Publié dans Le Progrès social n° 2519 du 02/07/2005
Les vacances approchant, les perspectives de journées à la plage, de folles nuits à danser vêtues de décolletés profonds et de robes moulantes accroissent la détermination d’une gent féminine à modeler voire à transformer le corps selon une formule rapide, sans effort sportif, sans régime contraignant. La chirurgie esthétique de plus en plus utilisée, vole au secours de la partie mal acceptée de la physionomie, prometteuse d’harmonie, de beauté et même de sensualité. C’est qu’un régime alimentaire sévère arrive à affaisser les traits de la face, l’ignominie même, quand le but recherché est le rajeunissement.
Jeunesse et minceur sont associées dans l’imaginaire. L’image des mannequins est prégnante malgré la différence d’âge qui les sépare de celles dont le poids et la charge lipidique sont proportionnels au nombre d’années. A l’homme payé en conséquence (le chirurgien plasticien est en général un homme), il est exigé une reconstruction de la jeunesse enfuie doublée d’une réparation de l’outrage des ans. Les injections de produits directement dans les rides autour de la bouche, des yeux, sur le front n’apportent qu’une satisfaction relative aux femmes de 45 printemps qui, quelques années plus tard soumettront la peau à une rude épreuve : son étirement jusqu’aux oreilles gommant les 55 saisons de carême.
La reprise d’une intervention ratée devient chimère à offrir aux regards de l’entourage, elle augmente la hargne non seulement envers les contemporaines ayant su conserver un capital santé psychique( la jalousie est génératrice de stress, le stress accentue les tensions du visage), mais aussi envers les moins âgées dont le lisse de la face se ressent comme une provocation.
Le phénomène se produit à propos du poids. Lors de l’abandon des kilos superflus, la dame qui a tant souffert (cela se lit dans la tristesse de ses yeux) de s’être privée de tout, remonte en permanence son pantalon ou tenant sa jupe par la taille la fait tournoyer, signifiant à travers une histoire sans parole aux autres, une victoire sur le corps, synonyme d’une volonté sans faille.
La liposuccion du ventre, des cuisses, des fesses semble devenir courante dans une société où le refus de vieillir n’est plus l’apanage de la seule classe aisée. Elle s’empare d’une couche sociale décidée à investir dans l’illusion de l’immortalité. La peur de vieillir est la peur de mourir. Par imitation et influence, une amie lors d’une confidence inattendue, raconte son parcours progressif de succion de la taille aux genoux, le port de la gaine de bridage, le résultat caché avec vêtements (le gras enlevé laisse une peau flétrie à la recherche d’une place trop étroite), vantant le mérite de la méthode pratiquée sous anesthésie générale, suscite l’envie.
L’indicible concurrence ou l’entrée fantasmatique dans une confrérie de privilégiées décide du même traitement pour un ventre arrondi mais ferme avec sa peau d’orange, dont la réaction surprend : l’année d’après il a retrouvé son volume faisant fi du dégraissage ou alors une grossesse vient annuler la réduction chez un sujet dont l’utérus donne encore vie. Ce phénomène de remise en place de la chose sacrifiée, relève d’une grande culpabilité à toucher à un interdit de l’ordre du maternel respectable. Une mère accomplie est une femme dans toute l’acceptation du terme, seins et ventre rassurants. La femelle androgyne au corps presque adolescent, seins inexistants, pas de hanches, ne bénéficiera pas du statut de mère de famille ni de celui de femme mariée ; on l’appellera « mademoiselle » longtemps.
La morphologie oriente la demande ; la réfection du nez, les gonflements mammaires, le collage des oreilles, le lifting et les injections de botox dans les rides, bien après la liposuccion numéro 1, écartent du scalpel, pour le moment, la chirurgie de la paupière, le gonflement des lèvres, la pose de fesses synthétiques, le remodelage du genou ou l’allongement du pénis.
Les hommes aussi commencent à pénétrer cet univers de la beauté réservé aux dames. La greffe des cheveux, la modification du nez, des rides révèlent un désir de plaire, de rester à la hauteur d’une féminité en face de plus en plus ensorcelante, le sport ne suffisant plus. Il ne permet que de gommer le ventre triomphant mettant à rude épreuve les boutonnières des chemises malgré les efforts réitérés pour le contenir devant une jolie personne.
Les crèmes de l’épouse passées à la va-vite, en cachette, n’effacent pas la marque du temps atténuée cependant par les cheveux teint de façon régulière. Les vieux beaux ne sont-ils plus à la mode ? « Mourir cela n’est rien, mourir la belle affaire mais vieillir ô vieillir » chante jacques Brel. Si la mort arrive par surprise, elle ne donne pas de choix. Mais l’apercevoir à travers l’altération du corps est devenu insupportable et non acceptable à une catégorie d’individus hantée par le destin des Dieux et des anges. Le refus de la décrépitude est un besoin inconscient d’atteindre la béatitude, un état extatique où s’absente la souffrance, hors des choses terrestres donc terre-à-terre.
Glorification du corps, glorification du soi, porte d’accès à l’idéal, revanche prise sur l’inavoué : le manque à s’aimer. Les limbes de l’enfance s’estompent laissant apercevoir une détresse tapie au tréfonds de l’inconscient : « Ma mère préférait mon frère, elle riait en disant que j’avais le nez de ma grand-mère paternelle, là où les kongolyos prennent glissades. » Cette autre avouait les gifles, les claques, le rejet, le sentiment de n’avoir pas pu séduire les parents.
Tant de blessures accumulées et reportées sur un corps non aimé de l’autre. Comment pourrait-il être admis tel quel par soi ? Le manque à s’accepter subit le déplacement de l’affect ; la réparation par la chirurgie esthétique vient masquer l’attente d’une autre reconstruction : celle de l’âme. A telle enseigne qu’après la réfection du nez, c’est au tour des paupières, des seins d’être remodelés, enchaînement sans fin qui signe là une insatisfaction. Echec du scalpel qui s’est trompé de rôle et de valence affective. Il soutient quelquefois la plainte quand le remède est pire que le mal.
Après l’opération esthétique d’un oignon du gros orteil gauche réussi, cette femme se refait le nez en attendant d’entreprendre le pied droit. Elle ne respire plus très bien mais avec le temps ! La cicatrisation du pied droit laisse apparaître une anomalie : il faut reprendre l’intervention. Une troisième fois n’est plus possible. Pour se chausser, obligation lui est faite d’acheter deux paires de souliers pointure 39 et 42 : un côté par pied. Le plus gênant consiste à obliger les enfants jeunes à se soumettre au désir esthétique de la mère. Quelquefois les oreilles recollées bourgeonnent. Un vrai désastre. La chirurgie esthétique n’est pas une pratique anodine.
Sont mis à la disposition de tous, des soins de beauté valorisant l’allure, l’apparence, le maintien de la forme. Le retard du vieillissement passe par une bonne hygiène de vie ( alimentation équilibrée et saine, pratique régulière et continue d’un sport, harmonie des relations humaines), agrémentée d’artifices extérieurs sans risque pour la santé. C
ertains cas nécessitent des actes chirurgicaux tels l’hypertrophie mammaire gênant le travail sur une machine ou martyrisant les muscles du dos ; ceux-là ne rentrent pas dans la partition de l’esthétisme et devraient être pris en charge par la sécurité sociale.
Plaire, ce maître mot qui décide de la transformation d’une partie du corps se conçoit dans une vision solitaire. Les hommes interrogés, en majorité n’accepteraient pas que les femmes subissent des opérations chirurgicales pour cette raison et ils pensent que cela ne les rend ni plus, ni moins désirables. Ils les aiment telles qu’elles sont.