Publié dans Le Progrès social, n° 2521 du 16/07/2005
Les mots dans un discours public, c’est-à-dire pour tout le monde, ne sauraient prêter à confusion ni être énoncés sans que d’aucuns n’en saisisse le sens. Depuis quelques temps le terme de discrimination positive s’ancre dans les débats politiques tenus hors des frontières ultra marines ou ultra périphériques, dénomination des DOM TOM, donc s’adresse aussi à la population guadeloupéenne.
La discrimination positive est une action en direction d’un groupe bien identifié, donc ciblé, visant à une égalité des droits. Son objectif premier est de garantir aux personnes désavantagées dans ce groupe une égalité des chances, en créant des régimes de faveur susceptibles de réduire l’écart de développement économique et social. Elle en désigne les bénéficiaires, groupe historiquement opprimé, personnes issues de l’immigration, jeunes des banlieues défavorisées.
Cette politique de rattrapage a comme champ d’application des mesures préférentielles en matière d’emploi, elle s’étend à la parité entre les sexes s’agissant des mandats électoraux, allant jusqu’à l’aménagement du territoire.
C’est l’Amérique, qui à la fin des années 60, ébranlée par les mouvements de révolte de la population noire a mis en place « l’affirmative action » afin de sauvegarder la paix sociale. Dénommée promotion positive, mobilisation positive, action positive, programme d’accès à l’égalité, selon les pays, l’Inde, le Canada, les USA, l’Afrique du Sud, la Grande Bretagne, les Pays-Bas sont les plus favorables à ces mesures. Aujourd’hui le nouveau droit européen des Droits de l’homme s’attache à l’adoption du principe des avantages dus aux minorités nationales.
Longtemps la France a feint l’ignorance vis-à-vis de cette appellation car le premier article de sa constitution stipule que la République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. »
En mars 2003, la constitution française révisée autorise que les collectivités d’Outre-Mer bénéficient de certains droits « en faveur de population en matière d’accès à l’emploi, d’établissement pour l’exercice d’une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier. » art 74, al.10. Nous voila en présence d’une règle d’application sélective qui prône un traitement différent pour individus différents ; elle s’emploie à mettre en exergue l’inégalité, à la débusquer afin de la réduire, elle en tient compte. A renverser la vapeur, elle apparaît comme un projet discriminant vis-à-vis d’un autre groupe qui pourrait se sentir lésé par ce choix déterminé.
Prenons une personne qui en attente d’un poste s’en voit refuser l’accès parce qu’il est réservé à une catégorie protégée par cette mesure. Elle peut en ressentir de la rancœur et stigmatiser le groupe ethnique favorisé. Il est important de souligner que la discrimination positive n’est pas une politique de justice sociale dans un but de redistribution mais une mesure de rattrapage entre groupes inégaux. Pour ce faire elle passe obligatoirement par une inégalité pour « promouvoir une égalité pleine et effective » (droit européen des Droits de l’homme Art 4, al.2.)
Du même coup elle oblige un groupe à démontrer sa différence par son origine ethnique, se mettant à découvert en dépit de la loi d’intégration dont le but recherché est celui de la citoyenneté à part entière : même droit, même devoir. Equivalente à une volonté réparatrice sur le fond, elle maintient vivace une désignation identitaire négative sur la forme. Les personnes issues de l’immigration( Africains, Antillais, Maghrébins, Asiatiques) font partie des minorités visibles. Les décrets ou les lois rétablissant une justice sociale en instituant une égalité de considération n’arrivent pas à juguler le phénomène d’exclusion ni la ségrégation qui touchent ces minorités visibles même si la discrimination positive se porte garant d’une représentation équitable.
La démarche hypocrite consiste à ne pas souligner l’appartenance, la religion, bannissant les caractéristiques phénotypiques (couleur de la peau, forme du visage, texture du cheveu) dans les textes en France, faisant de la situation socio-économique la pierre angulaire de l’action. Cependant l’accession au poste de préfet d’un musulman a provoqué un gros battage médiatique. Ce qui est dévoilé au grand jour prend l’allure d’une généralisation d’une politique d’insertion : par exemple la convention d’éducation prioritaire (entrée facilitée à Sciences Po), la création de zone d’éducation prioritaire (ZEP) avec plus de professeurs, plus de moyens pour combattre l’échec scolaire, une possible ouverture pour certains élus locaux, responsables syndicaux, responsables d’associations, d’entrer à l’ENA hors le concours externe et le concours interne.
Les femmes bénéficient de certaines dispositions à propos du recrutement : certaines entreprises sont tenues depuis 2001 de fournir les données comparées relatives aux femmes et aux hommes (effectif, congés, embauche, conditions de travail, formation etc..) Les mères de trois enfants peuvent prétendre à une extension de limite d’âge aux concours de la fonction publique, à l’abaissement du niveau de diplôme. La loi sur la parité en matière de liste électorale ( démocratie paritaire) n’a pas augmenté le pourcentage de femmes élues, mais la parité s’est imposée car toute liste ne respectant pas la loi est invalidée.
Les DOM TOM, sans utilisation du terme, collectionnent ses avantages : congés bonifiés, majoration de salaire, avantage d’ancienneté spécifique, nombreuses indemnités accordées aux fonctionnaires métropolitains, la loi dite de défiscalisation (loi Pons), les primes accordées aux entreprises (équipement et emploi), le choix de recrutement local et récemment un cadeau de 200 à 300 Euros sur les billets d’avion aller et retour Guadeloupe/France pour tout résidant hormis les célibataires.
La discrimination positive nourrie de bonnes intentions n’en a pas moins des effets pervers. D’abord le risque d’institutionnalisation est grand (elle devait être transitoire le temps que le groupe rattrape son retard) autant que celui de victimisation soutenu par une revendication de la compensation. Ses détracteurs mettent l’accent sur l’abaissement du niveau intellectuel causé par l’entrée de personnes non méritoires (études supérieures) et incompétentes (préférence locale de l’emploi.) Elle reste souvent accessible à une classe sociale pas totalement démunie. Celle du bas de l’échelle ne semble pas très touchée par ses privilèges. Un petit exemple, ceux qui font la demande du cadeau/voyage peuvent se payer au moins un billet d’avion; d’autres pas. Moyen de se donner bonne conscience en désirant introduire une forme d’égalité, elle fait figure de cache-misère.
Afin que les résultats attendus soient effectifs dans cette lutte contre l’inégalité, il faudrait réorienter le système en direction des plus pauvres ; agir à la base en érigeant un plan social cohérent en faveur des défavorisés. Faciliter les accès aux ressources nécessaires au développement socio-économique passe par un remaniement des fondations des structures de base : l’école, les modes d’éducation, l’accès aux équipements sportifs et de loisirs, les règles de non-discrimination. Permettre à plus d’un de se trouver à un niveau social acceptable depuis l’enfance. Ce serait là affaire d’investissement financier d’envergure.
Ainsi l’égalité des chances n’aurait point besoin de promotion dans la mesure où un citoyen est un citoyen, tout moun cé moun. On se prend quelquefois à rêver.