La bientraitance de la personne âgée

Durant des décennies, la pensée dans sa crainte justifiée ou pas, n’a mis l’accent que sur le côté négatif des comportements sans souligner que le contraire était possible, comme si la méfiance antérieure à l’accusation dévoilait un humain, en tout lieu, dénué de bonté, de compassion et de tendresse. Alors il semble naturel que les familles conservent cette suspicion de maltraitance dans l’institution. Mais les espaces de vie des personnes âgées sont régis par des personnes salariées, qui toutes ensembles, constituent l’institution.

Parler de choses qui ne vont pas, les analyser, les comprendre, sont du ressort des psys, car de toute évidence, ii est plus judicieux de dire ce qu’il faut éviter de faire. Cependant s’agissant de formation des personnels, l’apprentissage et la réflexion autorisent d’inculquer des règles de base. Aborder le vis-à-vis tout en douceur, en mettant l’accent sur la notion de bientraitance, c’est d’emblée s’éloigner de la sphère suspecte des postures. Lors d’une conférence, le modérateur a présenté à l’assemblée son téléphone portable en disant : « Surtout ne pas oublier de le rallumer en sortant d’ici. » Cet exemple illustre bien la différence entre les injonctions et les suggestions. 

La bientraitance est une notion utilisée dans le domaine de l’éthique et sa définition officialisée est : « Un ensemble d’attitudes et de comportements positifs et constants de respect, de bons soins, de manifestations de confiance, d’encouragement et d’aide. Elle peut être financière, physique, morale, sexuelle et psychoaffective. » Cela veut dire que la bientraitance est un savoir-faire adapté et positif, mais pas seulement, c’est aussi une ouverture d’esprit et une tolérance. Cette bientraitance ne se cantonne pas aux seules institutions, elle s’étend aux familles et à toute personne intervenant dans l’accompagnement et la prise en charge de personnes vulnérables. Elle concerne enfin l’aménagement de la cité et ses dispositifs.

Le 12 février 2013, inaugure l’installation du Comité national pour la bientraitance et les droits des personnes âgées et des personnes handicapées. Ainsi se structure une démarche collective identifiant le meilleur accompagnement possible pour l’usager dans le respect de ses choix et l’adaptation la plus juste à ses besoins.

L’objectif est de porter réflexion sur les pratiques afin de les améliorer, ce qui suppose une observation des mécanismes de fonctionnement des institutions, une remise en question des habitus, système routinier qui sécurise puisque tout changement génère de l’angoisse, le plus difficile étant l’acceptation des méthodes d’approche novatrices. Pour induire un changement durable, il faut que la population concernée puisse tirer bénéfice des coûts financier et psychique du produit proposé, reconnaisse sa facilité d’utilisation et sa capacité d’adaptation à la tradition. Le marketing alimentaire l’a bien compris et la société antillaise est devenue une population mangeuse de riz et de pâtes au détriment des racines pays.

La réflexion concernant les pratiques et leurs améliorations se focalisent essentiellement sur quatre points cruciaux :

  • La personne co-auteur de son parcours,
  • La qualité du lien entre professionnel et personne hébergée,
  • L’enrichissement des structures et accompagnements grâce à toutes contributions internes et externes pertinentes.
  • Le soutien aux professionnels par le biais des formations et du management.

Désormais ce sont les institutions qui doivent s’adapter aux personnes âgées et non l’inverse, ce qui amène à souscrire à un nombre d’éléments utiles à une meilleure connaissance de la personne accueillie. Parler de bientraitance, c’est d’abord regarder du côté des représentations : celle de la solitude, de la sexualité concernant la vieillesse.

La solitude

La qualité évidente du vieillissement tient à une donnée essentielle en soi, celle de la présence ou de l’absence de la parentèle. L’amour prodigué par les descendants semble être la preuve que la vie de l’aîné relève de sa seule responsabilité. La solitude viendrait donc interroger son existence comme indicateur de l’échec de la relation affective dans une société où l’accent est mis sur nourrir pour être nourri en retour. La solitude est redoutée et redoutable. L’être solitaire est porteur de tares naturelles, innées ou acquises qu’il cultive, pense-t-on. Par exemple :

  • Il est difficile à vivre et empoisonne son entourage
  • Il s’adonne à certains vices et les dissimule
  • Il doit être frappé de malédiction, il expie ses fautes les siennes et celles de ses ascendants
  • Il est sous l’emprise d’un mauvais sort.

La solitude est entachée de mépris et de commisération. Cet abandon constaté des familles va influencer de façon inconsciente le côtoiement des corps fragiles. Les troubles alimentaires dus à la solitude sont de deux sorte selon la personnalité. Une incapacité à déglutir (sans cause organique), ça ne passe pas, ça ne descend pas. L’absorption difficultueuse de nourriture établit un lien avec l’affectivité.

En institution on s’inquiète en premier lieu du risque de carence alimentaire engageant le vital, tandis que la seconde attitude la gloutonnerie est assez mal tolérée : l’avidité provoque de la répulsion, elle est la cause de la diminution des possibilités d’aménagement de l’angoisse. Le manque à combler est infini même si manger est une source de plaisir et son refus une négation de ce plaisir.

La perte de plaisir correspond au désinvestissement alimentaire : le phénomène de régression survient après la disparition de certaines satisfactions. Il ne s’agit pas là d’anorexie qui souvent est une résurgence chez de la personne âgée d’une anorexie antérieure qui doit être lue comme tentative pour échapper à l’angoisse, mais de l’aspect d’un système dans sa dimension socio symbolique et de son sens.

La sexualité et sa représentation s’enroulent autour d’un schéma de valeurs/attitudes. La vieillesse est perçue à travers la notion de corps usé, dégradé, vidé de sa vigueur, dépourvu de fertilité. La femme au contraire de l’homme se doit d’être respectable, en accord avec un rôle et un statut qui l’enferment dans une forme de sacralité, comme un retour à la déesse/mère, pudique, intouchable. C’est-dire que son corps n’est point corps de plaisir, désirant et désiré. L’âge lui confère des qualités de sagesse, de sérénité de respect. Une vieille femme chaude est susceptible de faire naître les critiques de l’entourage, car l’activité sexuelle est inscrite dans des systèmes de norme qui prescrivent et proscrivent certains styles de comportements. A ce stade avancé de l’âge, l’imaginaire assigne la femme à un renforcement spirituel et de prières protectrices envers les siens.

Même si les rencontres gérontologiques années aprés années ont sensibilisé les proches et les soignants aux perspectives de feu sous la cendre, l’acceptation ne s’est pas généralisée. L’estime de soi vient en butée au refus de jouissance par identification maternelle qui serait aussi considérée comme un affaiblissement de l’amour envers la fille ou le fils. La folie du corps, risque d’entraîner la folie tout-court, la perte de contrôle face à un profiteur. La mise sous tutelle, non exprimée au grand jour, est un calcul empreint d’amour filial ! Le juridique ne s’embarrasse pas de considération affective. Il rétablit l’ordre moral.

Le vieux corpsau masculin est moins sujet à ces considérations jouissives ; on acquiesce à sa verdeur et on se réjouit de sa vantardise d’une paternité à l’âge de 75 ans.

La bientraitance ne saurait gommer ces aspects de la représentation qui ne doivent plus avoir cours dans la modernité, parce que des transformations interviennent au sein d’une culture qui est loin d’être figée. Les personnes âgées valides et indépendantes prennent soin d’elles-mêmes en voyageant, en dansant et en France défilent comme mannequins nouvelle formule pour aider la haute couture à séduire un type de clientèle.

Dès lors, le soignant peut élaborer une méthode de prise en charge axée sur la reconnaissance des besoins, en favorisant l’amélioration du quotidien et le maintien de l’autonomie.

Les fondements qualitatifs de la bientraitance s’évaluent à partir de critères tels :

  • Le respect des habitudes alimentaires. Cela va de soi dira-t-on ! Et non. Il fut un temps où le menu était distribué la veille dans les cliniques qui constituaient un luxe à l’époque, suivies par quelques services hospitaliers. Le manque d’effectif a justifié cette disparition de la qualité de la coopération alimentaire. Fut un temps où la réputation du service hôtelier était si mauvaise, que les familles apportaient le repas du midi aux hospitalisés pour éviter un trop grand amaigrissement. Puis la démarche a été abolie avec l’heure des visites. Le respect de la personne âgée, commence avec la prise en compte de ses habitudes alimentaires. La critique formulée par une moue de dégoût envers ti zoyé(les raviolis) en dit long sur le contraire des goûts culinaires des pensionnaires. Donner des repères spatio temporels est important aussi. L’effort pourrait être fait de l’asseoir à une table de salle à manger, incitatrice d’appétit en groupe. Conserver l’envie de rencontrer les autres, c’est aussi désirer d’être en relation avec soi-même. L’isolement adopte facilement la négligence de soi. Ne plus prendre le temps de s’asseoir au moment du repas, manger dans la boîte de conserve ou dans la poêle à cuisson, c’est aller à toute vitesse vers la déchéance quand aucun regard désapprobateur ne vient corriger la posture. 
  • L’hygiène et le refus de se laver devraient donne accès à une autre conception de la toilette. L’explication se trouve dans l’impudeur du dénuement des corps des personnes réservées qui saisissent parfois le regard fuyant de l’intervenant, induisant le sentiment de dévalorisation envers les flétrissures du temps et la rapidité des gestes mécaniques du toucher, laissant l’impression d’une surface à nettoyer au plus vite, sans communication verbale si ce n’est pour donner des consignes de retournement ou d’écartement. La haine accentuée aujourd’hui d’un corps beau dans le passé, envié parfois, qui par l’attitude du soignant perd son identité, désagrège son histoire en le niant, de même que la force du toucher et sa brusquerie. Puis la peur de chuter, jamais clairement formulée, craignant l’instillation du doute des capacités de celui qui sait ce qui est bon pour soi.
    La toilette devrait être un moment de bien-être donc de sensation agréable. Quand ce n’est pas le cas, comment entretenir avec le corps un dialogue fécond ? A l’approche de la mort, la douceur devrait remplacer les blessures de la vie en guise de réhabilitation. L’inscrire dans l’exigence de l’accompagnement au registre des contacts humains est nécessaire.
  • La sexualité, son acceptation, redonne du sens à la vie, à son appétit de partage et de considération. Une remise en confiance de ce corps en voie d’usure, par la promesse du plaisir, favoriserait une chambre pour deux, oublieuse du lit à une place. Être attentif et tolérant, c’est permettre à la communication d’énoncer les désirs.
  • Les conditions de vie favorisant le bien-être, telles une salle commune de détente, la pratique de sport extérieure à l’établissement, les excursions, permettre aux familles de temps en temps de partager un repas, pourraient être ajouté à tout ce qui fait déjà.
  • Le maintien du sentiment de sécurité est indispensable sur le plan neurologique. Il permet l’élaboration et l’enrichissement de la mémoire émotionnelle grâce à l’atmosphère affective qu’il génère. La parole a un pouvoir apaisant et lénifiant qui secrète de l’harmonie. Et naturellement la communication est l’atout princeps de la bientraitance. L’expérience du robot animateur sportif (15.000 euros) introduit dans un EPAHD en France, passé l’effet de la surprise ludique chez les résidents, sera-t-il capable de remplacer la présence humaine ?

La qualité du mieux-être nécessite la connaissance des signes et des signaux inhérents à la culture. Cette connaissance est facilitatrice de la communication non verbale. La bouche en cœur, la tête tournée à l’opposé du vis-à-vis, le kip, sont des alertes de refus d’une situation pénible. Savoir que le non est impossible à formuler (signe de désamour), que le oui n’est pas bien tranché (je crois bien que oui), que le silence relève du mépris, sont des outils indispensables à la rencontre.

L’établissement de codes non verbaux pour des personnes n’accordant que rarement leur confiance aux autres membres de l’équipe, devient privilège de la relation. Pour établir une communication, il est préférable d’être soi, ouvert, présent, porter une attention positive inconditionnelle, éviter le jugement, percevoir le cadre de référence de la personne avec exactitude, avec les composantes émotionnelles et les significations qui s’y attachent. Les interventions ne sont pas neutres, elles induisent chez l’interlocuteur un comportement en réponse à chaque situation impliquant une relation d’aide. La recherche d’informations peut être vécue comme un interrogatoire qui va générer une réaction de défense (inhibition, fuite, repli sur soi), comme un jugement implicite parce que les explications données sont insuffisantes ou incomplètes.

Lors d’une prise de décision, si le soignant adopte une attitude d’évaluation (c’est bien, c’est mal, vrai ou faux) contraire au système de référence, la réaction de défense se fera immédiatement sentir, parce que cela a fait naître une sensation d’inégalité et d’infériorisation. Les relations interpersonnelles deviennent plus complexes avec l’âge.

La volonté d’être protégé mettra l’aidant en situation de pouvoir quand il s’agira de trouver une solution à un problème, en cas d’échec, il sera mis en accusation. De même la minimisation d’une situation rencontrera un refus hostile par crainte d’inspirer de la pitié. Il faut dès lors être en attente de suggestions et de directives de la part de l’aîné, c’est-à-dire aller à son rythme, prendre du temps. Si d’aventure une interprétation vise à fournir une explication de ce qui a été dit en lui proposant un sens ne correspondant pas à sa vision des choses, la bouche close mettra fin à la communication 

Reformuler encore et sans cesse est un principe indispensable au respect de la personne auquel s’ajoute le processus de vérification. La communication non verbale a ses règles et ses rites. Elle est parfois supérieure à la communication verbale, son impact est immédiat.

D’abord le corps dans l’organisation spatiale, son déplacement signifiant le désaccord (mwin an ki déplasé, je me suis déplacé),puis la posture tonique attitude de défi. Les gestes constituent un ensemble codifié qui en règle les expressions. Leur décryptage manifeste l’appartenance au groupe, signes de reconnaissance qui renforcent les liens sociaux. La distance exerce une influence sur la transmission de l’information par la mobilisation des canaux tactiles, visuels, auditifs. Le regard où se lit l’indice de satisfaction, le doute. La voix dont le rythme dépend du contrôle émotif, signalent une concordance entre les codes.

La compréhension de la personne ne saurait se limiter aux institutions. Cette information devrait être relayée auprès des familles et des aidants naturels, puisque le maintien à domicile est d’un pourcentage plus élevé que la mise en établissement et parce que l’augmentation de l’espérance de vie est une réalité dont on doit désormais tenir compte. Ce qui oblige à dégager des pistes susceptibles d’améliorer la qualité de l’existence quotidienne des personnes.

Prendre soin de l’autre de façon intense et régulière implique une grande responsabilité qui prend allure de mission. Parent protecteur, le statut de l’aidant lui confère une prise de décision dont découle une estime de soi, qu’il attend de lire dans le regard des autres. En prenant soin de l’autre, il se soigne aussi car il se conforte dans l’idée qu’il est indispensable, utile, autant que bienveillant et aimant, c’est-à-dire bon.

Sa toute-puissance non exprimée, ni même consciente, si elle est contestée par l’échec de la relation ou la non reconnaissance de l’entourage, ne serait-ce que par le désaveu d’une décision, va lui infliger une blessure narcissique. C’est dire que prendre soin n’est jamais dénué d’affects. Les sentiments sont mis à l’épreuve par l’érosion de l’investissement, par l’absence de gratification (les remerciements), par la démonstration de préférence d’une sœur ou d’un frère indifférent, par des détails qui touchent à l’émotion. Des incertitudes s’installent, semant le doute sur la qualité de la prise en charge. L’ingratitude vient s’imposer en premier plan, empoisonnant les comportements réciproques. Si des agissements ne viennent pas suturer ces lieux d’incertitude, le prendre soin encourt le risque de complications relationnelles.

Pour être bientraitant, faudrait-il avoir le sentiment d’être bien traité. L’accommodation du personnel soignant tenu d’établir un partenariat avec la famille passe par une formation ciblée. La gentillesse et le savoir-faire ne suffisent plus. Il faut savoir où se situent les limites des partis en présence, redéfinir la place de chacun, créer un partenariat simple, clair, objectivable. La gestion du stress est maintenant une obligation sur la pression subie par le temps, les relations professionnelles, les relations interpersonnelles.

La notion de bientraitance dont l’objectif est d’envisager autrement l’approche des personnes âgées en situation de fragilité, oblige à les reconnaître comme des êtres humains avec une histoire de vie faite d’expériences de besoins et d’attentes qui leur sont propres.

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