Les mères dysfonctionnelles
Elles le sont quand la relation peut avoir des conséquences graves et douloureuses sur la vie de leur fille. Pour aimer il faut avoir reçu de l’amour, aimer sans rien attendre en retour : le don est gratuit.
La mère jalouse contrecarre les aspirations de sa fille. Les critiques incessantes, le refus de sa sexualité, le comportement séducteur vis-à-vis de son copain quand elle ne le dévalorise pas, sont le refus d’un statut féminin et le rejet d’une confrontation de femme à femme. L’adolescente intériorise le doute de soi, un malaise en présence d’autres femmes, un manque d’assurance sur le plan de sa féminité et sur sa capacité à séduire. La chaîne de transmission de mère jalouse en fille dévalorisée est assurée. Rarement est intégrée la jalousie de la mère : cette idée est vite expulsée de la conscience car elle scelle la condition d’une rassurante et indéfectible bienveillance en conservant l’illusion d’un amour donnant pleine satisfaction qui justifie l’impossible séparation.
La mère fusion ne vit qu’à travers sa fille dans l’exclusive d’une relation où personne n’a de place. La gratitude ou le rejet est fonction de la satisfaction ressentie. Dans un non-dit, inversant les rôles, cette mère se présente comme élément indispensable au bien-être, ne se privant pas de s’ériger en éternelle dévouée au service de son enfant, alors qu’elle ne jouit qu’au travers de la réussite de cette dernière et s’en sert comme passe-droit, celle qui mérite la récompense d’une éducation parfaite mais qui ne le dit pas.
La mère à carence narcissique dont la fille prolongement d’elle-même n’est adulée que parce qu’elle la valorise, dont les possibilités sont exploitées que pour combler ses manques. Un exemple de vie par procuration. Dans les concours de beauté, les enfants réparent le narcissisme défaillant de la mère. L’enfant correspond à ce qu’on attend de lui, ses désirs ne sont jamais exprimés. Elle n’est que l’objet d’une réparation, elle est instrumentalisée.
La mère possessive, celle qui sait, ne supporte aucune critique, aucune opposition, au caractère dominant, celle qui met son enfant sous emprise, la chosifie, ne lui accordant aucun droit. Victime d’une abolition de sa personnalité, la fille aura du mal à reconnaître les effets dévorants d’une telle relation puisque cette grande protection est dite pour son bien, au nom de l’amour. Ce lien peut en retour engendrer de la haine qui incruste dans la pensée une ambivalence de sentiment au moment de la puberté, quand une réalité de dépossession de soi se dévoile.
La mère déprimée ne laisse filtrer ni désir, ni regard valorisant. La relation est teintée de désintérêt qui laissera des traces à l’âge adulte de l’ordre de la culpabilité, de la fille qui se croit responsable de la situation. La construction d’un bonheur durable ne se fera pas sans mal.
La mère rejet dont l’enfant s’attribue la cause des mauvais traitements et en endosse la responsabilité, parce que dans la société antillaise il est interdit de dire du mal de sa mère. Carencée narcissiquement aussi, elle en veut à sa fille, la dénigre l’accusant de tous les maux. En filigrane cette attitude souligne la haine de cette naissance qui l’a faite mère avec obligation de responsabilité impossible à assumer. C’est le cas de la mère coucou qui va pondre dans le nid d’un autre oiseau, refusant la contrainte de la couvade et du nourrissage. Insatisfaite de sa condition pour des raisons résultant des meurtrissures du passé, la fille devient le vecteur de sa souffrance morale. A craindre le phénomène de reproduction.
La mère parfaite pourvue de toutes les qualités est adulée et idéalisée parce qu’impossible à égaler. Le risque est le sentiment d’infériorité et de doute permanent qu’à l’enfant en héritage. Il n’y a rien de plus imparfait qu’une mère parfaite.
Le passage à l’acte
Il signe une détérioration du fonctionnement mental normal. Du point de vue des interactions sociales, l’observation de certaines situations où l’enfant est privé de dialogue, maltraité affectivement par l’indifférence d’adultes surmenés, déprimés, laisse entrevoir où se situent les racines du passage à l’acte violent et les racines de l’imaginaire violent. Le comportement violent est le seul moyen trouvé pour combattre les difficultés affectives, le sentiment d’abandon. Cependant tous les enfants au comportement violent n’atteignent pas la situation paroxystique du passage à l’acte homicide avec ou sans préméditation.
Le meurtre est souvent précédé d’une série d’acting out (petites délits, comportements insensés) comme tentative d’alerte de l’entourage sur la nécessité de s’apercevoir que quelque chose ne va pas. Aucune verbalisation n’est possible : où il y a de la parole il n’y a pas d’acte, qui aiderait à réguler un conflit insurmontable. L’irruption de l’agir témoigne d’une faille dans le système parole/action. Le passage à l‘acte vise à réduire la tension anxieuse et les enjeux sont les enjeux de vie ou de mort. La mort de soi ou de l’autre devient la solution.
Comment naît cette situation dangereuse ? L’accumulation des échecs et des frustrations (impossibles à intégrer depuis la petite enfance) mis en relief dans des reproches incessants, donne le sentiment d’une menace lourde pesant sur la liberté physique et psychique. La mère est identifiée comme étant à l’origine d’une situation de domination, de rivalité sexuelle, de relation sadique. Le paradoxe naît de la difficulté de la séparation d’un lien très investi, et de la certitude de ne plus être aimé ou de perdre l’amour primordial. C’est cette douleur psychique que l’adolescente fragile cherche à éviter en évacuant les représentations de la séparation qui les font naître, par des comportements agis qui ont fonction d’évitement de la pensée.
La croyance que cette mère est devenue un obstacle une entrave, une grande figure de la persécution, la crainte d’être engloutie psychiquement autorise d’établir un rapport de force qui gonfle le narcissisme. La fille alors effrayée par la perte imminente de son identité, craint de ne plus exister en tant que personne dont la parole doit être reconnue ; la violence apparaît comme une réponse à une menace pesant sur le moi, vécue comme blessure narcissique. Le désaveu de son autonomie est source d’une grande souffrance indépassable, le conflit bascule dans la confusion de l’image persécutrice et de l’être réel et oriente la détermination vers une extermination.
Vécue dans un rapport d’intrusion insoutenable, qui s’avère être un réel danger, le face-à-face de l’affrontement élabore la destructivité dans une visée de survie narcissique et impose le besoin de dominer. Le fantasme de toute-puissance est agi car il suggère une possible reprise des désirs. Le traumatisme retrouve ici sa valeur psychique, celle du meurtre de la mère et de la réalisation en acte de l’inceste avec le père. La période pubertaire réactive les fantasmes incestueux et parricides. La fonction du meurtre devient réalisation du désir où la jouissance ouvre le champ à la violence destructrice. Cette violence renvoie la capacité du sujet non plus d’accepter les interdits mais de pouvoir supporter qu’il y ait de l’impossible à assurer son droit à la jouissance. Soit l’adolescente prend à sa charge cet impossible on l’aperçoit dans les états dépressifs et les tentatives de suicide, soit elle en rend l’autre responsable transformé en persécuteur à éliminer, représentant de l’autorité, dans une violence sans bornes. La fille croit qu’elle sera plus libre lorsque la mère ne sera plus là. « Ma mère était toujours plus obsédante, elle m’empêchait d’avoir ma vie, de vivre librement, elle m’obsédait. Elle m’empêchait de grandir. Je ne pouvais plus continuer comme cela, ou je me tuais ou je la tuais » a dit Roberto Succo (tueur de sa mère et de son père), en démontrant l’éclatement des limites entre la poussée de la pulsion interne et l’effraction externe. Le sujet se retourne contre ce qui incarne la menace de sa propre extermination, frappant l’effrayant d’impuissance. Prendre le pouvoir, dominer, accéder à la puissance que personne ne peut vaincre.
Après l’agir, l’extrême tension se relâche et le sujet peut ressentir comme un soulagement : surtension longuement contenue et enfin libérée. La satisfaction qu’une solution définitivement trouvée permettra de ne plus aborder ce sujet reste une vision personnelle, comme si un retour sur la cause n’était pas envisageable. Les adolescents meurtriers ne parviennent pas en général à dire les raisons qui ont précipité les parents dans la mort. Une jeune fille de 16 ans après l’assassinat de sa mère et de sa sœur aidée en cela par son copain, a raconté que sa mère aimait plus sa petite sœur qu’elle, donnant accès à la banalisant de son comportement. C’est bien entre cette horreur de l’acte et le calme de son énoncé que l’on retient l’idée du crime immotivé. Le mutisme cautionne parfois l’irréalité du geste.
Chez les adolescents meurtriers, la remontée d’un constat obsédant ; « Si je l’ai tué, c’est peut-être pour la tuer en moi » souscrit l’intolérable après-coup dans une recherche active de suicide. Beaucoup de parricides disent n’avoir pas pu faire autrement, adhérant à une sorte de fatalité.
La prise en charge
Reste à établir un diagnostic sachant que les troubles psychiques à l’adolescence sont de nature mouvante et sont susceptibles d’évolution. Cependant les registres psychopathologiques dans lesquels ils seront catégorisés sont au nombre de quatre : psychose, névrose, dépression, troubles limites. Aujourd’hui une prise en charge psychothérapique peut être proposée afin d’aider à baliser les affects dus à la rupture de l’amarre généalogique, puisque le matricide demeure un crime dont la perspective d’auto engendrement commence à se dessiner à la lumière de certaines pathologies mentales. Les proches devraient avoir recours à un suivi psychologique afin d’accéder à un travail de deuil à double versant : celui de la disparue, celui de l’adolescente et de sa place dans le système de filiation.
Fait à Saint-Claude le 27 août 2020