donne du sens à l’interdit. Jeu de dupes, la femme au centre de cette manigance, cristallise les fantasmes, métamorphosant l’espace public en fenêtre ouverte sur l’alcôve. Elle acquiert un statut d’objet précieux fait pour être possédé et montré. Le spectacle de sa beauté a pour but de susciter le désir qui trouve son inscription dans la puissance sexuelle supposée du partenaire. Mais est-elle ignorante de ce double regard « qui fait que je vois que l’autre me voit. Ce n’est pas seulement que je vois l’autre, je le vois me voir, ce qui implique le troisième tiers, à savoir qu’il sait que je le vois. Le cercle est fermé. » dit Jacque LACAN. Un objet réduit à une apparence ne saurait penser ni émettre une opinion. Habilement la parole lui est confisquée même lors de déjeuner familiaux où le crachoir est tenu en permanence par celui qui sait, sa position sociale lui conférant des connaissances intellectuelles supérieures. Le sourire convoque le regard admiratif qui se voile imperceptiblement de mépris vite effacé par les paupières salvatrices. Elle se doute qu’il ne se soucie jamais de ses sentiments puisqu’il la réduit à un corps incapable d’une action sensée, dont il a aboli l’autonomie. Il la possède à sa guise, sans limites, sans une quelconque préservation de son intégrité. Il est vrai que les publicités maintiennent encore les clichés et les stéréotypes sexistes présentant la femme sous l’angle de la beauté et l’homme, sous celui de la performance. Quelques hommes adoptent une attitude discriminante dans l’expression verbale. Les qualificatifs injurieux, les reproches incessants, les menaces, sont des violences psychologiques qu’ils banalisent ou renient. Les menaces finissent par mettre en acte les passages à l’acte incontrôlables, reproduisant le système de chosification de l’être dans cette société issue de la violence. A convoquer encore le modèle parental quand les mères écoutaient les filles se plaindre de l’inacceptable et leur disaient : « Ton grand-père et ton père levaient la main » et ne proposaient rien. Ravaler sa honte et sa déception et rester chez soi.

Le couple moderne prend ses distances par rapport au modèle ancien. Mais la parité est érigée en objectif politique. La division sexuelle des rôles conjugaux perdure. La femme consacre plus de temps à son foyer que son mari. Quand ils sont parents, le partage individuel du temps professionnel et du temps parental s’opère en faveur du temps professionnel pour le père et en faveur du temps parental pour la mère. La vie en couple et la présence d’enfant accentue la spécialisation des sexes. Être entre famille et travail (entre est un espace qui sépare des choses et des personnes) pose la question de la place sociale de la femme. Il serait légitime qu’elle puisse évoquer une situation où s’agrège les deux, travail et famille, comme l’homme. Le pays au pourcentage le plus élevé d’égalité homme/femme est l’Islande, bientôt 100% disent les statistiques. Pour se dédouaner en réponse à un constat de ne pas s’occuper des tâches domestiques, l’homme répond : « Il faut demander. »

Le sexisme au travail

Les chiffres dénoncent les inégalités salariales perpétrées contre la femme qui à poste et diplôme égal touche 15% de moins en moyenne. Elle occupe souvent des emplois subalternes. Rarement lui est accordé des fonctions de responsabilité, et quand elle est en place, c’est la remise en cause de sa capacité à diriger qui lui est renvoyé à la face. Elle se sent moins bien traitée qu’un homme, est victime de blagues, est sujette à des préjugés associés à la maternité augmentés des limites de sa carrière : primes non perçues, pas d’augmentation, peu de promotion accordée. Le sexisme hostile émaillé de sexisme bienveillant tout aussi nocif s’ajoute au sexisme ordinaire. Dans l’univers professionnel, deux types de sexisme sont récurrents : le harcèlement sexuel et le harcèlement moral.

Le harcèlement sexuel est un abus d’autorité concrétisé par des menaces sur les conditions de travail, des actes de chantage à la promotion ou au licenciement pour obtenir des actes sexuels au profit de l’employeur ou d’une autre personne. Sont punis par la loi et au même titre, les propos ou comportements à connotation sexuelle qui portent atteinte à la dignité de la personne en raison de leur caractère dégradant et humiliant, ainsi que des propos qui créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Dans ces métiers où il est suggéré d’être conforme à l’attente de l’enseigne, des femmes désireuses de garder l’emploi vont modifier leur apparence. Elles se coulent dans le moule d’auto sexualisation afin de modifier le regard des observateurs extérieurs pour être satisfaites de leur image. Elles finissent par se percevoir comme un objet et sont vulnérables au harcèlement et aux violences sexuelles. Le doute s’installe avec cette appréhension du jugement porté sur leur corps regardé. Elles sont envahies par un sentiment de honte doublé d’anxiété qui diminue leur capacité à se concentrer sur des tâches complexes. Des troubles de conduites alimentaires, des troubles sexuels, des états dépressifs peuvent perturber leur existence. Il leur est impossible de démontrer leur origine : le harcèlement professionnel.

Le harcèlement moral se caractérise par de agissements répétés qui ont pour objet ou effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Le harcèlement a des conséquences sur la santé à moyen et à long terme. La survenue du stress et son cortège de maux : anxiété, irritabilité, trouble du sommeil, hypertension, douleurs musculaires, hypervigilance, fatigue, consommation d’alcool ou de substances psycho actives, symptomatologie dépressive, entraînent un désinvestissement du travail, un manque de concentration, une relation dysfonctionnelle avec l’environnement. Plus grave est le suicide qui vient heurter l’entendement.

95% de femmes et 90% d’hommes en France, affirment que les manifestations sexistes engendrent une baisse de la confiance en soi et une déstabilisation de la personne. Le sexisme et ses conséquences sur la femme en termes de souffrance peuvent faire l’objet d’une prévention combien même est insuffisante l’implication de l’Etat. La formation des managers, les messages forts des directions d’entreprise condamnant ces faits, la création de groupe de parole sont des actions rapides et peu onéreuses.

Le sexisme ordinaire c’est le sexisme issu des pratiques et des stéréotypes sexuels qui sont omniprésents dans nos sociétés. Un sexisme qui s’exprime sans violence particulière mais qui à partir de sa construction du quotidien contribue à perpétuer la domination masculine ainsi que les carcans des rôles masculins et féminins. L’école, la rue, les transports sont les lieux où s’expriment les comportements irrespectueux. Le geste obscène ravalant une femme médecin chef de service à un statut d’objet sexuel par un éboueur balayant devant sa porte est un exemple banal de conduite quotidienne. Être un homme, c’est se penser un sexe dispensateur de plaisir offert à toute femme quelque soit sa condition sociale. Les sifflements admiratifs, les propos grivois, les paroles incessantes aux propositions sexuelles en marchant à sa hauteur, le sourire qui infantilise sont des représentations collectives qui excluent, marginalisent, infériorisent. De surcroît, elle est souvent absente dans les colloques et les congrès de haut vol.

Fléau aux multiples facettes, le sexisme ordinaire se retrouve dans les comportements d’adolescents et semble en augmentation. L’engouement pour la pornographie s’est accru avec les outils informatiques. Le sexe est montré comme rapport de communication et de consommation. Objet de fantasmes, la femme passive est en situation d’aliénation par rapport à l’homme de pouvoir. Ce conditionnement de l’image des deux, accentue les inégalités de genre. La pornographie est une effraction psychique dans la mesure où il y a légitimation de la violence qui influence le cyberharcèlement et le harcèlement sexuel. Tous stars, porte ouverte sur l’hyper sexualisation que l’influence médiatique cautionne à travers les messages centrés sur le corps et l’apparence, alimentant une pensée supposée salvatrice de libération sexuelle et d’épanouissement. Dès lors, ce discours sur l’apparence établit une place asymétrique dans les rapports sociaux de sexe. Les conséquences autant sur les filles que les garçons débouchent sur la survalorisation de l’apparence comme mode de rapport à l’autre. Ils sont dépendants de l’appréciation d’autrui, donc vulnérables. Les filles éprouvent plus de difficultés à vouloir se comparer à des standards de beauté impossibles à atteindre. Les frustrations les entraînent vers des régimes, les troubles de conduites alimentaires, la drogue, le tabac, la chirurgie esthétique, dénotant une faible estime de soi. Les garçons ont une piètre attirance pour leur partenaire, embarrassés par l’obligation de performance sexuelle. La sexualisation précoce des enfants est de plus en plus tendance et même les strings font partie de la panoplie proposée en matière de sous-vêtements.

La lutte contre le sexisme doit tenir compte des paramètres culturels afin de construire les informations que chacun peut comprendre. Les images venant d’ailleurs ne sont pas toujours adaptées à la réalité. Il faudrait agir auprès des adolescents en développant leur capacité d’analyse, en leur apprenant à décoder les publicités, mais informer aussi les familles complètement démunies face à la violence des messages échangés sur les réseaux sociaux. Le sexisme ne doit pas être banalisé. L’impact de la différence d’éducation des petites filles et des petits garçons, n’est pas négligeable. Les jeux proposés selon le sexe, la représentation des genres dans la littérature infantile ont modelé les postures. Mais les habitudes ont du mal à céder la place aux nouvelles dispositions qui mettent du temps à être adoptées. Elever fille et garçon de la même manière, sur le même pied d’égalité, leur inculquer les mêmes valeurs, mettre l’accent sur la conscience de soi, participeront à l’aspiration de vivre dans une société plus égalitaire. L’adolescence est un stade où la recherche d’un modèle d’identification balise les comportements. L’accompagnement des adultes durant cette période de vulnérabilité consiste à délivrer ce message essentiel d’oser être soi-même.

Quelles réponses apportées face à ce phénomène dont le seuil ne s’abaisse pas en dépit des lois ? Comment réagir individuellement ? Doit-on assister passivement à la destruction des personnes victimes ?

Des interrogations qui devraient élargir la réflexion au niveau philosophique : le sexisme serait-il la conséquence d’une société inégalitaire ou c’est le sexisme qui produirait les inégalités ?

Fait à Saint-Claude le 18 mars 2023

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