Publié dans Le Progrès social, n° 2480 du 25/09/2004
Le nombre d’avortement ( interruption volontaire de grossesse, IVG) est en constante augmentation et commence à devenir préoccupant car ce comportement dénote une relation particulière de la femme à son partenaire, à sa propre personne en rapport à ses croyances religieuses.
Contrairement aux paroles répandues, il n’est pas le fait seulement de filles jeunes, ni de mères célibataires, puisque les chiffres de 2OO3 émanant des services de Gynécologie/obstétrique du CHU de Pointe-à-Pitre répertorie 4.632 avortements, alors que les naissances sont de 7.OOO par an. 40% des femmes enceintes avortent. Quel âge ont-elles ? 42% ont entre 2O et 39 ans, 54% ont 45 ans et plus. La répétition de l’avortement( récidive) se confirme chez les femmes de 35 à 49 ans( 66%) contre 34% chez les 2O-39 ans.
La contraception aujourd’hui est à la disposition de toutes( pilule, stérilet, condom, préservatif, implant, etc…). Les filles mineures peuvent sans le consentement parental se diriger vers la maternité consciente et obtenir un moyen contraceptif. Son utilisation est minime.
Que signifie une telle attitude ? L’influence de la culture ? certes la mère est tellement sacralisée qu’il importe avant 25 ans de tester la possibilité d’enfanter, d’autant plus qu’un ventre improductif est suspecté de malédiction ou de châtiment divin pour « commerce sexuel. » Serait-ce alors un piège tendu au géniteur pour le forcer à prendre ses responsabilités dans un non-dit ? Ces analyses sont insuffisantes. Souvent le chômage pointe l’aspect social de l’IVG : mais chez les plus âgées ?
La visite chez le gynécologue n’est pas systématique, elle correspond au suivi d’une grossesse ou d’une stérilité à traiter. Certaines pour justifier cette négligence évoquent le spéculum douloureux, la pénible nudité du corps toujours à dissimuler, tant de maux pour dire le refus du dévoilement de l’intimité. Les idées fausse ( la pilule fait grossir, le stérilet peut percer l’utérus ) font que la grossesse est toujours un accident même chez les femmes mariées, comme si rien ne pouvait se prévoir, de décider, se planifier, se parler avant d’agir. Ou se situe le désir quand il y a accident ?
Prendre la décision d’avorter est parfois une démarche douloureuse. Si on enlève ce besoin de coup de pompon hormonal chez les 48-5O ans, réassurance d’une jeunesse quelque peu enfuie, le grand nombre d’avortements participe à un mode de communication non déchiffrable sur le plan du réel avec le partenaire. L’avortement correspond à une attaque de sa virilité dans la mesure où il annule ce qui était la preuve d’une fertilité : virilité et fertilité se confondant dans la pensée. Dans une mise en scène organisée sur le plan symbolique, la femme va jouer sur sa peur archaïque de n’être pas un homme, car être un homme « c’est avoir un sexe, être viril c’est s’en servir. »
Ce double jeu du : « Je reconnais ta virilité donc ta puissance, je te permets aussi de l’apercevoir et maintenant je l’annule », range l’homme dans la catégorie des impuissants : impuissant à voir se matérialiser ce qui a été donné, impuissant à contrecarrer le projet de la femme. La castration délibérée comme un défi, éradique le rôle de l’homme et sa participation à un éventuel désir. Maintenant dépouillé de sa mâle arrogance , il assiste à une recomposition subtile de la domination féminine. Elle lui dit à travers l’avortement : « Te permettre d’être père dépend de moi, je peux mais je ne veux pas .»
Cette relation à l’homme ne dispense pas de la souffrance puisque la relation à l’autre est aussi une relation à soi. Ce besoin d’une menace de punition : « Tu ne mérites pas » correspond aussi au « Est-ce que je mérite ? » La crainte d’accéder au statut de mère en se
réassurant sur la possibilité de l’être démontre des sentiments contradictoires envers une mère peu présente ou envahissante en dehors d’une concurrence supposée.
Aucune femme ne sort indemne d’un avortement. Des années plus tard, quand la déveine frappe à la porte, emplie d’une grande culpabilité, elle va murmurer, c’est mon châtiment.
Les interruptions volontaires de grossesse remettent en question les principes de base de la contraception. Doivent se poser les questions de l’éducation sexuelle des enfants( outils employés, moyens d’apprentissage, âge, absence de différence entre filles et garçons, lieu d’intervention), de l’implication des parents qui refusent que leurs enfants entendent parler de sexualité, (c’est dire combien eux-mêmes ne sont pas au clair avec la leur), de la compétence des personnes chargées de cet enseignement car une formation est nécessaire afin de juguler la gêne et la honte qui perdurent dès que sont abordés les thèmes de la sexualité.
Responsabiliser les garçons en leur faisant prendre conscience qu’une grossesse est le fait de deux personnes et qu’ils doivent refuser de se laisser prendre au piège de cet avortement ,sera une avancée formidable pour les générations futures. Toute femme pourra s’autoriser à dire « un enfant quand je veux avec l’accord de mon partenaire. »