Les anthropologues ont mis en exergue l’importance de la culture et son influence sur les conduites individuelles et collectives. La Science croyant détenir la vérité a ignoré cette donnée qui, si elle n’est pas essentielle, n’est pas non plus négligeable. Le volet soin/culture commence à aider le soigné, vu sous un angle nouveau, à accéder à un mieux-être. La psychanalyse, elle-même porte réflexion sur le doublage pulsionnel de la culture tributaire des comportements / réponses.
Qu’est-ce que la culture ? C’est une configuration de comportements observés et appris à l’intérieur d’un groupe d’appartenance, allant dans le sens parents/enfants. Elle est composée d’éléments dont les principaux sont : la langue, la religion, l’art culinaire, la musique, la danse. Elle influence la manière d’être au monde des individus. Certains sont attachés de manière forte à la tradition appelée aussi us et coutumes, parce qu’elle structure leur parcours de vie. D’autres la vive sans se préoccuper de la conformité ou non de leurs comportements, d’autres enfin entretiennent avec elle un rapport distant. Le déni et le rejet balisent l’existence d’une infime minorité qui, voulant se calquer sur d’autres modèles arrivent à une déstructuration de leur personnalité : la personnalité comme si.
Mais la culture elle-même n’est pas figée. Au contact d’une culture différente elle s’enrichit de traits nouveaux, à son grand bénéfice. Par exemple la langue selon les époques adopte des mots issus d’une tranche d’âge : le pain ou l’objet grigides années soixante se transforme en copain des années quatre vingt et devient l’ami du politiquement correct de l’an deux mil, tout cela désignant l’amoureux. L’art culinaire s’adapte au goût nouveau et aux normes obligées de l’hygiène de vie.
L’identité culturelle conforte l’être dans sa personnalité de base et donne assise à ses désirs et à sa sécurité intérieure. C’est dire combien elle est nécessaire. Quand surgissent les difficultés dues à un environnement hostile, la réappropriation des pans culturels permettent ou d’opérer un prompt rétablissement, ou de développer des conduites de résistance. Les dissemblances de classe sociale, d’âge, de niveau intellectuel ne sont pas significatives quand il s’agit du mode opératoire de la culture. Ce n’est que dans le degré ou dans l’intensité que va apparaître la césure qui se transmet.
Dans le monde rural plus conservateur, les pratiques coutumières dans leurs formes ancestrales perdurent plus longtemps. La cité si peu éloignée des communes malgré ses artifices et son style de vie factice, se cramponne à ses rites protecteurs, en dépit des moqueries et des quolibets qu’elle profère envers les gens ignares. L’ordonnance de loi ancienne, obligeant le commerçant à laver son devant de porte, n’a pas pu imaginer le réconfort apporté par l’eau additionnée de crésyl et d’ammoniaque jetée chaque matin sur le trottoir de la plus riche vitrine de Pointe-à-Pitre. Lèvres fermées, des prières se bousculent à l’intérieur de la bouche durant le rituel d’arrosage. La journée sera bonne, sans vol ni braquage, la clientèle nombreuse. Demain sera un autre jour d’arrosage. L’essentiel est là. Chacun va puiser à sa manière ce qui est nécessaire à sa vie psychique et faire des choix orientés en fonction de ses besoins.
Il est à noter des invariants culturels dans tous les types de société. Mais ce qui est une norme ici, peut être vécu comme pathologique ailleurs. Les rapports aux gens, aux divinités, mettent en scène des actions incompréhensibles au yeux de l’observateur extérieur à la sphère culturelle ; ils s’ancrent cependant dans une logique de groupe d’appartenance. Dans une région d’Afrique, la souffrance est insupportable quand elle se localise au ventre d’enfant ou d’adulte, alors qu’un doigt presque sectionné ne suscite pas de panique. C’est que la croyance en un RAB destructeur, mangeur d’intestin risque de provoquer la mort du sujet. Le système de représentation de l’individu détermine la place accordée aux différents organes. Les intestins, les seins, le sexe, le cœur sont appréhendés autrement selon les origines ethniques.
Le sein est perçu comme un élément essentiellement féminin et il ne viendrait à personne l’idée qu’un père puisse porter le sien à la bouche de son enfant. Le masculin pourtant en est pourvu. Il n’est pris en compte qu’en cas de cancer : affection rare chez l’homme. La culture lui assure une suppléance nourricière quand la mère fait défaut : « Kan ou pé pa tété mamman ou ka tété papa.[1] »Mais qu’on ne s’y trompe pas, il s’agit plus du gîte et du couvert que du liquide pourvoyeur de vie. Car la fonction première du sein était et reste encore le symbole de l’être maternel. La « petite grossesse » est décelée par les regards fureteurs, à l’augmentation de la poitrine avant que le ventre ne s’arrondisse. Durant la gestation, la consommation de bière noire à base de malt, conforte la femme dans son rôle de future nourricière. La montée laiteuse tardive autorise une mixture à base de queue de morue salée et de lentilles que la parturiente avale sous l’œil attentif de sa mère ou de sa représentante.
A la campagne dans la classe sociale défavorisée, l’unique aliment de l’enfant était le lait maternel. L’introduction à trois mois, de bananes jaunes écrasées et d’igname dans sa nourriture, ne le privait pas pour autant de succion. La croyance maintenait vivace l’affirmation de l’allaitement/contraception, justifiant un sevrage tardif ; plus pour les garçons que pour les filles. La qualité de la présence maternelle était accrue auprès du petit garçon, car le corps était appréhendé dans sa disponibilité et son aisance pratique. Les mains s’attardaient à la prévention du phimosis, au nettoyage des moindres recoins du prépuce, au jeu jusqu’à l’érection qui préparait le garçon à la séduction. Le corps féminin lui, était saisi dans sa vulnérabilité par la promptitude de la toilette intime de la fille/bébé. Elle apprenait combien était gênante cette faille fragile et secrète de son anatomie qu’il fallait protéger. Au bout de trois, quatre ans, obligation était de supprimer de ces bouches avides cette partie de la mère, presque à son corps défendant puisque le lait continuait à mouiller les soutiens-gorge. Une pierre au soleil en recevait des gouttes, tombées des seins pressés. Ce rituel semblable à la magie analogique devait assécher le liquide nourricier.
Le renforcement se faisait à l’aide d’un collier de pois d’angole passé autour du cou. Quand le vert des graines virait au marron, en s’asséchant, par analogie le lait tarissait. Point n’était besoin de médicaments comme aujourd’hui, durant cinq jours posant la question du risque de maladie. Le tarissement spontanée ou l’aspect clairet de cette sève signalait à l’environnement une contrariété dissimulée. Très vite l’aînée volait au secours de la désespérée afin d’éviter au nouveau-né la transmission du mal-être. Les biberons de dictame[2] emplissaient le petit estomac sur lequel toute la maisonnée veillait. Le sein, baromètre de l’humeur reflétait les peines, la générosité alimentaire et le don de soi. Les signes du choix restaient visibles selon un décryptage culturel que seul percevait l’œil avisé des mères. Les seins représentaient l’abondance pour le bébé dans une société de la misère.
La mythologie riche d’enseignement recèle la figure du féminin maternel sous la forme de Bêt a mam Ibê[3]. Femme transformée en truie par un sorcier jaloux, elle parcourt les rues la nuit, entraînant dans son sillage des petits cochons, ses enfants dans une cacophonie de chaînes, de grognements et de cris. Elle symbolise l’éternel ressentiment de la victime à la fois malheureuse et satisfaite de sa condition de victime parce qu’elle rappelle la lâcheté du bourreau. Elle renvoie à cette permanence du centrage des responsabilités dû à la cruelle défection de l’homme, où il y a le quotidien, le banal d’une mère à qui incombe seule le fardeau des enfants. Le cliché d’un combat solitaire pour la survie, d’une apparente simplicité mais souveraine à rendre l’émotion contenue et le désarroi des retours en arrière impossibles, raconte le courage modeste et digne par delà les heurts du destin, d’une femme qui perpétue le risque et le refuge, l’évidence et les secrets, renouant le sens de la maternité comme symbole social imposé au corps par un désir violent. L’esquisse s’attache à justifier l’histoire du fondement essentiellement féminin de la cité, directement dérivée du partage égalitaire de la femme et des enfants.
Elargie au rôle de protectrice et de nourrice, la truie est un animal polymastique (plusieurs seins) où s’ancre l’idée de la fertilité sans père. On plonge dans les formes indécises de la bisexualité de la femme que draine en outre une fantasmatique parthénogénétique ou pis, d’autofécondation, car la parthénogénèse autorise parfois l’irruption du mâle. Le symbole de toute-puissance se retrouve aussi chez soukougnan : être surnaturel qui après avoir fait tomber sa peau au moyen d’incantations maléfiques, prend son envol la nuit, suçant indifféremment femmes, hommes et bovins. Elle s’envole dans les airs en envoyant dans son dos ses seins en guise d’ailes. A remarquer sur quoi elle fonde sa toute-puissance : le rêve de toujours de l’humain : voler. Le pouvoir symboliquement exprimé ici est un pouvoir d’une bisexualité volontaire. Cette volonté de femme bisexuelle dont les seins sont source de fécondité, aspire à la plénitude avec l’enfant. Derrière le crayonnage de la caricature, quand il va s’agir d’assurer sa sécurité alimentaire, ou d’ordonnancer la loi du renoncement, le sevrage, le père est là en filigrane. Assurément, le plein et le vide sont conditionnés par deux symboles masculins. La queue de morue élément phallique s’ajoute aux lentilles, favorisant la montée de lait, les graines de pois d’angole participent à son assèchement.
Ainsi, être mère ne saurait occulter des parties de l’homme qui permettraient à la femme de réaliser son dessein vis-à-vis de l’enfant. Sa démarche participative ne s’établit pas sur le plan du réel mais se tapit dans les limbes du symbolisme. Grâce à son engagement non visible, elle bénéficie dans le premier cas de la force et de la vitalité retrouvées à travers cette parole d’enfant béké malingre devenu adulte costaud : « an tété nègresse.[4]» A la limite rien ne peut lui arriver de mauvais tant le souffle de vie reçu le rend indestructible. Auparavant, la servante des habitations créoles fournissait le sein quotidien à deux enfants : le sien et celui de madame. Cela faisait partie des tâches ménagères tout en évitant l’épuisement de l’indolente accouchée.
La bonne mère se reconnaissait au corps potelé du nourrisson, comme l’épouse dont la croupe arrondie signalait d’abord l’abondance due à un riche mariage, mais aussi la fin du célibat. Les seins ronds, jugés généreux, du temps des grands-mères étaient considérés bons à l’emploi, sous-entendu à l’allaitement. Tandis que le tété[5] bouteille long et malingre avertissait d’une inutilité : soit parce que la femme avait déjà eu une vie remplie d’une nombreuse progéniture, soit parce qu’elle était amaigrie par la maladie. La flétrissure des seins n’était assimilée à l’âge que pour opérer une séparation entre les générations. Le bal a fem[6] a tété tombé réservé aux dames mariées ou non tenait loin des corps respectables les jeunes séducteurs, barbots ou gigolos, comme pour prévenir les exactions possibles du désir et des débordements. La musique aussi était adaptée : la valse créole, la biguine, le tango et le boléro n’activaient pas le sang des veines.
Les femmes libres à tétés tombés avaient le loisir d’établir le contact et de faire connaissance avec des contemporains. La prudence morale ne savait pas que les hommes âgés n’aiment que les jeunettes. La conscience de se diriger vers la mort oriente le choix d’une compagne bouillonnante de vie. Mais à l’époque, les personnes devaient rester dans un cadre correspondant à leur groupe d’appartenance : classe sociale, classe d’âge, catégorie ethnique.
On aura compris que le sein assurait un statut social confortable. Il se devait d’être pur dans le sens de dépourvu de maladies. Il était hissé au sommet de l’indestructibilité. Si le sein coupé de LOKEY, esclave noire de Saint-martin symbole de la résistance qui marchait la poitrine dénudée, rappelle la barbarie du bourreau, il souligne la volonté de priver la société tout entière de sa substance vitale. C’est un châtiment pire que la mort. L’atrocité n’est pas dirigée uniquement vers l’individuel, mais intéresse le collectif, la famille.
Les années soixante, le mannequin Twiggy et le téléviseur nouvellement arrivé, ont montré une femme androgyne, regardée de face qui semblait être de profil, sans hanches ni sein. L’image a frappé les imaginations de filles qui refusant le modèle maternel, optaient pour la préservation de la poitrine, devenue soudain objet sexuel. Le lait maternisé devait prendre le relais des seins bandés, gonflés de liquide nourricier contenu. Tire-lait, crèmes et pommades, comprimés asséchant avaient pour mission de préserver cette partie du corps à montrer dans un autre contexte que celui du maternel. La survenue timide du monokini, le haut enlevé, affûtait les rêves d’un galbe à l’épreuve de la maternité. Des jeunes femmes ont pleuré de déception quand des mères autoritaires ont essayé de mettre les bouts non faits de leurs petits seins devenus volumineux dans des bouches serrées de nourrissons.
Le nouveau-né semblait offrir une résistance comme pour combattre le mal par le mal ou peut-être par complicité avec la jeune maman afin d’endosser sa part de responsabilité. La difficulté c’était lui, sa présence. Après avoir déformé le ventre il comprenait et compatissait au refus d’acharnement sur le haut. Plus de vision dans les jardins de corsages ouvrant ou se soulevant à des fins d’alimentation. Les seins se portaient dans des balconnets agrémentant les décolletés. La sveltesse retrouvée rétablissait l’image du symbole sexuel. Les douches froides, les gels raffermissants venaient en aide aux nouvelles accouchées à la poitrine dégonflée par le retrait du lait. Le rétablissement du droit de l’enfant au sein, de façon scientifique, prouvé par les apports protecteurs et immunitaires de la mère, a relancé la relation privilégiée de ce moment intimiste. Le sein est sorti des wonderbra pendant cette période, sans difficultés, pour le réintégrer par la suite. L’amour opère des miracles quand il ne frustre pas. La maternité n’empêche pas le plaisir d’être regardé ou désiré : elle n’entame pas le narcissisme. Avant peut être comme après.
Aujourd’hui les seins s’aperçoivent dans tous leurs états. Ils ont acquis une sensibilité qui n’existait pas il y a un demi-siècle. Ils s’introduisent dans les écrans des portables et des sites pornographiques, ils se mettent en valeur par le biais de la chirurgie esthétique. Le geste de défense aux regards a aussi changé. En Europe la surprise voile le sein alors que les mains cachent le sexe en Afrique. Ici, une main sur chaque région à dissimuler opposait un refus à l’œil impudique. Actuellement les deux mains sur le triangle du sexe en dit long sur ce sein symbolique (entendu dans le sens du registre auquel il appartient) qui est à découvert, en toute aisance, et promulgue une volonté d’étendre cette liberté à d’autres territoires.
Le cancer va venir déconstruire l’échafaudage de cette centralité féminine. L’utérus étant l’organe primordial de la gestation mais non regardé ni montré, son affection ne porte pas atteinte aussi gravement au psychique. A la mesure de la souffrance, vient se superposer une autre dimension celle qui consiste à refouler le mal qui réside dans la chair et qui met l’accent sur le consentement des âmes. C’est ainsi que nombre de gens attendent banalisant la douleur avant de consulter un médecin, puisque la souffrance vécue est avant tout physique, la seule qui puisse susciter quelque préoccupation, unique signe de constat de maladie. L’absence de souffrance demeure synonyme d’absence de maladie. Avec les contradictions qu’une telle attitude ne peut pas ne pas recéler, et les dangers qui sont à la hauteur du repli qu’elle engendre, il faut y déceler la croyance en la participation de la fatalité. Ces peurs touchent au malheur biologique, à la représentation de la maladie. L’expression de la pathologie dépend du contexte socio culturel puisque c’est en son centre que l’individu puise les modèles de symbolisation, par lesquels la pensée s’élabore. La cosmogonie antillaise est un monde gouverné par des puissances magiques. Puissances extérieures qui fondent et légitiment la vie collective, imposant à chacun de ses membres sa place et sa fonction. Elle renferme l’ensemble des critères qui fournissent à un groupe social les moyens de résoudre un problème donné sur la base du plus large consensus possible.
Sorcellerie et rationalisation cessent donc d’être deux termes sans rapport l’un avec l’autre. Les destins individuels sont asservis aux seules sommations du mal, vaincus par l’obscure volonté d’un être méchant. La mise en accusation de l’autre ou des autres alimente des éléments persécutifs comme mode de défense secondaire à la situation d’angoisse. L’entourage immédiat est malveillant. La raison en est l’envie. Une entente conjugale durable, des enfants aux résultats scolaires satisfaisant suffisent aux parents du mari pour demander à un sorcier la réalisation d’un maléfice mutilant. La maîtresse aussi, à défaut d’arriver à l’élimination totale de celle qu’elle considère comme gênante, fera en sorte que l’atteinte soit humiliante. Dieu interfère beaucoup dans le destin des hommes.
La main divine est une malédiction qui s’abat sur l’être parce qu’il a commis une faute volontaire, transgressant un interdit religieux. Le plus courant étant l’avortement. Vingt ou quarante ans plus tard, les bouches s’ouvrent sur des mots feutrés, avouant la cause de la punition. La culpabilité de n’avoir pas allaité un enfant décédé de maladie grave va au niveau de l’inconscient donner prise au cancer du sein absent. La responsabilité endossée est plus supportable que la malédiction indirecte : malédiction aggravée ou giyon. Elle consiste en un partage des actions d’un ascendant malfaisant et qui n’a pas eu le temps de payer de son vivant. Jusqu’à la septième génération les malheurs s’enchaîneront au grand dam des héritiers. Encore une décision divine. Pendant que le choc en retour (renvoi de l’acte de sorcellerie à l’agresseur) donne une assise à l’incurabilité de la maladie. Il n’est qu’un prêté pour un rendu. Ce sont là des systèmes de pensée qui fournissent une explication à l’insupportable. Ces croyances se retrouvent dans toutes les classes sociales, elles modèlent les comportements. La supervision devient nécessitée quand le stimulus de l’annonce d’une maladie grave est trop fort. Le surnaturel vole au secours de l’incrédulité et la renforce. L’exemple de cette jeune femme migrante démontre combien la confiance totale dans les pratiques du gadé-zafé[7] est véritable. Découragée par les chimiothérapies agressives elle fit dans l’officine l’aveu de son cancer. Il promit de la sortir de là.
Cependant elle devait suivre à la lettre toutes ses instructions. Arrêter les soins. Acheter un petit singe quai de la Mégisserie n’a pas été facile. Grâce à de savantes passes l’animal devait recevoir les mauvais fluides et prendre à son compte le cancer. Une fois les manipulations terminées, le singe devait être relâché forêt de Fontainebleau, pas autre part. Elle n’eut pas le temps de voir le début roux des feuilles d’automne.
Le mauvais sein s’installe dans les rêves nocturnes. Il surgit sous forme de tété bouteille, sein long, sans réelle substance nourricière. Une patiente raconte qu’une bouteille d’alcool lui est présenté pendant son sommeil. Elle met en relation la bouteille et son contenu représentant le sein et le lait maternel. Symbole renforcé par l’adjectif péjoré du sein long, usé par de fréquents allaitements. Afin d’enrayer le désir, l’attente d’amour maternel, le sein subit une dévalorisation ; car il est difficile d’apprécier un objet juste bon à mettre au rebut. Paradoxalement si le sein a atteint cet état de flétrissure, c’est qu’il a alimenté nombre d’enfants dont elle ne peut se réclamer. Les prémices d’une défense primaire contre l’envie sont camouflées par le dédain. Les associations d’idées raclent le fond de la désespérance d’un enfant en absence dans le désir de sa mère. La dépression guette.
Sans connaissance particulière de la psychanalyse, le bon sens des aînées détecte à vue les dérobades du mauvais sein mais ne peuvent prévenir l’abandon déguisé. Il s’agit de l’oubli du nourrisson chez la belle-mère avant de prendre l’avion en cachette, la garde laissée à la mère après un week-end sous prétexte de raréfaction du temps destiné à la recherche d’un emploi. Plus pour les filles que pour les garçons ce sein fuyant ou généreux jusqu’à l’étouffement perturbe les petites personnes en devenir. La quête substantielle du sein refusé ne débouche que sur les ruines des relations défectueuses.
Certes le sein est un organe universel, nourricier sous toutes les latitudes. Ici il se montre quand il est utilitaire, là il fait partie des accessoires de séduction, ailleurs il se camoufle sous des montagnes de tissu, plus loin il se bande en guise de brimade. Sa symbolique est une représentation mentale qui en remplaçant un stimulus peut constituer chez les individus le motif d’une conduite bien déterminée.
En Guadeloupe 250 femmes en 2018 ont été opérées d’un cancer du sein et plusieurs d’entre elles ont subi une mastectomie. Le sujet n’est plus tabou parce qu’elles en parlent et se regroupent pour échanger leur ressenti. Des actions de soutien psychique telles la pratique de l’épée et du sabre, la chirurgie de reconstruction mammaire immédiate, l’enjolivement par le tatouage afin de ne plus voir la maladie, ont contribué à cette libération de la parole. Reste une zone d’ombre. Malgré l’information faite en direction du vaccin contre le cancer de l’utérus (papillomavirus) les parents formulent leur réticence surtout les pères, engoncés dans la croyance d’une allégeance envers une sexualité débridée. La solidarité des femmes s’aperçoit sur tous les fronts dans les associations, ensembles elles sont plus fortes, conseils, trucs, balisent l’épreuve à la reconquête de l’estime de soi.
Fait à Saint-Claude le 18 octobre 2019
[1] Quand le nourrisson ne peut téter sa mère, il tète son père.
[2] Tubercule dont on tire une substance nourricière sans gluten.
[3] Personnage surnaturel de la mythologie antillaise.
[4] « Je me suis nourri au sein d’une négresse. »
[5] Appellation du sein.
[6] Bal pour femme ayant déjà enfanté, aux seins tombants.
[7] Guérisseur.