Publié dans Le Progrès social n°2662 du 26/04/2008
La solitude est entachée de mépris ou de commisération. L’inacceptable pour la personne âgée est ce constat d’abandon, elle qui a élevé sa progéniture dans le but d’échapper à l’isolement. Une mère disait à son fils : « Quand je serai vieille, je vendrai la grande maison pour construire une petite à côté de chez toi. » Le moment du repas signe l’inexistence de la fréquentation du lieu. L’unique assiette posée sur une table devenue trop grande rappelle les instants où les couvercles des faitouts étaient soulevés par les uns et par les autres selon l’ordre d’arrivée. Puis plus tard, quand la formation des couples avait obligé à des résidences séparées, le fils devenu époux et père, à défaut de s’attabler midi ou soir, emportait au quotidien sa gamelle, disant la supériorité de la cuisine maternelle, nourriture affective, indispensable à son bien-être. Cruellement ressentie, cette désaffection va générer deux types de troubles.
- Les troubles alimentaires.
Le repas de famille est l’expression d’une forme d’unité : manger seul est un signe tangible de l’isolement. La personne âgée en ressent du mal-être et la souffrance psychique s’exprime à travers deux attitudes selon la personnalité. Le trouble alimentaire se manifeste souvent par une incapacité à déglutir ( sans cause organique) : ça ne passe pas, ça ne descend pas. L’absorption de nourriture est difficultueuse, le lien avec l’affectivité est patent. En institution on s’inquiète en premier lieu du risque de carence alimentaire engageant le vital, tandis que la seconde attitude, la gloutonnerie est assez mal tolérée : l’avidité provoque la répulsion, elle est la cause pourtant de diminution des possibilités d’aménagement de l’angoisse. Le manque à combler est infini même si manger est source de plaisir et son refus une négation de ce plaisir. La perte de plaisir correspond au désinvestissement alimentaire ; le phénomène de régression survient après la disparition de certaines satisfactions. Il ne s’agit pas de l’anorexie de la personne âgée qui doit être comme une tentative pour échapper à l’angoisse de mort, mais de l’aspect d’un système dans sa dimension socio symbolique et de son sens.
- Les conduites addictives
L’alcoolisme tardif surtout chez les hommes, semble arriver sous l’impulsion d’éléments déclencheurs dont l’accentuation de l’isolement. Longtemps cachée la chute dans les dalots du vieux corps était associée à une pratique ancienne quand dans la force de l’âge, il fréquentait les bars. C’est vrai pour certains, pas vrai pour d’autres. Le chagrin d’être sans personne ne serait-ce que pour être agacé, dans une société où le groupe demeure la référence d’un style de vie, où une représentation de la maladie mentale englobe l’être solitaire, sans amis, sans famille, la personne âgée focalise la plainte sur le corps. Ce qu’elle ressent de ce corps est la marque du temps, la perte des potentialités, le réveil d’anciennes douleurs, autant d’éléments qui nourrissent sa vie psychique avant de nourrir son discours.
Douleurs des os, des articulations, du cœur ; la demande médicamenteuse à domicile ou en institution occasionne une dépendance. Alcool et médicament, alcool ou médicament, les effets sont parfois contraires : état de somnolence ou d’anxiété ou d’agressivité.
D’autres formes d’addiction sont à souligner : les impulsions d’achat. Disposer d’un pouvoir, le démontrer à l’extérieur, attitude de domination sur les objets, conforte la capacité à acquérir : « Je veux, je désire, je prends en achetant » dans l’exercice inconscient de camouflage du désamour. Il n’y a pas de loi obligeant à aimer.
L’investissement foncier, l’accumulation de la propriété, tant de parcelles de biens réels qui laissent entrevoir une conduite régressive donnant de l’importance à l’avoir comme dans la peur de manquer, sont de véritables comblements d’une mal-vie non verbalisée. Le solitaire ne trouve pas les ressources suffisantes qui l’aideraient à dériver une partie de ses tensions et de liquider son agressivité dans un échange verbal social.
Entre midi et deux, les transports en commun laissent descendre des personnes, prenant leur temps avec une canne parfois, attirées par les machines à sous du casino. Retrouvailles avec un plaisir interdit, l’excitation est à son comble, à la limite de l’hallucination : le jeu pratiqué avec excès. Les jeux de hasard, le grattage, le tiercé quarté+, cette propension à perdre et à gagner, comme si mourir et perdre était liés à ne pas perdre. La conduite addictive ne tient pas au seul fait de la personne qui la pratique, elle s’inclut dans un contexte environnemental. Ces conduites à risque, à y regarder de près ressemblent à des substituts suicidaires non apparents. Leurs décryptages révèlent la nécessité d’abaisser le seuil de l’anxiété face à la mort en apprivoisant et en gommant sa possible effraction.
D’autres ressemblent à des équivalents sexuels où la répétition de l’acte signale l’insatisfaction, enfermant dans une contrainte de recherche infructueuse de plaisir ; d’autres encore ont pour fonction d’atténuer l’angoisse par des mesures d’évitement conduisant à une dépendance psychique
Comment rompre l’isolement ?
La Guadeloupe reste peu équipée en maison de retraite avec six établissements ayant une capacité totale de 218 lits. La politique de maintien à domicile ne procède pas d’un choix. L’hébergement temporaire est inexistant, l’accueil de jour est rare. Comment rompre l’isolement des personnes âgées qui n’expriment aucun intérêt pour les associations ? En 2000, l’INSEE affirmait que les 60 ans et plus représentaient 14% de la population. Quels projets sont à envisager pour des sujets autonomes tout autant que fragilisés par le délitement des liens sociaux et affectifs ?
L’ennui : ce mot revient comme un leitmotiv, synonyme de déprime, il extrait sans conviction des maisons des dames qui font le tour des églises dans l’espoir d’échanger quelques mots avec un prêtre ( les seuls de la journée) avant de retourner s’affaler devant le poste de télévision, compagnon indéfectible dont le ronron continu remplace le babyé.
Il n’y a pas à inventer ; il suffit de s’inspirer de modèles de lieux de vie proches de l’art d’habiter des aînés : ensemble et séparés. Le foyer logement renforce le besoin de sécurité, donne l’illusion d’une autonomie pleine dans la possession des meubles et de tous les souvenirs. Le groupe se reconstitue dans les espaces communs, donnant la possibilité de se retrancher chez soi ne serait-ce que pour bouder.
La solitude est une attaque psychique subie qui ébranle les fondements de l’individu. La personnalité la plus solide d’effondre, parce que confrontée à des affects et à des représentations que le sujet ne maîtrise plus.
Des troubles s’installent parce qu’il se sent disqualifié dans ses fonctions sociales, doublées de pertes successives ( image corporelle, force physique, mémoire.) Une réorganisation est possible par le biais de la thérapie cognitivo comportementale afin de réduire les effets du stress, ou de la psychothérapie analytique adaptée au sujet âgé, sur l’engagement d’une meilleure image de soi.