La pilule d’urgence

Publié dans Le Progrès social n° 2501 du 26/02/2005

La pilule est un produit rond introduit dans la bouche dont le but est d’éviter une grossesse et de permettre l’épanouissement sexuel, puisqu’elle élimine la crainte et l’attente inquiète de la fécondation.

Introduire dans la bouche un aliment constitue un acte de dévoration, acte agressif par excellence qui participe d’abord à la survie et plus tard socialisé, à la vie. Avaler chaque jour sa pilule c’est être dans le refus d’occulter le sexe avec les symboles d’une féminité physiologique (les règles, l’ovulation.) C’est accepter que l’acte de dévoration/élimination participe à la rencontre des deux substances sexuées en les invalidant. Elles se rejoignent sans rien créer. Ce phénomène inconscient va avoir des incidences sur les attitudes de rejet telles : la pilule fait grossir, elle durcit les seins, leur inflige des douleurs, elle donne des vertiges, enlève le désir, minimise les règles. Ce dont on ne l’accuse pas c’est de souligner l’ambivalence du féminin autour de la grossesse, la maternité, le don de vie. Omettre d’avaler sa pilule oblige à envisager l’oubli dans sa contradiction interne : le secret et le dévoilement du secret. Le partage à deux d’un rapport amoureux ne devrait concerner que ceux qui l’accomplissent sans être trahis par la perte des menstrues étalant au grand jour la faillite de l’intime. L’acte sexuel à découvert devient pour la fille et pour le garçon une source de tracas dans la mesure où le secret n’en est plus un. Ceci veut peut être dire qu’ils n’ont pas su le préserver, ceci veut peut être dire qu’un des deux est responsable du dévoilement du secret. A chercher lequel on s’épuise : « Tu possèdes l’utérus, tu dois prendre la pilule ; tu es tout le temps dans le désir, tu devrais maîtriser. »

La pilule d’urgence de par un décret ministériel autorise l’infirmière scolaire à la donner à la demande de l’élève mineure. Les pharmacies doivent la vendre sans ordonnance aux mineures. Elle fait office de réparation et de mise en berne des états d’âme. Elle suscite des débats avec des tendances diverses. Pour ou contre, chacun y va de son avis.

Revenons sur l’oubli qui serait la perturbation d’une idée par une contradiction intérieure dont la source est refoulée. Qu’est-ce qui est refoulé ? Le désir d’enfant ou la stérilité fermant accès à la maternité qui par une grossesse révèlerait l’activité sexuelle comme un rite d’entrée dans le monde des adultes ? Existerait-il un interdit à grandir qu’il faudrait transgresser par ce biais ? L’oubli est sous l’influence des censures. Quelle pourrait être la censure ? Celle qui inflige une punition à la recherche du plaisir, celle qui, lointaine mais bien présente, dit que l’acte d’amour doit déboucher sur la procréation ?

Les facteurs inconscients submergeant l’oubli de la pilule ne justifient pas qu’un soutien solidaire ne soit accordé à une adolescente dont les premiers pas de la journée la conduisent à l’école ? L’institution enseigne, elle instruit et à défaut d’éduquer, elle devrait accompagner. Ici il n’est pas question de créer un besoin mais de pallier les manques, d’éviter des failles qui pourraient être lourdes de conséquences pour le devenir d’une jeune fille. La maternité précoce a vu une fille de quinze ans accoucher le pouce dans la bouche, les yeux secs, grimaçant de douleur. Un âge à jouer au monopoly et aux petits chevaux. La morale doit-elle se faire complice d’un tel tableau quand on devine les carences affectives donc psychiques dont sera porteur l’enfant de l’enfant ?

L’idée d’une contraception chez les adolescentes a pris du temps à s’implanter dans les mœurs de la société : les filles elles-mêmes et leurs parents. Le ça ne se parle pas dans les familles où la mère pose un interdit sur la fréquentation des garçons. Les phrases allusives : « On se marie vierge, mes filles ne sont pas des putes » donnent lieu à des types de comportements tels l’inhibition (fuite et évitement de toute relation amoureuse), l’activisme sexuel (l’acte pratiqué comme un sport par bravade), le coït empreint de culpabilité en absence de pilule et de préservatif (les préservatifs féminins ont du mal à être acceptés) ou la transgression de l’interdit, la jeune fille  faisant une démarche du coté de la maternité consciente. Dans tous les cas, la bouche close sur le désir souligne l’impossible dialogue avec la mère. Elle devrait être la première à recueillir les confidences quitte à en faire part au père dans un temps second. La complicité qui établit une possible parole sur la sexualité opte pour une éducation sexuelle sans sous-entendus qui aide à prendre conscience des tendances personnelles dans un souci de prévention.
Les pharmacies qui sous couvert de ne pas avoir la pilule d’urgence en officine ne la vend pas à un petit minois « presque une enfant », se substituent à la rigidité parentale et manquent aux règles de ventes ordinaires : l’accès à un produit autorisé en dehors de toute discrimination. Il est vrai que l’adulte a des intimes convictions, qu’il se cantonne derrière une morale qu’il n’agite que pour les autres, qu’il a repoussé dans les tréfonds de sa mémoire les pieds de nez à la rigueur de son temps. La jeunesse met en relief les manquements d’un système éducatif, l’effondrement des valeurs, le mal-être existentiel généré par les défections des figures de référence. Si pour des raisons de conviction intime, les représentants de l’école ont du mal à mettre en application ce qui est au stade de décision ministérielle (certaines choses peuvent ne pas être accessibles même si elles sont autorisées), le nombre d’avortements et de grossesses à l’adolescence en augmentation atteindra une côte d’alerte telle qu’elle obligera à mettre en place un dispositif de prévention.

Parole d’infirmière : « Je donne la pilule d’urgence sans états d’âme. » L’accord n’est pas total. N’est-ce pas là l’occasion de parler du corps de désir, de la contraception, des maladies sexuellement transmissibles et de l’amour ? Faudrait-il encore être au clair avec sa propre sexualité. Une orientation vers un spécialiste est quelquefois nécessaire si les mots manquent en obstacle à la gêne ressentie.

A temps moderne, action moderniste. Si l’état en prenant des dispositions à l’égard de la sexualité des adolescentes s’entend fustigé par la famille à laquelle elle se substitue, c’est qu’il l’a mise face à ses réalités de non-participation dans l’éducation sexuelle des enfants. Où se trouve la relation de confiance quand nul échange ne vient baliser les sentiments surtout lorsque par un jeu de permutation le corps des petites filles prennent des allures d’objet sexuel sous l’impulsion de la mère, véritables petites « lolita » présentes dans l’unique désir maternel ? De quoi procède ce refus de sexualité aux enfants donc d’accéder à un âge adulte, mettant les parents face à leur réalité de vieillissement de moins en moins acceptée : « Sé ti moun ki ka ba moun laj », dit la parole créole. Certes, les parents ont un rôle à jouer dans la diminution des avortements et dans la prévention des grossesses. Une société soucieuse du bien-être de chacun se doit d’adopter des pratiques adaptées aux nouveaux besoins, celles-ci ne seront opérantes que si elles ciblent les habitudes de la population visée. Les adolescents utilisent les cabines téléphoniques pour appeler plus longuement : les portables servent à recevoir les communications. L’utilisation de la cabine téléphonique favoriserait l’acceptation de distributeurs automatiques de préservatifs pour les deux sexes du fait de la proximité et de l’anonymat. Mais la mise à disposition de la pilule d’urgence et de préservatifs n’est pas une tentative de banalisation de l’acte sexuel. Se poser la question de la propagation des maladies sexuellement transmissibles, de la fragilité psychique des enfants  nés de mères dont la maturité n’est pas achevée, ne doit plus rester un constat. Cela signifie que quelque chose de l’ordre de l’information s’agissant de la contraception est à refaire, à reformuler avec des moyens adaptés au mode de vie.

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