Publié dans Le Progrès social n°2594 du 06/01/2007
En 1999, les vœux s’enrichissaient de l’ajout « fin de siècle. » La suite naturelle de « Début de siècle » tenait à la logique de la continuité. La crainte de catastrophes naturelles assénée par une minorité religieuse, l’eau et le feu détruisant les impies, les non croyants, et sauvegardant la poignée d’élus pratiquants ayant fait de leur Dieu leur raison de vivre, semble s’être estompée. L’excès étasunien à l’affût de commercialisation de tout évènement a jeté dans des espaces quasi désertiques des femmes, des hommes et leurs enfants suiveurs en apprentissage de survie, à l’image de l’homme des cavernes à la recherche de nourriture, parce qu’une prédiction avait annoncé l’envahissement de la terre par des extra-terrestres. Ces types d’élus persuadés que leur survivance ne serait due qu’à une organisation chèrement payée ( les non nantis financièrement ne pouvant y prétendre) ressemblaient aux précédents avec lesquels ils partageaient une conviction commune : celle de faire partie d’un groupe de privilégiés disposant de moyen de protection, qui de l’amour préférentiel divin, qui du pouvoir de l’argent.
Après cinq ans d’entrée dans le nouveau siècle, personne n’a demandé de compte aux églises dispensant la nouvelle d’un déluge purificateur noyant athées et croyants non pratiquants, leur enlevant la vie ; punition suprême, pour avoir négligé la récitation des prières et la fréquentation des temples et pis pour ceux se refusant à la soumission de la croyance en un être transcendant ; peut-être que pour ceux-là le supplice aurait été un peu plus long. Mais l’apanage de l’humain n’est-il pas de ne point interpeller les faiseurs de pluie dont la jouissance prend sa source dans les peurs collectives qu’ils ont créés. Les gourous emploient cette méthode afin de mettre d’autres sous leur domination en les assujettissant de manières différentes : adeptes subjugués ou craintifs, en tous les cas totalement soumis à ce chef reconnu et vénéré. La suggestion et la menace à peine voilées sont les outils les plus usités, servant à semer le trouble chez des individus crédules ou anxieux.
L’assurance revenue d’une nature moins vengeresse et du doute de l’existence d’entités vivantes féroces et envahissantes, a contribué à la reprise d’échanges de vœux, les meilleurs, par voie postale, de moins en moins. L’an nouveau donne l’occasion d’exprimer ses souhaits de bonheur, de santé, de prospérité et de réussite à ceux que l’on aime beaucoup de façon sincère, lesquels se meuvent en formule de politesse, se rappelant au bon souvenir de personnes avec lesquelles des projets ont été conçus, des idées partagées, des tâches effectuées. Il est de bon ton d’y répondre en remerciant de cette délicate attention. Les négligents et les « fâchés avec la plume » s’abstiennent, préférant le téléphone ou le SMS à l’écriture pourtant réduite à deux ou trois phrases consacrées à ce rituel de toujours. L’ordinateur et son service rapide ont détrôné les cartes déposées dans les boites aux lettres. Il affiche à une date programmée d’avance une animation, un court métrage, un game, une image sur l’écran du propriétaire d’un mail, avec des textes composés, des souhaits à caractère humoristique, sérieux, traditionnels choisis en fonction de l’âge, du sexe, du lien. Il fournit l’opportunité d’exprimer ses sentiments même les plus contradictoires, de façon nuancée. Par exemple : « Bonne Année grand-père avec tout mon amour » écrit au bas de la vision d’un homme qui avance et tombe la tête la première dans la neige, est chargée de sens. La profusion de thèmes proposés facilite l’expression de la pensée ; l’image augmente la perception du message ; elle donne accès au symbolique auquel les mots ne suffiraient pas. La bouteille de champagne déversant à grand bruit de bulles multicolores dans un final feu d’artifice des meilleurs vœux, rappelle l’obligation de la gaîté et de la fête, rite de passage d’une année à l’autre, comme le bain « démarré » coutumier à l’embouchure, à minuit, à fonction purificatrice, lavant la souillure de l’année écoulée, déchargeant des soucis et des maléfices, afin d’aborder le nouvel an dans des conditions mentales et physiques optimales. La fête est de mise partout dans le monde. A minuit, heure locale, des personnes tombent dans les bras les uns des autres, s’embrassent, se téléphonent ou s’écrivent des messages : des personnes qui ne souffrent ni de la guerre, ni de la faim. Bonne Année, Bonne Année ! Elle s’envoie la carte virtuelle, juste un clic gratuit, par mail, payante sur le téléphone portable, à des amis, des parents, des relations, de particulier à particulier, de particulier au groupe. L’envoi au groupe pourrait s’interpréter comme une économie financière s’il faisait l’objet de prélèvement d’argent, comme une volonté de ne pas encombrer les lignes téléphoniques si c’était le cas, comme un besoin rapide de se débarrasser d’une tâche pesante si les gens étaient débordés de travail. Une carte à l’identique adressée à des gens dissemblables par la classe sociale, la fonction, signe l’absence d’originalité mais avant tout dévoile l’étendue des relations prestigieuses qu’on possède, à susciter l’envie. Pure vanité que l’ordinateur complice aide à entretenir. L’adolescent provocateur et mal à l’aise, d’un clic balance la même carte à trois amies simultanées de son père, affichant les noms inconnus mais soupçonnés par les unes et les autres. La souris bien dirigée estompe le doute. Tir groupé en toute innocence, les meilleurs vœux envoyés le 30 décembre risquent d’être une soupe à la grimace pour chacune.
2007 comme 2006 suscitera des envolées magistrales de résolutions dites à table, en famille ou en tête-à-tête. De nouvelles dispositions seront envisagées tant sur le plan de l’organisation de la maison ( partage des tâches ménagères, participation plus grande à l’éducation des enfants, apports financiers réguliers et conséquents), de l’individu (stabilité de l’humeur, abandon du babyé, disparition des scènes de ménage en commençant par leur raréfaction), du cadre professionnel (arrondissement des angles, communication permanente, ponctualité.) La détermination des envolées fait croire à leur réalisation. Personne n’ose suggérer que la difficulté à mettre en pratique les théories avancées est proportionnelle à l’euphorie du moment et que dans les six mois la plupart des résolutions ne feront pas l’objet d’un constat. La sincérité n’est pas en cause, elle est semblable à celle qui confrontée à la mort prend conscience de la fragilité et de la précarité de la vie. L’évidence de sa propre disparition ( le plus loin possible), de sa condition de mortel, submerge l’être de bonté, de magnanimité, de tolérance ; il ressent un réel besoin de changer, de transformer en bien son existence, un instant, un instant seulement. Un évènement tragique, la croyance au miracle d’avoir échappé à la mort produisent ces mille raisons de modifier son comportement jugé trop égocentrique ou pas suffisamment généreux. La question de l’utile vient en toile de fond interroger le sens de sa présence sur terre parmi d’autres au service des pairs ou des congénères. Les ruminations mentales à connotation philosophique emplissent d’espoir celui dont l’évidence d’une insuffisance de grandeur d’âme semble réparable par de bonnes actions d’abord à définir, ensuite à accomplir. Seule l’absence de moyens est mise en accusation quand vient le temps des inventaires.
L’année 2007 doit être belle, d’une beauté insérée dans les souhaits entendus ici et ailleurs : « Je vous souhaite une belle Année. » Avant elle se contentait d’être bonne, lui manquait ce plus de douceur, de frivolité, de gracilité ainsi attribuées aux gens et aux objets devant lesquels la contemplation est une nécessité. A bien y regarder, que nous apporte une année si ce n’est qu’elle s’ajoute à une autre, qu’elle ajoute à l’âge douze mois de plus. Mes meilleurs vœux, Bonne Année 2007.