Publié dans Le Progrès social n° 2554 du 18/03/2006
Un des indices de base du niveau socio-économique d’une région s’appuie sur la capacité à traiter ses ordures ménagères, pratique indispensable au maintien et à la prévention de la santé de tous. Avant le traitement des déchets, le ramassage ou collecte nécessite le respect de quelques règles sanitaires applicables aux employés de la voirie : masques para germes, bottes, gants, hygiène corporelle (douche après service), suivi médical régulier. L’amélioration des conditions de travail a fait disparaître les camions à ciel ouvert où, dans certaines communes, des hommes sans protection aucune déversaient des poubelles, piétinant les ordures non triées, au risque de se faire piquer par des seringues non capuchonnées. La notion de risque semble aujourd’hui être comprise par l’employeur qui fournit l’équipement idoine. L’évolution est patente s’agissant de la fréquence du passage des camions trois fois par semaine, entre 05h30 ( trop tôt pour le bruit) et O8h 10, le travail s’effectue proprement malgré les sacs agglutinés à côté des poubelles individuelles ou débordant du couvercle, livrés à la curée des chiens. Les ouvriers sourient, font des signes amicaux aux habitants des quartiers, leur facilitant la circulation comme s’ils avaient reçu une formation sur le savoir-vivre en société, en tenant compte de l’autre. Ils semblent s’adapter à toutes les situations rencontrées. Ensuite la décharge reçoit tout ce que le malaxeur a entassé dans le camion couvert. A son arrivée, des oiseaux en train de picorer ( tourterelles, ramiers, pics bleus, kios et petits chardonnerets) s’envolent se posant plus loin dans l’attente d’un retour vers une alimentation nouvellement étalée. Les animaux ont leurs habitudes alimentaires : les oiseaux se nourrissent de graines, d’insectes, de tiques à vaches, de fruits. Dans cet espace dont la puanteur s’accentue avec la chaleur des rayons du soleil, ils s’empiffrent de restes carnés susceptibles de rompre leur chaîne alimentaire et leur équilibre nutritionnel. Il serait intéressant de savoir si un oiseau peut souffrir d’obésité. La modification de leur programme génétique devrait attirer l’attention des chasseurs friands de la chair des ramiers empreinte d’amertume. Les rats aussi sont alléchés par cette abondance, les manglous, les chiens. Une faune à l’affût se reproduisant et proliférant en ce lieu nourricier et protecteur sauf quand la décharge brûle. Car elle brûle la décharge, des jours et des nuits entiers. Une fumée épaisse, gris foncé, envahit les alentours, obligeant la population environnante à fermer les volets les privant de luminosité et d’ensoleillement.. L’air est irrespirable, pestilentiel. Le sommeil qui doit être réparateur négocie sa constance avec les désodorisants éphémères. La décharge brûle, sans pitié pour les yeux larmoyants, irrités, les poumons pollués ( la lutte contre le tabagisme met en relief la fragilité du système respiratoire), elle brûle comme une injure à la face des citoyens qui ont la malchance de vivre dans sa périphérie. Londres, Paris, Washington, Bonn, ces mégapoles supporteraient-elles des décharges identiques à celles de Baillif et de Pointe-à-Pitre ? Evoquer cette possibilité occasionne le surgissement d’une vision cauchemardesque pour les Européens. Le quart-monde ne saurait supporter cet élément comparatif avec un PIB aussi bas. Puis l’écologie exige des moyens financiers ; sa prétention s’arrête au verbe et à la dénonciation car ses actions supposent un coût.
La décharge verte ouverte à la réception de végétaux s’accoutume aux appareils électroménagers, ordinateurs, meubles, ferrailles et sanitaires. Les poupées et les ours éclopés, démembrés, ont de quoi s’indigner d’une telle compagnie. L’éducation d’un peuple passe par l’information suivie d’exécution pratique grâce à la mise à disposition d’équipements adéquats : bennes pour les dépôts de déchets de ce type. Le succès de ces dernières quand elles veulent bien faire une station de quelques jours seulement, mérite le renouvellement de l’opération. La décision de doter les communes de collecteurs destinés à trier les déchets ( verre, papier, plastique) dépend de quelle instance ? Et celle de mettre des poubelles adaptées aux besoins dans les endroits où les personnes se rassemblent en groupes ? Les élèves des collèges et des lycées, ceux vers qui s’accroît l’information oublient tout ce qui a été entendu à propos des salissures non dégradables qui jonchent le sol. Peut-être qu’un exercice pratique serait porteur d’une prise de conscience, celui de leur demander de constater les nuisances dues aux canettes de boisson sucrée et gazéifiée et de leur laisser décider de l’attitude à adopter afin d’y remédier. La poubelle située à trois mètres si elle était trop petite, serait pleine à craquer. S’il était posé cette question à la population: « Jetez-vous les emballages des bonbons et des biscuits mangés au salon, dans la pièce par terre ? » Elle la trouverait saugrenue, à la limite de la débilité s’il n’était ajouté : « Et dans la rue, aux bords des chemins, à la plage ? » La main dans la voiture qui lance une bouteille par la vitre, un dépliant publicitaire froissé, n’ayant pu le refuser à cette personne distributrice aux heures de pointe de ces papiers envahisseurs de la vie quotidienne et jetés sur les trottoirs, dans la rue, emportés dans les rigoles par l’eau en temps de pluie, ne s’imagine pas comment elle dénature le paysage aggravant l’image d’une île à la propreté douteuse. L’extérieur ne ressemble en rien à ces intérieurs de maison rangés, d’une netteté irréprochable, entretenus chaque jour : sol lavé, absence de poussière même quand la famille se compose de plus de deux enfants. La différence de comportement est due au manque d’investissement d’un lieu commun appartenant à tous et ne donnant aucune satisfaction individuelle, tandis que l’intime n’est partageable qu’avec un petit nombre choisi dont le regard se doit d’être gratifiant. La rue puisqu’elle est à tout le monde n’est à personne ; faudra t-il peut-être la personnaliser afin que chacun la reconnaisse comme sien en développant la notion de communauté et d’appartenance. Les rues de la Désirade, quand la modernité ne l’avait pas encore remplie de pas, étaient si propres qu’elles semblaient être récurées chaque jour. Cette image retenue par l’inconscient a certainement aidé à faire oublier la représentation de la léproserie qui lui était accolé.
Les déchets industriels aggravent la pollution des eaux courantes et souterraines. Que de luttes ont été menées par des riverains pour la défense du droit à la vie des poissons autant que du droit à la santé des personnes. Sans prise de position et d’exigence de changement, les choses restent cachées. La boue qui a coulé dans les robinets un samedi de 10h à 15h n’a jamais eu d’explication ni de réponse aux lettres expédiées au responsable de la veille sanitaire et de la direction des eaux. Les déchets médicaux et chirurgicaux comment sont-ils traités ?
Peut-on continuer à se taire quand en France un récent congrès a signalé les méfaits des pesticides qui ne s’éliminent pas de l’organisme, se transmettent de génération en génération générant des malformations génitales ; atrophie pour le garçon, féminisation accrue pour la fille. Doit-on faire comme si de rien n’était ? Accepter comme une fatalité les déchets, les nuisances ? Suffit-il de mettre un panneau montrant un enfant au milieu des ordures suggérant : « Regardez ce que vous me faites ! » Le geste individuel est souvent facteur d’un manque d’information mais surtout de l’absence d’équipements correspondant aux besoins.
La décharge brûle ! Qui est responsable ? Le manque de moyens financiers, la lenteur administrative, l’absence de politique réelle du traitement des déchets ? Il faudra bien un jour en rendre compte.