Publié dans Le Progrès social n°2635 du 13/10/2007
La France s’émeut. A la une des journaux s’affiche ce qu’elle qualifie de catastrophe sanitaire. La radio et la télévision assurent le relais de l’information. La ministre de la santé doit être convoqué devant ses pairs pour en parler. Cette agitation hexagonale soudaine est provoquée par un rapport après analyse des sols de la Guadeloupe et de la Martinique par un scientifique crédible et honorable, sans crainte de démentis ni de représailles.
Le chlordécone, pesticide, utilisé dans les bananeraies et autres cultures des deux îles est dangereux pour la santé. Les Guadeloupéens font la grimace comme s’ils découvraient une vérité dite et redite au niveau local. Depuis trente ans, la pollution des sols a fourni une alimentation à risques. Si l’alerte n’a pas été donnée à cette époque c’est que personne ne se souciait de la qualité des produits cultivés et consommés.
Mais cela fait au moins cinq ans que des femmes et des hommes de la Guadeloupe et de la Martinique ont dénoncé l’empoisonnement continu des terres cultivées. La révélation publique et la prise de conscience ont été sans cesse une préoccupation pour le mouvement des Verts et de son leader. Les intellectuels ont ajouté leur voix au chapitre (Cf. « Nuisances et autres déchets » Progrès Social du 03/2006 N°2554) et certains ont même prôné l’urgence de l’agriculture biologique.
L’insistance du rappel du désastre que constituait la pénétration du produit dans la nappe phréatique, son écoulement dans les eaux des rivières ; sa propagation aux animaux qui broutent et aux porcs nourris à la banane, n’a pas occasionné de débat à l’Assemblée Nationale. Aucun « J’accuse » n’a jailli de la bouche de responsables politiques.
Cette affaire leur semblait somme toute anodine malgré sa mise en relation avec le nombre de cancer de la prostate. La langue de bois se devait t-elle d’être complice de la sourde oreille alors que le leader des verts avait porté plainte après avoir voulu rassemblé le peuple absent pour protester et dire sa désapprobation ?
Aujourd’hui à la place des vraies questions de fond, sans oser contredire une vérité scientifique, chacun essaie de minimiser ce scandale. La régie des eaux se veut rassurante. Le filtre constitué par le charbon des bassins de stockage de l’eau de table est bonne à la consommation : la prévention permet d’éviter la pollution. Montrées à la télévision, ces images apportent un petit réconfort à ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter leur eau.
Le secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer déclare ne vouloir manger que des produits locaux durant son séjour (3 jours) et trouve dommage que cette information arrive au moment ou est érigé un plan de grande envergure pour l’activité touristique dans les îles. Il semble évident que l’économique prime sur la santé des populations.
Qu’on se souvienne de Tchernobyl et des essais nucléaires dans le Pacifique, sans parler du sang contaminé. « Distribuez la cartographie de la pollution : la Grande-Terre n’est pas tellement touchée : la Basse-Terre possède les rivières et les bananeraies ! » La pensée de ne plus vendre ses récoltes établit une ligne de partage entre les agriculteurs des deux ailes de l’île papillon. Encore un peu certains seraient montrés du doigt.
La suspicion déplace le problème et ne permet plus d’aborder une analyse logique du phénomène. La banalisation a sanctifié l’ouragan Dean : ses pluies diluviennes ont lavé les sols. Ce que n’ont pu faire ni Luis, ni Marie-line, ni Leny. L’emprise de la croyance en la destinée, la fatalité, donne du réconfort à un groupe de gens pieux. Tout ce qui est devait arriver. « On n’est pas mort jusqu’à maintenant ! »
Cependant la parole rappelle la présence du pesticide dans les aliments : « Veux-tu encore un peu de gratin d’igname à la chloredécone ? » Cela signifie que pour mieux accepter sa présence au quotidien, il est tourné en dérision. A la limite il n’existe pas. Ce mécanisme de défense est parfois opérant. Mais la remarque est que l’imaginaire est encombré par l’affirmation de l’empoisonnement quand elle vient de France. Comme si le dire local répété maintes et maintes fois n’avait aucune valeur et ne suscitait qu’indifférence ?
Le choix du label donnant valeur de vérité à l’information quand elle est diffusée sur le plan national, discrédite la confiance qu’on devrait accorder au sérieux de la prise de position des compatriotes. Le « Cénou mem » miniaturise, rapetisse. Le proche connu ne saurait briller ni en efficacité, ni en connaissances ? Les clichés ont la dent dure.
Maintenant il va falloir porter les interrogations sur plusieurs points :
- Les risques sanitaires réels et leurs conséquences sur la population (développement des maladies, transmission aux générations futures)
- La décontamination des personnes atteintes ( il y a-t-il un possible ?)
- L’évaluation du coût des maladies et leur indemnisation
- Les propositions alimentaires ( produits consommables et non consommables)
- La décontamination des sols
- La transformation des cultures vivrières
- L’adaptation des modes alimentaires
Ces premières questions surgissent spontanément dès l’évocation de la contamination :le plus préoccupant restant celui de la transmission. La présence affirmée de la chloredécone dans le cordon ombilical agite le spectre de la peur. La malformation néonatale est vécue comme un acte maléfique extérieur, venant d’une ennemie (souvent la maîtresse du mari) ou d’une malédiction divine. Dans ce cas la parturiente en porte la responsabilité directement ou indirectement. Elle ou un de ses ascendants qui n’a pu payer de son vivant a commis une faute grave et la punition arrive à l’occasion d’une naissance. Avoir le châtiment en permanence sous les yeux et en souffrir est intolérable. L’idée que le pesticide ait choisi son foetus relève du « giyon », une malédiction aggravée. La culpabilité s’en ressentira encore plus.
Ensuite, en deuxième lieu, fuse la recherche des responsabilités. Pourquoi un produit dangereux est-il mis en vente ? Cela relève t-il de la légèreté ou de deux intérêts économiques : celui de faire du bénéfice et celui de justifier du volume de l’importation. Les personnes âgées consentent à faire leur deuil du bouquet à soupe puisque déjà les légumes sont présentés épluchés et coupés dans les hypermarchés. Mais les « racines ? » Ne plus en consommer : ce n’est pas possible ! Elles ne savent pas encore que l’igname se cultive et se récolte dans le Massif Central, igname « grosse kay » du même goût que la « pakala » à la peau un peu durcie par le froid, mais aussi savoureuse et moins chère.
Personne ne parle du partage de l’empoisonnement avec les grands consommateurs de banane en France. Elle qui porte la preuve du talent des athlètes sur des affiches belles et colorées d’espoir, la fierté. L’égoïsme dominant s’arrête aux limites des mers.
Cette histoire est le révélateur de l’absence de rigueur des contrôles sanitaires, de leur mauvaise foi ou de leur incompétence en matière de préservation de la santé des populations. La catastrophe à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui doit servir d’exemple : elle signale que nous ne bénéficions d’aucune sécurité effective. Par exemple, rien n’est mis en œuvre en Guadeloupe pour palier à une crise sanitaire. Les nouvelles dispositions de construction d’un hôpital prévoient un hall capable d’accueillir un grand nombre de personnes en cas d’épidémies. Actuellement si cela arrive ici comment fera t-on ? Sur le sol empoisonné peut pousser des fleurs, mais les humains comment les remplacer ?