Publié dans Le Progrès social n°2613 du 19/05/2007
Les évènements tragiques (accidents graves, guerre, tuerie), les catastrophes naturelles ( cyclones, séismes, tsunamis) provoquent des bouleversements émotionnels à des degrés divers chez les individus. Leur impact dépend de facteurs multiples : l’âge, les histoires de vie, l’implication personnelle, la personnalité.
Les modes de réactions sont d’autant diversifiés que le besoin ne présente pas de caractère d’urgence pour une catégorie de personnes convaincue de pouvoir y faire face. D’autres submergés par la souffrance cherchent une aide médicale et psychologique immédiate. Le stress peut perdurer des mois, voire des années et provoquer des troubles lors de la survenue d’une nouvelle é motion forte, mettant en scène des comportements jugés inadaptés à la situation du moment.
Ce stress post-traumatique est à l’origine de nombreuses pathologies s’enkystant avec le temps. Les plus connues sont les accélérations cardiaques, les diarrhées, le flageolement des jambes, les pertes de sommeil et d’appétit, l’énervement, la fatigue et l’impression d’être regardé, observé dans la rue et au travail. Ces états anodins en apparence empoisonnent la vie car ils déstabilisent l’être soumis à une alerte psychique permanente.
Des pathologies plus importantes (dépression, phobies invalidantes, affections oculaires) ne sont pas systématiquement reliées au traumatisme ancien. Ce n’est qu’à l’exploration qu’on s’aperçoit qu’elles en sont dérivées.
L’expression individuelle des maux, les caractéristiques de la maladie, soulignent les dissemblances dans les réactions des humains. Celui-ci va taire son mal-être, sexe supposé fort, il donnera le change pendant un certain temps. Les blessures d’un accident voleront au secours de son Moi fortement éprouvé. La plainte permise et acceptable subit un déplacement. Ce qui n’a pas été exhalé trouve une raison valable dans la cassure bien réelle qui cautionne la parole douloureuse.
Touché dans sa chair, l’autorisation allie les cris muets du corps aux cris sonores et entendus de la bouche. L’apaisement est parfois à ce prix. Cet autre demandera à un produit alcoolisé de lui procurer une douce euphorie parfois jusqu’à l’anesthésie. Prendre de la distance, différer l’envahissement de la peine infinie, est aussi une manière de tenir la bouche close sur ses sentiments. Cet autre encore portera une arme contre un ennemi imaginaire, le transformant en objet fétiche.
Cela signifie que face à un traumatisme, il n’y a pas de comportement identique. Les adultes transmettent leur angoisse aux enfants qui par ricochet ont des nuits peuplées de cauchemars. Ils recommencent à uriner dans le lit la nuit, ressentent une anxiété dont la cause n‘est pas identifiée. Des colères immotivées secouent le corps comme pour le maintenir en vie. Ils confortent la théorie de l’extension du mal-être à l’environnement. Nul n’est besoin de parole : l’atmosphère suffit. Ils la subissent.
Depuis quelques années, la cellule Médico Psychologique d’urgence composée de psychiatres, de psychologues, d’assistants sociaux, est à la disposition du grand public. Son rôle ? Gérer le traumatisme.
Sa fonction est plurielle. Du débriefing psychologique à l’accompagnement physique et social, son mode d’intervention dépend de la caractéristique de l’évènement. Par exemple, le crash aérien de Saint-Barthélemy avait mobilisé durant dix jours des équipes qui s’étaient relayées. Il avait fallu accueillir les parents des victimes, gérer leur douleur, les accompagner physiquement lors de la reconnaissance des corps, recevoir individuellement ou en groupe la population en état de choc. L’avion était tombé sur une maison et l’état de panique se généralisait. Chaque avion au décollage ou à l’atterrissage provoquait de la peur.
L’information par voie médiatique concernant les effets du stress post-traumatique a favorisé des demandes de consultation de la part de personne n’ayant jamais osé franchir le seuil du centre Médico Psychologique de la petite île. Tout le monde se connaît. L’occasion a été donnée à quelques-uns de parler de leurs problèmes à des psychologues de passage, assurés des maux mis au secret. Des couples ont profité de l’occasion de se dire ces paroles longtemps enfouies dont l’âcreté optimale donnent des brûlures d’estomac et mettent les corps dos-à-dos dans la couche conjugale. Le crash avait été le révélateur d’un écueil inhérent à l’étroitesse de cette région et de ses incidences en matière de soins en santé mentale. Les consultations « Psy » étaient encore mal perçues.
On s’étonne de la présence d’assistants sociaux au sein de la CUMP sans savoir que l’aide sociale peut aussi constituer une urgence quand la maison s’effondre et qu’il faut survivre. Se nourrir, se vêtir font parfois partie du premier secours, avant le confort psychologique. Les préoccupations ne sont pas de même nature pour tout le monde.
Cette cellule Médico psychologique est déclenchée, à l’évaluation, par le SAMU, la Préfecture. Si le maire d’une commune estime qu’un évènement grave génère des séquelles et perturbe ses administrés, il a la possibilité de s’adresser au service idoine de la préfecture afin que s’organise la prise en charge collective.
Cependant, des personnes présentant des troubles dus à un traumatisme quel qu’il soit ont à leur disposition le centre Médico Psychologique de la commune. Les consultations de psychiatres et de psychologues y sont gratuites. Il suffit de chercher dans l’annuaire téléphonique le numéro et de prendre rendez-vous au secrétariat.
Au CMP, il est possible de recevoir des groupes avec l’acceptation des soignants. Le débriefing psychologique consiste en une seule séance à durée variable, de deux à quatre heures et plus si nécessaire, il a pour objectif l’expression du ressenti de chacun témoignant dans un groupe, et d’être informé de la survenue de possibles désagréments physiques et psychologiques.
Si des participants, par la suite continuent de souffrir, il leur appartient d’entreprendre une psychothérapie individuelle. L’urgence de la prise en charge ne signifie pas qu’elle doit être efficiente dans les 24 heures ou dans les 48 heures, mais il est recommandé de ne pas excéder 8 jours pour un résultat optimum. Il est à rappeler que la famille ou les personnes ressources doivent être au premier rang. Affectivement, ils sont irremplaçables.
Le soutien psychologique s’installe dans un lieu identifiable, connu de la plupart de la population, facile d’accès. Les gens viennent spontanément ou amenés par d’autres ; mais jamais un porte à porte ne devrait amener le soignant à susciter le soin. Il n’a pas à entrer dans une démarche qui est celle d’une pratique commerciale : le soin n’est pas une obligation mais une proposition.
On a vu dans une institution où l’administration avait fait une demande de CUMP, l’absence du personnel qui n’a pas jugé nécessaire un tel recours. Cela veut dire que la hiérarchie avait décidé de façon unilatérale que le personnel méritait un désamorçage émotionnel, sans au préalable lui avoir demandé son avis.
Des appels fusent de toute part. Une attitude passive consiste à espérer une intervention à domicile sans entreprendre une démarche dynamique pour le rétablissement de la santé. Ne pas se déplacer est devenu une conduite généralisée qui signale une attente du dédommagement du choc reçu. Certes, il faut aller sur les lieux des catastrophes ; mais une personne dont la voisine est morte seule chez elle depuis deux jours, voisine qu’elle ne connaissait pas, ne nécessite pas le déclenchement de la CUMP.
La population a tendance à se fragiliser. L’annonce d’un décès est quasi impossible si elle ne passe pas par un « PSY. » Une bagarre et des coups reçus sans blessures fait l’objet d’une demande de consultation, enfermant l’enfant dans une situation de victime. Se ressaisir est indispensable. La réalité quand elle n’est pas dramatique doit faire appel au bon sens.