Publié dans Le Progrès social n° 2536 du 05/11/2005
La publicité envahit la vie au quotidien. Du téléviseur où l’esprit et le corps passifs s’étalent de fauteuil en sofa jusqu’au lit, passant par la diffusion radio, elle déborde des boîtes aux lettres, épaissit les journaux de presse écrite, s’affiche sur les immenses panneaux qui jalonnent les nationales et les départementales, elle s’adresse aux sens, la vue l’ouïe, en plein air ou dans les lieux clos de l’intime. Elle parvient à démontrer que le superflu est à la portée de tous tant il est peu coûteux et que le nécessaire est à renouveler et à accumuler vu les conditions de paiement : trois fois sans frais ou deux mois après l’achat. Certes, l’argent est un argument de taille qui incite à consommer.
Sans effort particulier, l’élément comparatif se donne à voir tôt le matin, les embouteillages aidant, en caractères gros et gras, les couleurs irradiant la vivacité – jaune, rouge et orange- quand se dissipent les brumes du sommeil. Tout est montré sur les affiches, imposantes sentinelles alignées comme à la parade militaire, occultant le paysage le jour, devenant ombres inquiétantes et monstrueuses les nuits de pleine lune. Rien n’est laissé au hasard ni pris à la légère dans cette rencontre visuelle.
Les géants commerciaux côte à côte proposent des produits différents : quand la literie incite aux délices du sommeil, le concurrent laisse supposer qu’aucune maison ne saurait se priver du matériel multimédia high tech, entendez haute technologie, simple à manipuler même par ceux qui ne savent pas lire. Accessible à tout le monde. Un monde égalitaire sans séparation de classes ou de strates sociales, comme au ciel où seule l’âme compte. Les prix, toujours un centime de moins, s’écrivent dans une connivence secrète à côté des objets présentés sous l’angle le plus aguicheur. A peine si l’œil exercé discerne l’astérisque qui renvoie en bas de la publicité, en caractères minuscules, les conditions de l’ouverture d’un dossier de crédit ou la disponibilité des stocks.
Elle s’est améliorée depuis les années soixante où elle semblait s’adresser uniquement à une clientèle s’identifiant aux valeurs françaises, la langue parlée, la similitude des images diffusées en France et les mêmes produits de consommation. L’augmentation du niveau de vie, l’apport des aides sociales, la mise en place de l’allocation chômage ont favorisé la diffusion de messages qui se rapprochent de la population. Le créole occupe une place de choix dans ceux de la radio. Les personnages montrés ressemblent à ceux qu’on croise tous les jours, des antillais ordinaires dans lesquels on se reconnaît.
Parfois une note insolite intrigue, fait sourire, c’est là l’effet escompté. Qui ne se souvient de deux personnes âgées sur le seuil de la case chaussées de basket ? L’image est touchante, elle associe la fragilité à la sécurité. Marcher en basket à tout âge et surtout éviter la chute. L’indispensable basket pour tous. La publicité crée un lien affectif entre le produit et le consommateur, en même temps qu’elle entrevoie la perspective d’un marché nouveau, elle ne néglige pas les habitués, les jeunes. Il est cinq fois moins coûteux de fidéliser un client que d’en trouver un nouveau. Alors pas la peine d’exposer des pieds d’ados convaincus de leurs chaussures de prédilection ; ils sont informés de la nouveauté, à la pointe de la mode, chic dernier cri, plaisant aux mamies habitant la campagne. Si les citadins ne le savent pas tant pis pour eux. Son but comme souvent est d’atteindre les consommateurs dispersés et non l’homogénéité des faits. Les dames âgées ne marchent pas en basket surtout en costume de ville, et pourquoi ne pas leur en faire la proposition ?
Le marqueur sexe est un élément frappant l’imagination : la naissance des seins, le pénis/canette de bière, la cuisse sous la mini jupe. Le produit acquiert la puissance du désir, il lui est assimilable. La force du mâle est due au véhicule qu’il doit acheter ; en le faisant il s’approprie la possibilité d’affronter les animaux sauvages et dangereux, il détient un pouvoir illimité, monnayable. Comment ne pas se sentir maître du monde au volant d’un tel engin ? Le domaine du rêve et du fantasme est un facilitateur, une porte ouverte sur la perspective d’être un être supérieur, de forcer le respect, de faire partie de la classe dominante. Les petits garçons rêvent de camions rutilants et énormes, les filles de devenir princesse. Deux territoires dont chacun conserve les souvenirs que la publicité réactive.
Pour plus d’efficacité, elle va toucher les groupes hétérogènes partageant les mêmes valeurs identifiables à des archétypes. Un archétype étant un modèle collectif. Prenons le cas de la petite métisse aux yeux bleus, bleus, bleus qui réclame une marque de voiture sur un ton boudeur pour la rentrée scolaire. Du point de vue strictement présentation du produit, elle suggère qu’elle détient le bon choix, qu’il est facile à manier, qu’elle pourrait le conduire à son âge, qu’il est dans la fourchette de prix raisonnable de cadeau à une enfant. Du point de vue du modèle idéal, elle est la présentation d’un couple mixte donnant naissance à une beauté recherchée, choyée, susceptible de faire un caprice et capable de refuser l’apprentissage si sa demande n’est pas accordée. Belle comme elle est, son avenir n’en souffrira pas. Encore un cliché.
Le modèle idéal de l’enfant se confond avec l’idéal du véhicule. Cette affiche est destinée aux noirs, aux blancs pas pour les mêmes raisons, aux grands-parents pas trop âgés n’ayant jamais abandonné les paradis perdus. Les professionnels de la publicité disent que la valeur ajoutée des marques définies par un archétype est supérieure de 66% à celles qui ne le sont pas. L’imaginaire conditionne le surendettement producteur de réalité douloureuse. Le bonheur est éphémère surtout celui de l’apprenti possédant.
Les enfants sont une cible facile d’autant plus que les fidéliser est devenu pratique courante. Ils ont des monstres dans les boîtes de lessive, des bons à collectionner sur les biscuits, les chocolats, les céréales. Hormis l’estomac, la dépendance alimentaire, les jouets ont une prise directe avec leur système de pensée, ils leur parlent comme à des familiers. Debouts dans les chariots des hyper marché, réduits à l’état de marchandise eux-mêmes, ils font les courses désignant les articles de prédilection. Le conditionnement est optimum quand la pub se chante. La musique est retenue et revient comme un leitmotiv. Comme personne ne prétend les contrarier, afin d’éviter la crise en public ils prennent les objets vus à la télé, les déposent dans les grands chariots. Enfin ils ont un restaurant, un seul, bien connu pour les cadeaux surprise. Donnant-donnant, c’est légal et pas déloyal.
La publicité pense à ceux qui restent à la maison ou qui sortent rarement. Ils sont informés des promotions, des arrivages, des prix, directement dans les boîtes aux lettres ( les facteurs devraient toucher un petit quelque chose financier), les fascicules sont luxueux : ça rapporte. Les conducteurs ne sont pas oubliés, là où les embouteillages arrêtent les chevaux-vapeur fous, des distributions sont organisées par une jeunesse des deux sexes, très polie, le sourire en plus ; publicité de petit format balayée par les éboueurs du matin. Un changement de main avant la chute sur la chaussée.
Il fut une fois des panneaux publicitaires qui ne proposaient rien, ne vendaient rien. Ils mettaient l’accent sur des réalités, la conscience de l’identité, le rappel de l’égalité des humains, les faits de société et de violence, la drogue, le sida, la prison. Une publicité altruiste capable de susciter une réflexion en profondeur. Elle n’a été remarqué que par un petit nombre. Elle aurait du vivre d’éternité sur les murs des écoles, les édifices publics. Mais qui s’en est soucié ?