Publié dans Le Progrès social n°2618 du 23/06/2007
L’abandon d’enfants a des causes multiples dont les plus courantes sont : la fuite du géniteur, la désapprobation et le jugement maternel. Le nouveau-né est placé à la Maison de l’Enfance où la mère peut signer ou pas le contrat d’abandon. Si elle n’acquiesce pas à cette clause, l’enfant n’est pas adoptable.
Auparavant point n’était besoin de législation. Un enfant était donné à la marraine bréhaigne ( stérile) ou laissé à la grand-mère. Le parent sans obligation de visites ou d’entretien était identifié. Selon le vécu d’une telle situation, la souffrance de la séparation s’exprimait par des comportements réprouvés quand les sœurs et les frères restaient au sein de la famille. La fierté et la tenue exemplaire semblaient dire la satisfaction d’un statut privilégié en d’autres occasions.
L’enfant abandonné et adopté, que son implantation dans la famille adoptive soit réussie ou non a tendance à rechercher ses parents. Ce qui l’anime, c’est le besoin de connaître ses origines, de donner un contour réel au visage fantasmé, mais surtout de comprendre pourquoi ses géniteurs l’ont refusé, pourquoi ils sont partis sans se retourner.
A ce stade de la pensée, la culpabilité s’installe. «N’étais-je pas assez belle pour eux ? Je n’étais pas l’enfant désiré et rêvé ! Qu’aurais-je du faire pour leur plaire ? » L’âge adolescent endosse la responsabilité du supposé échec de la rencontre sans savoir que même le premier regard a manqué. La génitrice l’avait barré de son projet de vie avant l’accouchement. Cette supposition est occultée : trop difficile à admettre, à accepter.
L’amour pour la mère adoptive n’est pas remis en cause, elle qui lui a raconté que décontenancée par ses cris elle lui avait mis son sein sans lait dans la bouche. Cela l’a calmée. Elle la connaît depuis toujours, l’aime autant que le papa gâteau son mari. Elevée, éduquée avec douceur depuis l’âge de deux mois, elle est partout chez elle.
Les grands-parents ne font pas de différence avec les petits-enfants de sang ; les tantes et les oncles non plus. « A qui je ressemble ? Ai-je la même bouche qu’elle ? Ai-je des soeurs et des frères ? » A l’angoisse en pointillé se superpose l’espoir extraordinaire : « Si je la croise dans la rue, je la reconnaîtrai ; le sang parle ! »
Afin d’éviter les secrets de famille, de façon progressive, dès l’âge de sept ans, temps du début de la compréhension, il est recommandé de raconter l’histoire de l’arrivée de l’enfant dans la famille.
Contrairement à ce que pense l’adulte, les petits entendent à leur manière leur adoption. Aux environs de dix ans, question posée ou pas, un rappel est nécessaire, doublé d’un empan de sécurité affective. « Tu es notre enfant, nous t’aimons et te protégeons. »
La protection de l’enfant après le pourvoi de ses besoins vitaux est un devoir fondamental. Ne pas oser la révélation n’empêche pas le doute ou le questionnement hors la maison.
Une enseignante est restée dans un état de sidération face au regard embué de larmes et à la bouche crispée qui demandait : « Pensez-vous que je sois un enfant adopté ? » La mère aimante appelée à la rescousse effondrée ne comprenait pas quand et comment le secret avait été perçu. A un moment donné tout enfant en conflit avec son environnement se crée son roman familial. Il imagine qu’il a été volé, enlevé à la famille royale à laquelle il appartenait et vendu. Trop beau, trop intelligent, trop racé pour ces personnes qui ne comprennent rien à rien. La crise achevée mère et père réintègrent leur place dans l’imaginaire.
Quand le réel et l’imaginaire se confondent, il y a risque de collusion interne. Comme le petit poucet sans caillou, il se perd dans une forêt de rancune. Des silences, des arrêts de conversation ont fait soupçonner un complot. La recherche de ressemblance n’est pas trouvée. Dans le cas d’ethnie différente, les choses sont claires. Parfois cela simplifie les explications. De plus en plus des enfants adoptés veulent entrer en contact avec leurs géniteurs, comme pour légitimer une existence. La difficulté réside dans une absence d’indices, d’autant plus qu’aucun organisme régional légal ne coordonne ce type de démarche.
Les éducateurs construisent un dossier susceptible de fournir des pistes : conservation du premier bracelet, du vêtement d’arrivée : maigre butin n’orientant en rien l’enquête. Les chuchotis des commères n’établissent pas de certitude hors les murs des institutions.
La majorité apporte la liberté d’organiser la vie à sa guise. L’assistante maternelle reste la référence affective des enfants non adoptables placés dans une famille d’accueil. Les investigations dans ces conditions s’entreprennent en solitaire. Les parents adoptifs apportent leur soutien, font le déplacement dans le pays d’origine selon leurs moyens financiers, remontent la filière guidés par l’orphelinat étranger.
Trouver sa génitrice peut être le début d’une histoire douloureuse. Cette femme qui a dissimulé naissance et abandon à un mari, père de ses enfants, a la possibilité de nier l’évidence d’un passé vécu comme persécuteur. Un revenant démolisseur d’honorabilité ne mérite qu’un retour aux enfers. Grande est la déconvenue face à la vérité d’une lettre où se lit l’imposition d’un délai afin d’assumer l’idée d’une rencontre. La surprise de l’enfant en absence dans le désir de sa mère se renouvelle, causant une blessure presque indicible. Ecroulement d’un rêve. Chute de l’échafaudage des multiples excuses avalisant l’abandon. Le non au bébé se continue. La demande affective est ressentie comme un piège. Les négociations téléphoniques ou par courrier sont l’apanage d’une indulgence due à l’âge, à la situation familiale ( adultes ayant des enfants) à la maturité et souvent à la pitié.
Par contre comment raisonner un adolescent de 14 ans dont la génitrice se cache derrière le trop-plein des émotions ? Comment le consoler de la déception de ses attentes ? La plaie suturée par l’adoption encourt une béance par la honte du refus de cet amour qui devrait lui être acquis. La certitude de l’amour des parents adoptifs en prend aussi un coup. La question d’être aimé et apprécié pour soi devient hantise.
Le père seul recherché porte une atteinte moins grave au Moi, parce que la mère est présente et aimante. Qu’il oppose une fin de non-recevoir à des retrouvailles blesse l’amour-propre, mais la désillusion finit par s’estomper. La confiance dans le masculin s’effrite face à un père manifestant sa joie de découvrir une grande fille, fier de la sortir, la traitant comme une copine et tentant de la séduire. Le jugement d’immaturité met un terme à la relation ébauchée et consolide les liens à la mère.
L’amère réalité de cette jeune fille élevée par une célibataire de condition modeste, atterrée par l’abandon de cette jeune mère accouchant sous X dans un hôpital où elle travaillait, et avait obtenu sa garde légale est à conter. Deux prénoms lui servaient d’identité. Quand elle promenait au jardin du Luxembourg cette fillette diaphane, blonde aux yeux bleus, on la prenait pour sa « Mabo. »
Aux Antilles personne ne posait de question devant les jambes dévorées de piqûres de moustique des vacances ; chacun proposait un remède efficace. Le jour de ses dix sept ans elle posa la question de sa naissance. Dans le service, glanés ça et là à l’époque elle avait recueilli deux informations qu’elle donna. Elle lui décrivit sa génitrice à qui elle ressemblait. Le jour où la jeune fille de dix huit ans entra dans l’officine et rencontra les yeux de sa mère sans éclats pour les siens, elle s’enfuit.
La recherche de parents est une entreprise périlleuse. Il est difficile de demander à l’enfant adopté de renoncer à cette idée. L’important est de lui faire entrevoir les situations diverses auxquelles il sera confronté. Le refus d’accompagnement ne l’empêchera pas de se lancer dans des démarches longues et souvent infructueuses. Pour certains, ce qui a été salutaire, c’est la quête du parent perdu. Jamais retrouvé, il est resté captif dans les rets de la sublimation.