Publié dans Le Progrès social n°2694 du 05/12/2008
S’accommoder d’une éventualité, c’est accepter l’inéluctable d’un fait, comme si rien ni personne ne pouvait en changer le cours. Afin de soumettre les individus, la religion a imposé l’idée du destin, le fatum, impossible à éviter. Quoiqu’il fasse, l’être humain de sa naissance à sa mort doit emprunter la trajectoire dessinée à l’avance. Il a beau se débattre, ce qui doit arriver, arrivera. Les sciences humaines ont ébranlé cette notion de destinée, démontrant que des raisons multiples orientent le choix de vie. La médecine fournit la preuve de cette responsabilité envers soi même d’un maintien du capital santé. Des précautions : comportements systématiques, gestes à acquérir et à appliquer, permettent d’éviter des maladies, quelles soient somatiques ou psychiques. Depuis la découverte du virus du sida, la vulgarisation des données scientifiques en direction du grand public a bien spécifié que l’unique moyen empêchant la contamination était l’utilisation du préservatif. A l’époque, en 1983, les femmes n’avaient pas encore à leur disposition le préservatif féminin. La plupart du temps, seul l’homme prenait l’initiative d’enfiler le sien, sa partenaire étant ou trop inexpérimentée ou trop timide ou trop passive pour le réclamer ou pour l’aider. Auréolé de sa toute-puissance ( ça n’arrive qu’aux autres), il ne l’utilisait pas. Le virus s’est ainsi propagé au point que la Guadeloupe, du département le moins infecté est passé au département le plus infecté. L’implantation de distributeurs automatiques dans les hyper marchés, l’achat à la pharmacie pouvant instiller une gêne, n’a pas augmenté le pourcentage des ventes. Personne n’a retenu les propositions de leur implantation à l’entrée des lycées, des entreprises, et dans les taxiphones. Pourtant, malgré la généralisation des téléphones portables, les cabines téléphoniques font l’objet d’une fréquentation continue. Une réelle difficulté à penser l’école comme lieu facilitateur d’une sexualité débridée, malgré la possibilité d’une éducation sexuelle, démontre combien les valeurs religieuses sont ancrées dans l’imaginaire. La contraception est encore vécue en ce sens ; l’offrande du corps à plusieurs partenaires, sans risque aucun. Les maris jaloux et butés acquiescent à cette idée. L’entreprise non plus ne saurait admettre que ce lieu organisé en tâches à effectuer puisse permettre une prévention rappelant une corrélation entre le corps de plaisir et le corps de rentabilité. En 1995, un effort considérable de prévention en direction des jeunes a permis de faire passer des messages concernant le sida par le truchement de la contraception. La pilule ne suffisait plus, elle se cantonnait à éviter la grossesse, concernant les maladies sexuellement transmissibles, il fallait le préservatif : donc acte sexuel, égale pilule et préservatif. Les garçons avaient apparemment compris son indispensable usage. Les chiffres montraient à cette période que les 35/45 ans étaient une population à haut risque. La satisfaction d’une prévention réussie auprès du public jeune avait été de courte durée. Quelques années après ils étaient entrés dans la ronde de la séropositivité ou dans celle de la maladie. Le sida se propageait à cause de l’attitude de la gent masculine, les femmes étaient les plus touchées. Le soin par la trithérapie apportait un peu d’espoir. Les découvertes, telles la cristallisation de la séropositivité durant des années sans chute dans la maladie, le phénomène de retour spontané à la normale des bébés de mères contaminées, la proximité non contagieuse d’un proche, reléguaient le virus HIV aux confins de l’oubli. Une manière de l’abolir, de ne pas en parler, de l’exorciser en quelque sorte. Il avait été diabolisé, mis en relief par le sexe punition, celui des homosexuels surtout qui subissait le châtiment divin. Personne ne veut vraiment savoir le pourcentage quotidien de mort du au sida. Cette maladie est lointaine, elle ravage l’Afrique, celle des pauvres des inconscients. La peur est là tapie au fond de chacun. Celui qui soulève le problème est suspect ; il est suspecté d’avoir la maladie. Le 1er décembre, la journée de prévention du sida, ne déplace pas les foules. Les choses difficiles ne présentant pas un grand intérêt. A cette occasion les clips télévisés sortent des archives, la radio convie un ou deux spécialistes à l’antenne afin d’instaurer un débat, la presse signale une journée nationale de plus. L’anecdote relatant l’infection de presque tous les hommes d’une commune par une femme splendide anime la parole populaire. Le lendemain est comme avant-hier, un jour nouveau commence. Celle dont l’inquiétude est à son comble parce que son ami est mort et qu’elle s’interdit l’aveu d’une contamination, vit avec une angoisse permanente la propagation du virus. Elle craint pour la génération à venir.
Une question primordiale est à poser : Pourquoi la prévention est-elle ici inopérante ?
Quelques-uns évoquent la force des interdits religieux. L’église a toujours été mal à l’aise avec le plaisir et la jouissance : elle prône l’abstinence. Elle n’admet ni les rapports homosexuels, ni l’infidélité, ni la contraception, ni l’avortement. A l’observation, ces interdits n’ont aucun impact sur les comportements. Les croyants qui les transgressent, femmes et hommes pratiquent leur culte, communient, et enseignent à leurs enfants les valeurs religieuses. Il n’y a plus d’excommunication jetant l’opprobre sur une déviante. C’est ailleurs qu’il faut rechercher la cause de l’échec de la prévention. Le préservatif masculin existe depuis très longtemps. Il était le seul moyen de contraception dont disposaient les individus dans les années 50. Rarement employé dans les classes sociales défavorisées, il s’appelait chapeau, il était acheté par l’homme marié ; jamais par un célibataire. Le corps n’avait pas encore perdu sa connotation de corps de procréation. Les hommes ensemençaient les femmes, étalant aux yeux de tous une virilité confondue avec fertilité. Le masculin s’est peu soucié d’une régulation des naissances. Son désir de prouver ses performances sexuelles n’a pas changé. Il conserve la crainte de ne pouvoir dispenser du plaisir en introduisant une matière entre sa peau/sexe et celle de la femme durant l’acte. Même les aînés disent que les jeunes n’ont pas autant de plaisir qu’eux à cause du préservatif. Ce concept est à combattre. La prévention porte souvent sur la propagation du virus, l’effet boomerang de maladie et en filigrane la mort. Elle délivre des messages négatifs non-pourvoyeurs de vie. A telle enseigne que des hommes déprimés font l’amour à leurs femmes malades afin de leur garantir leur amour à mort. Il serait temps de donner à la prévention une orientation plus conforme à la représentation de la sexualité d’aujourd’hui. Lui permettre d’emprunter la voie en direction du plaisir. Lors d’une démonstration de préservatif de couleur marron foncé dans une boîte de nuit en France, les danseurs à peau claire ont tout emporté. Le lendemain le bouche à oreille a diffusé la nouvelle d’une impression d’une virilité extraordinaire : le phénomène d’identification. Les comportements ne se modifient que si l’introduction d’un nouveau produit se conforme à ces règles :
- Sa facilité d’accès
- La faiblesse de son coût
- La gratification de son emploi
La démystification du sexe n’équivaut pas à sa banalisation. Une meilleure connaissance des pratiques à l’œuvre dans les différentes tranches d’âge aidera à couvrir l’ensemble de la population. Le sida et la séropositivité existent chez les aînés de 70 ans et plus. Qui ose en parler ? L’affichage, les courts métrages, les pièces de théâtre, ne doivent pas se cantonner à un jour unique. La publicité pour les produits de beauté, les nouveautés alimentaires, l’hygiène de la maison sont choses acquises et acceptées. Il faut faire du sida comme pour la grippe : en parler.