Prenez soin de vous, prenez soin de nous

Pourquoi est-il indispensable de rappeler les éléments de la loi de l’urgence sanitaire promulguée pour deux mois, du 23 mars au 24 mai 2020, afin d’éviter la propagation du coronavirus, mais en plus de faciliter la tâche des soignants qui chaque jour sont au chevet des malades hospitalisés ?

Le confinement est la règle première de ce dispositif de protection des personnes. Rester chez soi, ne sortir qu’en cas d’absolue nécessité, n’est chose ni simple, ni aisée. A l’entame de la troisième semaine de confinement, un relâchement a été constaté. Deux éléments fournissent une explication à ces comportements qualifiés d’inciviques, d’irresponsables.

En premier lieu, l’énoncé de la loi comporte une attestation dérogatoire d’une heure accordée pour jogging, entendu comme sortie de bien-être et de détente. Une trouée d’air dans un enfermement difficile à admettre. Cette dérogation sème le doute et banalise la gravité de la transmission du virus. L’imaginaire ne lui attribue pas cette caractéristique de redoutable ennemi à combattre dès lors que sans urgence absolue, le seuil peut être franchi. Alors l’appel à la promenade de santé officiellement reconnue aussi indispensable que l’achat de produits de premières nécessités, manger maintient en vie, autorise de pousser un peu plus loin ou de s’octroyer une heure le matin, une heure en fin d’après-midi, contrat respecté signé sur l’honneur.

La perspective d’un allègement approprié, la pause d’une respiration n’a pas eu la même résonnance chez le législateur que chez le tout monde. Il est pétri de contradiction voire de paradoxe. Si on peut sortir, ne serait-ce qu’une heure c’est que le risque n’est pas mortel. Le manque de clarté de cette règle, va induire une posture au bénéfice d’une pensée défensive. Après une sortie où il est revenu sans sentiment de culpabilité, seul dans un espace vide de son agitation coutumière, la certitude de ne pas être contaminé, en absence de symptômes, l’autorise à arpenter le bord de mer à l’horizon désormais infranchissable. Peut-être aurait-il fallu plus de pédagogie, employer des mots compris par le plus grand nombre, expliquer sans cesse les raisons d’une telle décision dont l’injonction « Restez chez vous » ne paraît pas tout à fait assimilé, d’autant plus que l’interdit n’est là que pour être transgressé.

Des images montrent en Inde les moyens employés envers ceux qui circulent comme si de rien n’était. Ils sont battus par les policiers, humiliés, mis à genoux, réduits à l’état larvaire en rampant. Au Kenya, les forces de l’ordre tirent en direction de la foule dont la revendication repose sur l’absence de projet alimentaire de la part du gouvernement. L’urgence alimentaire est supérieure à l’urgence sanitaire. Déjà au Libéria en 2014, des personnes confinées en situation totale d’affolement fuyant le lieu d’enfermement avaient été abattus par les représentants de l’ordre. Elles n’ont pas été contaminées par Ebola et n’ont pas non plus transmis le virus. Certains s’étaient volatilisés dans la nature, d’autres récupérés par leur famille n’ont jamais donné signe de vie. Le résultat a été une opacité et une absence de signalement de personnes contaminées, doublé d’une méfiance envers le système de santé.

La violence de certains Etats est proportionnelle à une permissivité culturelle qui ne s’élève pas contre de telles pratiques. En démocratie la législation prévoit aussi des sanctions pour non-respect du confinement : une amende de 135 euros pour la première violation majorée à 375 euros en cas de non-paiement dans les 45 jours. La récidive commise dans un délai de 15 jours est passible d’une contravention allant de 1.500 à 3.750 euros d’amende et de 6 mois de prison en cas de récidive dans une période de trente jours. La suspension du permis de conduire est également possible Nul n’est sensé ignorer la loi. Le pourcentage de verbalisations renseigne sur la grande difficulté d’instituer une discipline généralisée. Faire démonstration que cette loi a une double fonction ; celle de réprimer la non-observance des règles, mais aussi de protéger, protéger les individus aux comportements transgressifs, protéger les autres de leur possible contamination était déterminante pour sa compréhension.

Le second élément de l’analyse du relâchement niche dans l’annonce prématurée d’un déconfinement probable, sans date précise. Il n’en fallait pas plus pour que la diminution du pourcentage de mort en légère baisse sur 24 heures n’embrase les esprits exacerbés par la tension de l’accumulation des jours, et ne donne accès à une levée proche de la restriction d’échanges sociaux. C’était le samedi, début de week-end, qui fleurait bon les vacances de Pâques sans perspective de rituels de dégustation gourmande. Presque tous les seuils ont été franchis pour une durée de plusieurs heures. Un acompte sur la délivrance à venir. Puis ce décret préfectoral déclarant la Guadeloupe île morte de samedi 14 heures à mardi 7 heures, commerces fermés, Pâques sous cloche, a autorisé la ruée et la cohue dans les hypermarchés par ces mots : « allez faire vos courses ». Tous en même temps, sans respect de distance, visages avec ou sans masque, se sont retrouvés dans de longues files d’attente, pour plusieurs heures.

La communication de l’urgence de rentrée en confinement a eu des ratés, des défauts, des contradictions. C’était la première fois. Mais après trois semaines, manquer à tel point de pédagogie autorise à qualifier le service de communication officiel d’inapte à trouver une formulation capable d’expliquer et de faire accepter une mesure de cette nature. S’il y avait été clairement dit que cette décision accordait un répit à ceux qui travaillent à l’entretien nourricier et hygiénique de la population, que ces deux jours et demi étaient une mesure de compensation à leur place en première ligne et qu’il était important de se sentir solidaire du risque par eux encouru, sur le lieu de travail, l’acquiescement aurait été total.

Gouverner c’est prévoir que les individus en marge, à l’écart de la vie sociale, fragiles mentalement, sans possibilité de mettre en place une organisation quelconque, risquent d’être en proie à des débordements. L’accordage de dispositifs de prévention en relation avec les services de psychiatrie aurait été nécessaire afin de parer à toute éventualité, sachant que le confinement accentue les pratiques addictives, à fortiori le confinement aggravé.

A l’approche des fêtes, en temps normal, les décompensations sont plus nombreuses, elles sont dues à l’évidence d’une solitude aggravée. La souffrance psychique s’exprime par des passages à l’acte sur soi et sur les autres. Combien de centres d’hébergement ont été créé, les hôtels et gîtes vides de vacanciers, le temps de la crise, auraient pu être des lieux d’accueil. Les équipes de travailleurs sociaux de rue, ont-elles été renforcées, ont-elles été sollicitées en vue d’une prise en charge plus soutenue que d’habitude ? Quels moyens ont été mis en œuvre s’agissant de l’alimentation quotidienne des personnes qui mendient pour vivre ?

Les communes privées d’eau depuis des années, la Grande-Terre oubliée des rivières, la chaleur de saison, l’obligation importante de ce geste barrière de se laver les mains, laisseraient croire que les habitants vivent dans des localités du Tiers et du Quart Monde. La Guadeloupe est un département français depuis longtemps. La distribution d’eau potable en bouteille par personne et par jour est si dérisoire que même la plume hésite à l’écrire, tel le constat d’abondance de l’encre qu’elle utilise la rendrait honteuse. Des citernes publiques sans assurance de potabilité de ce produit indispensable, seront-elles inaccessibles ou faudra-t-il une attestation dérogatoire pour y remplir les bidons ? Des questionnements sur un système de protection, le seul qui pourrait ralentir la propagation du virus dont font partie les gestes barrière, alimente le recueil de données nécessaires à l’analyse des comportements, en relation avec des dispositifs inexistants ou peu utilisés. Personne n’a entendu parler de kit de désinfection en direction des marginaux, comme si cela relevait de l’ordre de la fiction ou de l’invention d’observateurs hors réalité. C’est comme demander qu’il neige sous les tropiques.

Surveiller et punir, une économie qui prime sur l’humain, des décisions autoritaires où chacun dans son département ou dans sa ville institue des règles renforcées, plus rigides que les décisions gouvernementales (la théorie du petit chef est bien connue) peuvent donner l’effet contraire escompté, et le sentiment d’être victime d’un pouvoir qui devient pesant. Du doigté, de la finesse accompagnant un renforcement d’une protection pour tous sans en délaisser quelques-uns, changerait l’impression d’être puni, partagé par le plus grand nombre sans avoir commis d’infraction.

Certes le confinement décrété doit être respecté même s’il y a accroissement de la détresse. Mais au regard des chiffres publiés le 07 avril s’agissant des manques de masques 46%, de tests de dépistage 51%, de surblouses 54%, de gel hydroalcoolique 59%, pour les soignants, gomme le sentiment de culpabilité dont se sert le législateur qui reporte l’unique responsabilité de la propagation du virus sur le grand public qui enfreint cette loi du 23 mars. Qui est le plus responsable ? Qui est pris en flagrant délit de non-assistance à personne exposée ? Qui s’embarque dans des effets d’annonce pour le moins contradictoire ?

En cas de crise grave, la pédagogie doit prendre le pas sur l’injonction et la sanction. La situation devrait s’améliorer si chacun y fait sa part. Et si ce message était entendu, peut-être qu’une prise de conscience retiendrait de franchir le seuil : ils sauvent des vies, sauvons la leur, nous les aimons, prouvons-le. La plus belle preuve d’amour que nous devons leur faire c’est de les protéger eux et leur famille en restant à la maison.

Rester à la maison, c’est empêcher la propagation du virus, rester à la maison c’est diminuer le nombre de personnes hospitalisées dans un état grave, rester à la maison c’est moins exposer les soignants qui chaque jour surmontent leur peur et leur l’angoisse afin de soulager et guérir les femmes, les enfants, les hommes touchés par le coronavirus. Le plus beau des cadeaux que nous pouvons faire à ceux qui travaillent à l’hôpital, c’est de rester à la maison.

Fait à Saint-Claude le 12 avril 2020

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