Publié dans La Guadeloupe en bouleverse ». 20 Janvier 2009-4 Mars 2009, Editions Jasor, 2009.
Une grève ayant pour objet la lutte contre la vie chère, commencée à la mi-décembre et interrompue avant les fêtes de fin d’année a, le 20 janvier, remobilisé 49 signataires composés de partis politiques, d’associations, de syndicats regroupés en Liyannaj kont pwofitasyon (LKP) avec comme porte-parole le secrétaire général de l’UGTG, Elie DOMOTA.
La traduction en français – ensemble contre l’exploitation outrancière – ne suffit pas à rendre compte du sens contenu dans les mots créoles : Lyannaj correspond à l’idée d’un tissage, d’une intrication des liens renvoyant à l’affectif mais aussi au sentiment d’appartenance. Ce qui est tissé, ne peut plus être détissé à moins d’être déchiré. Pwofitasyon décrit cette force d’acharnement du profitant abuseur qui ne cesse d’écraser sa victime, à la recherche d’une certaine jouissance. Son objectif est de la dominer. Le profitant est généralement un lâche qui ne s’attaque qu’aux faibles.
Le cinquième jour de grève, une foule descend dans la rue, exhortée par le mouvement. Des négociations sont décidées avec la participation des présidents du Conseil Général et du Conseil Régional, des élus parlementaires de la Guadeloupe, des représentants socioprofessionnels (le patronat), du préfet représentant l’État, en poste depuis peu. La réunion est prévue au World Trade Center (WTC) à la zone industrielle de Jarry, à 16 heures. Le sous-préfet est à l’accueil. Les personnes autorisées à suivre les débats sont inscrites sur une liste et entrent à l’appel de leur nom. La séance est coordonnée par un président, en même temps modérateur. Il introduit le propos et rappelle cette règle du respect qui devra régir les échanges : « Les gens nous écoutent, la jeunesse nous regarde. » En effet, pour la première fois, radio et télévision sont autorisées à assister aux négociations. La population amassée autour du WTC, les téléspectateurs, les auditeurs voient et entendent les acteurs du social porter à la face du monde les difficultés endémiques anciennes, les situations aggravées par la crise financière mondiale, les discriminations surajoutées favorisées par une politique gouvernementale axée sur le capital. En vrac sont évoqués le constat d’appauvrissement, le taux du chômage et le recrutement hors département, faisant du Guadeloupéen un étranger sur son sol natal, le prix du loyer et les conditions déplorables du logement, la question de l’errance des jeunes, la liquidation des hôtels après profit, le coût des denrées alimentaires de base (30 à 40 % plus élevé qu’en France) : 146 points de revendications, dont les principaux sont présentés sans affinage ni ordonnancement. Les problèmes évoqués sont d’ordre institutionnel, politique, culturel, social. Le Préfet représentant l’État Nicolas DESFORGES, insiste sur la méthode : faire le tri entre ce qui relève des compétences des collectivités locales et de celles de l’État. Toutes les autres parties s’engouffrent dans la brèche ouverte de la méthode, chacun allant de sa rengaine de réponses graduelles : immédiates, à court et à moyen terme. Six heures durant, les discours sur la méthode ont différé la prise de position, alors que le collectif rappelait qu’il fallait « créer de nouveaux outils répondant aux exigences sociales afin d’instaurer de nouveaux rapports sociaux. » Après deux suspensions de séance, l’évidence d’un ronron soporifique a justifié le rappel d’un lendemain moins lénifiant : « Nous sommes venus faire des propositions, vous refusez. La seule réponse sera la répression. »
La rencontre aboutit à un échec. Rendez-vous est pris pour le lendemain 16 heures.
L’entrée en scène du LKP
Lundi, on attend le LKP : la population a rendez-vous devant la télé, elle ne voudrait le manquer pour rien au monde. Le parler français a pris le pas sur le parler créole quotidien des syndicalistes. Tous –toutes origines ethniques confondues – doivent se rendre compte de la gravité des préoccupations du mouvement. L’arrivée du LKP à 17 h 30, entre deux haies formées par leurs compagnons se tenant par la main en guise de protection, a précipité dans les chaises à l’intérieur, les autres, appelés à négocier. « Rien à partir de maintenant ne sera comme avant. Yo ké fouté nou a tè si yo vlé (si ils le souhaitent, ils nous abattront), dira devant les caméras un des membres du LKP, au moment de franchir le seuil du WTC. Quand arrive son tour, le porte-parole du collectif raconte la fouille individuelle subie par le groupe. Des dispositions seront prises afin que cela ne se renouvelle pas, affirme le préfet. La séance commence par une envolée lyrique à la Saint-Just de Victorin LUREL, président du Conseil régional, pour s’étaler pendant quarante-cinq minutes en rapport d’activités. Après son mutisme du samedi, télé exceptée, il se déverse en accusations envers le gouvernement, se justifiant d’être bon gestionnaire des milliers d’euros dépensés. Il parle de lui : « Je sais où je vais », de l’esclavage, de la condition d’élu, il se gorge de mots. Cela change de la sobriété du verbe du président du Conseil Général Jacques GILLOT: « Je suis prêt à examiner sans a priori ces questions. Mettons tout à plat. Travaillons ensemble afin de trouver des solutions » dit-il après le constat de vie chère.
Dans ses mots d’introduction, le représentant de l’État assied à la table le spectre de Barack Obama : il prononce le yes we can à la mode, cherchant probablement la connotation affective, tel De Gaulle avec le : « Je vous ai compris. » de son temps. Il revient sur le tri et la méthode à employer. Puis il affirme sa détermination à garantir les libertés, assurant les fonctions essentielles de la démocratie. L’image des urnes surgit dans les esprits. Il dit que la vie chère est la priorité du gouvernement. La seule proposition avancée par lui est la constitution des groupes de travail avec à sa tête un représentant. Il renvoie au lendemain des réponses affinées et essaye d’obtenir l’arrêt de la grève comme préalable à toute négociation. La réaction est à la mesure de la démarche osée : forte. Elle souligne une volonté de pourrissement de la situation, une volonté de répression. Les échanges s’animent et provoquent une diatribe pathétique de la part d’Eric JALTON, maire de la commune la plus peuplée. Il décrit la souffrance des administrés, le quotidien perturbé, l’amoncellement des ordures, l’incapacité à se déplacer. Il assimile leur souffrance à la sienne, introduisant un peu d’humanité dans cette hypocrisie d’un jeu politique. Cette humanité se donne à voir le lendemain avec la représentante des personnes ayant un handicap, dans un fauteuil roulant, présentant simplement et avec dignité son cadre de vie, levant le voile sur une réalité financière précaire constituée d’un minimum au-dessous du minimum. Un atout incontestable pour le LKP. Les deux autres jours de négociation se sont appesantis sur des conférences de spécialistes instruisant de sujets économiques, faisant partie du clan du pouvoir exécutif, ralentissant les débats ponctués par l’édification de défense d’un patronat présent pour la forme, convaincu que les rêves ne sont que des rêves. Le MEDEF local n’a jamais dévié de cette « exigence de vérité. » La chose sue mais tue.
La maladresse inconsciente de celui qui a autorisé la présence des caméras lors de ces négociations, s’est muée en stratégie profitable au LKP. Cela a permis au public de suivre les débats jour après jour et de percevoir une certaine vérité : un autre éclairage des rôles et des fonctions des parlementaires. Il y a un réel décalage entre ce qui est supposé de leur pouvoir et la réalité. Les limites qui leur sont opposées les cantonnent à la répartition d’un budget préétabli. S’il est utilisé à d’autres fins, le détournement de fonds les accable d’une procédure judiciaire. Au parlement aucune de leur suggestion n’est écoutée d’une oreille attentive : l’outre-mer coûte trop cher à l’État. Avant d’obtenir la moindre parcelle de revendication, leurs cheveux ont déjà blanchi. Cette parole dite par Jany MARC, maire de Deshaies, a résonné dans le petit écran abasourdi par ce qui ressemblait à une révélation. Ils font semblant de décider de la pluie et du beau temps alors qu’il n’en est rien. Voilà que surgit l’objet leurre ; un objet leurre identique aux prérogatives du préfet le premier jour qui, à l’observation, s’est probablement identifié à l’État. Sa conduite le quatrième jour de négociation, après l’énoncé des mesures décidées par le ministère, son départ de la table des négociations donnent à penser que son supérieur hiérarchique lui a demandé de ne pas dépasser le cadre de sa fonction.
Il a semblé intéressant d’étudier les paramètres qui ont interféré dans les relations à l’œuvre dans ce débat.
Les mots
L’éventualité d’un changement de statut par la maire de la ville de Basse-Terre Lucette MICHAUX-CHEVRY, n’a laissé sourdre que : « C’est une affaire législative. ». Cette élue s’est montrée soucieuse de ne pas évoquer à ses yeux le pire. À appeler le malheur, sait-on jamais ! Elle n’a pas hésité à faire flotter l’ombre d’une menace en tirant de l’oubli la période de l’histoire de mai 1967, quand des hommes demandant des choses extrêmes ont été emprisonnés (Et les 87 ? morts ? Elle ne les à pas évoqué !). De manière doucereuse, semblant vouloir mettre en garde les enfants de la Guadeloupe, elle a tenté une déstabilisation. Elle désirait partager avec les téléspectateurs ce qu’elle avait compris de la démarche du LKP : elle nommait l’innommable. Agiter le drapeau de la peur est une manière de disqualifier un mouvement porteur des difficultés d’une population, une manière de sanctionner l’audace et la détermination. Par gentillesse, peut-être en guise de réparation, elle a tout dit sur l’octroi de mer et son fonctionnement, à l’instar des leçons instructives sur les taxes aéroportuaires, sur l’économie et le relèvement des salaires récités par les représentants des socioprofessionnels. Égale à elle-même en toutes circonstances, la petite joute à propos de la parole demandée par elle et prise par le préfet a révélé ce trait de caractère de conquête. Au : « Je vous la cède » elle répond : « Je la prends. »
Une escarmouche, quelque peu déplacée, a mis en relief le besoin de se mesurer à ceux dont la juste cause asseyait à une table des négociations l’appareil politique.
La volonté d’aller jusqu’au bout du collectif – « Cela se réglera dans la rue » –quand la tension était à son comble a reçu en écho pour réponse : « Cela se réglera dans la rue » de la part du préfet. Les personnes en grève sont fatiguées, énervées. Elles sont à cran, à pied d’œuvre jour et nuit, la pression est grande. L’enjeu dans les négociations est d’éviter l’explosion, de juguler les tensions.
La formation en matière de conflit est un élément de base dont doit bénéficier toute personne établie dans une institution politique, en contact avec le public. La médiation est un atout qui ajoute à la qualité des relations humaines. Mettre de l’huile sur le feu par une réponse de défi à un défi est inapproprié. Le mot revenant comme un leitmotiv était « respect » comme si c’était celui qui allait manquer le plus. Crainte à l’égard d’un comportement irrévérencieux d’un groupe ou de plusieurs groupes ? Lesquels ? Crainte de ne pouvoir soi-même tenir le cap de la bienséance ? Crainte de ne pouvoir supporter l’idée d’une exigence donc d’une domination ? Il est revenu comme plainte entachant le prestige d’une fonction.
La souffrance était en seconde position : elle balisait l’angoisse d’un échec des négociations et la stagnation ou l’aggravation de la période de troubles.
Les postures
Chaque partie était concentrée autour de son représentant, blocs monolithiques compacts, serrés en position défensive – contre quel danger supposé ? À telle enseigne qu’un des invités responsable d’hôtels a murmuré : « Nous ne sommes pas des ennemis. » Sûrement par ignorance du signal, la main sur le côté du représentant de l’État, pouvait prêter à confusion. Attitude de défi quand l’affrontement est proche, la hanche supporte cette main capable de frapper l’adversaire, le regard furibond l’accompagnant. En d’autres circonstances, elle souligne une forme de laxisme et de désintérêt pour l’environnement en l’absence de la brillance du regard. Comment serait interprétée cette posture dans un cabinet ministériel ? Que dire de l’indispensable téléphone portable sorti pendant les débats, main devant la bouche comme une cachotterie envers le voisin. Les enfants sont priés de ne pas utiliser le leur au moment des conversations. En regardant ceux qui devraient être des modèles, il sera difficile de poser là une interdiction.
La proposition à débattre des doléances en France a souligné l’envie de déplacement des corps, forme légère de déportation, dans un but d’atténuer une vindicte populaire s’il s’en fût. Ni acquiescement, ni dénégation n’ont relevé l’idée du voyage offert. Une autre aventure était entamée, actuelle, porteuse de besoins vitaux. À défaut de déplacer d’autres corps, celui du représentant de l’État s’est dérobé à la table des négociations. Après le communiqué énonçant les mesures ministérielles – une goutte d’eau dans l’océan des demandes – qui n’ont suscité aucun regard, ni aucun mot du porte-parole du LKP, le représentant de l’État a dit sa précipitation à se rendre à la préfecture pour y travailler. Alors, un flot de paroles a coulé, le priant d’être conscient de son absence de désir de négocier. Eric JALTON, le parlementaire des Abymes, la ville la plus peuplée, a ainsi laissé entendre sa désapprobation.
La désillusion
La désillusion s’est installée, générant un sentiment d’humiliation pour certains, de mépris pour d’autres. L’appartenance a déposé les mots créoles et camarades dans la bouche de celui qui, dans un élan du cœur, s’est rabattu sur le langage commun et l’identité. L’absence du préfet, Nicolas DESFORGES a été un révélateur ; elle a permis d’observer un phénomène abandonnique. Le cœur n’y était plus et la continuité du travail non plus. Faire comme des grands adultes responsables, auraient suffi à démontrer une capacité à se suffire et à dépasser le lâchage.
À défaut de reprise des négociations, l’intime a surgi en même temps que le réel des discriminations. « J’ai trois enfants, quarante-deux ans, je suis directeur adjoint à l’ANPE. » L’homme normal, père de famille ne saurait être dans un processus de destruction : il n’y a pas à avoir peur. « Je ne ferai jamais la révolution ; j’ai vu mon oncle professeur de philosophie sombrer dans la folie quarante ans durant. J’aime mon pays. » avoue Willy ANGELE, le président du MEDEF de la Guadeloupe. Expression d’un partage des responsabilités envers une terre et une origine communes, semblables et différents, à l’opposé d’une logique de sauvetage, ici le capital, là l’humain, l’âme à nu, ils ont pu parler de leur manière d’être et de voir le monde. La séance est levée. Les élus politiques doivent travailler afin de porter des réponses demain à quelques points de la plate-forme de revendications.
Les mesures de l’État concernent une prime ponctuelle de 200 € sur les bas salaires, au mois d’avril, une baisse des cotisations patronales, une aide infime au logement, l’augmentation des contrats jeunes de travail, le contrôle des prix, le passage de 1,3 à 1,4 du SMIC, un calendrier de quatre semaines pour les négociations thème par thème et surtout la possibilité de pouvoir travailler dans un climat apaisé. Une conférence de presse du LKP en dehors de celle des politiciens a permis de tenir informé la population des diverses tractations l’appelant à défiler à Pointe-à-Pitre. À cette conférence de presse, la syndicaliste martiniquaise, Hélène SURELLY travaillant dans la banane, avec une grande spontanéité s’est levée, disant la surdité de son patron à la proposition d’une augmentation. La réponse de l’employeur : « c’est pas possible, c’est pas possible » a pris des accents pathétiques dans sa gorge féminine. En fin de discours, la répétition du « kenbé, kenbé, kenbé », incitant à ne pas se démobiliser, a pénétré la fibre sensible de l’injustice sociale. Des femmes et des hommes de toutes catégories sociales, émus aux larmes, décident de « donner de la force » au mouvement. Le lendemain, 65 000 personnes sont descendues dans la rue. Une mobilisation massive ayant valeur de test.
Le groupe de travail des élus, réuni à la Cité des métiers, propose de contracter une dette de 50 millions d’euros qui devra être remboursée par l’État sans lui demander son avis. LKP refuse la discussion. Stratégie ou illusion ? Lyannaj kont pwofitasyon attendait-il réellement une réponse immédiate et satisfaisante de la part du pouvoir local ? Cette rencontre aura servi d’épreuve de vérité, aidée en cela par les médias, à démontrer la faiblesse des bases politiques de l’Outre-mer et son inaptitude à résoudre les problèmes.
L’entrée en scène du Secrétaire d’État à l’Outremer
Le secrétaire d’État à l’Outre-mer, Yves JEGO, arrive en Guadeloupe et s’installe « le temps qu’il faudra. » dans la région de la Basse-Terre. L’affirmation suppose que son départ sera tributaire de la signature des accords. Avant toute chose, il exprime le vœu de rencontrer la société civile, des gens de la population. Qui désigne ces personnes au hasard ciblé ? Il tient séance, les reçoit en présence de la maire de Basse-Terre. Sa demande se limite à une description succincte de la population. Décrire la condition de ses concitoyens sans être expert en sciences sociales et humaines relève de la gageure. Combien gagne un ouvrier agricole ? De quel budget dispose une mère de famille de trois enfants revendeuse au marché ? Combien coûte un aller-retour Basse-Terre/Pointe-à-Pitre ? Les personnes reçues ne peuvent que parler d’elles et elles ne sont certainement pas représentatives de la population guadeloupéenne. Être reçu par un secrétaire d’État implique de faire partie d’un monde jugé acceptable par le responsable du choix. Ainsi disparaît la pauvreté les réceptions de jours de fêtes. La nappe pour les grandes occasions, somptueuse, pare la table. La vérité du quotidien se maquille. Elle relève d’une attitude populaire, atavique, qui à comme objectif de diminuer le sentiment d’infériorité. Qu’aura appris le secrétaire d’État de cette rencontre qu’il ne savait déjà ? Alors il lance une convocation en direction des intellectuels : sept hommes sont désignés. Par qui ? Sept hommes, pas une seule femme (la boutade d’enfant disant que les hommes ont un cerveau et que les femmes ont une cervelle a été bien enregistrée. Le cerveau est le centre de la pensée, la cervelle est un aliment nourricier. Ils n’ont pas la même noblesse) qui refusent l’invitation tant que Lyannaj kont pwofitasyon ne bénéficie pas d’une audience. La démarche qui consiste à signaler l’effort fait, afin de mieux connaître la réalité du peuple : son style de vie, ses aspirations mais surtout l’opinion, sans enquêtes, qu’il se fait de ce mouvement de grève, est une tactique de diversion. Elle sert à essayer d’ancrer l’idée d’une grande ouverture d’esprit, d’asseoir une confiance effritée par une intervention sur la baisse de l’essence lors d’une interview télévisée en Dupleix sur RFO. Malgré le remplissage massif des rues de corps protestant contre les injustices, aux bouches chantonnant La Gwadloup sé tan nou, le taraude ce besoin de chercher dans les yeux d’un petit nombre une lueur d’explication à un si grand balan.
NÉGOCIATIONS : LA LEÇON D’ENDURANCE
Le secrétaire d’État s’assied à la table des négociations. Les télévisions et radios locales sont écartées de ces lieux où la parole directe ne peut être entendue. Forme de huis clos protégeant les décisions qui prendront valeur de loi dès qu’elles seront écrites, la responsabilité de chacun dans leur restitution verbale accentue l’écoute des radios du soir. Les médias de France semblent être informés plus tôt que ceux d’ici et les images et les mots en décalage avec les faits authentiques. Il se peut aussi que les réalités n’étaient pas perçues de la même manière par les journalistes de divers horizons. D’avoir franchi les distances océanes, les informations gagnaient en intensité guerrière. L’impression d’émeutes a mis en état d’alerte la famille lointaine qui ne sentait plus les morsures du froid, préoccupée par l’envoi de gendarmes mobiles dès la deuxième semaine de grève générale. Jour après jour, les avancées commencent à faire naître l’espoir d’une solution. Enfermés toute la journée et la nuit jusqu’à l’aube, les élus locaux, le patronat, Lyannaj kont pwofitasyon, le secrétaire d’État ont planché sur l’augmentation des bas salaires. L’accord écrit non signé devait le lendemain satisfaire le consortium. Chaque groupe part reprendre des forces, se reposer, se changer avant le recommencement du travail assidu. Rendez-vous est pris. À la section Dos d’Âne, à Gourbeyre, à quelque six kilomètres de la préfecture, le porte-parole du LKP reçoit sur son téléphone portable un message annulant la réunion pour cause de départ du secrétaire d’État.
Arrivé à l’endroit du rendez-vous, les grilles du bâtiment sont fermées, et à travers la séparation, un homme leur explique que personne ne peut pénétrer le lieu. La foule est amassée aux abords de la bâtisse publique. L’insistance du porte-parole, son calme déterminé, arrivent à changer la ligne de conduite du gardien de la grille qui reçoit l’autorisation d’ouvrir.
Les élus guadeloupéens n’en reviennent pas. Ils parlent d’humiliation, de vexations, de mépris. Le LKP, qui vient de parcourir 60 kilomètres pour ratifier l’accord, ne laisse rien filtrer de l’ordre d’une révolte qui pourrait enflammer la foule qui augmente dans la rue. Le président du Conseil général, Jacques GILOT, déclare par réaction que le lendemain la Guadeloupe sera île morte. Une parole de taille qui renforce la légitimité de la grève générale. Le révolté du moment ne tente aucune explication à la fuite de l’État. Il vit sa colère comme un enfant abandonné par son parent et qui ne prend que maintenant conscience d’une évidence trop douloureuse pour la contenir. Deux représentants de l’État : deux abandons-fuite depuis le début du mouvement social.
Le durcissement du mouvement
Le départ d’Yves Jego est un coup d’arrêt aux 200 € de relèvement des salaires. Jamais l’homme de l’État n’avouera avoir pris des engagements en ce sens. En France, le Premier ministre François FILLON le reçoit une heure en compagnie de la ministre de l’Outre-mer et de l’Intérieur, Michèle ALLIOT-MARIE. La Guadeloupe est une région « ultra-marine », « ultrapériphérique » – selon l’empathie qu’elle suscite – et s’aligne sur les mêmes lois que la France en matière de maintien de l’ordre public. Les deux ministères conjoints incarnés par une seule super-ministre en disent long sur le sens. La mise au point du Premier ministre laisse à penser que des prérogatives ont été prises sans concertation préalable avec le pouvoir hiérarchique. La présence du « tropicalisé », comme le dénomme la presse nationale, à ses côtés lors de l’énoncé de nouvelles décisions, le confirme. Il approuve chaque phrase d’un acquiescement de la tête. Il doit retourner en Guadeloupe escorté de deux médiateurs. Il les accompagne et continue son chemin vers la Martinique qui, à son tour, présente des revendications basées sur la vie chère.
Les médiateurs échouent dans leur tentative. Ils ne veulent pas tenir compte de l’avancée des travaux des groupes. Le MEDEF local continue de refuser de prendre part à l’accord salarial. Lyannaj kont pwofitasyon quitte la table des négociations. La tension est à son comble. Le président du MEDEF Guadeloupe, à ce moment de crise et de rupture du dialogue, dit avoir une proposition à soumettre à décision. Des barrages sont érigés ; le mouvement durcit ses actions. Les petits commerces, laissés ouverts pour approvisionner la population, sont fermés. Le gaz vient à manquer car le personnel gréviste des stations d’essence maintiennent les rideaux baissés, alors que les gérants ont obtenu l’assurance que les stations supplémentaires qui devaient voir le jour et saturer le marché ont été réduites à l’acceptable. Le secrétaire général de la CGTG Jean-Marie NOMERTIN, rassure les mères de famille : il leur promet que le gaz sera distribué. Soucieux des besoins, il sécurise en protecteur attentif. Entre la Grande-Terre et la Basse-Terre, la circulation est inexistante. Quelques jeunes pillards attaquent un centre commercial et les magasins de Pointe-à-Pitre. Sur la Basse-Terre, trois voitures sont incendiées, un restaurant entièrement brûlé. La présidente de la CCI, Colette KOURY, demande au préfet un service d’ordre afin de protéger les biens des commerçants. Face au refus, la rumeur dit qu’elle a l’intention de lever une milice. Le porte-parole du LKP déclare à la télévision que si l’un des leurs est blessé, il y en aura des deux côtés. Le lendemain, sur un barrage au Gosier, un syndicaliste LKP, Alex LOLLIA, affirme avoir été agressé. Il est hospitalisé au CHU de Pointe-à-Pitre. Des manifestants sont placés en garde à vue puis relâchés. La provocation ne déclenche aucune violence réactive. La réflexion anoblit la volonté de négocier. L’affrontement arrêterait le mouvement et justifierait la charge des quatre escadrons de gendarmes mobiles envoyés par la ministre de l’Outre-mer pour renforcer le contingent arrivé depuis la deuxième semaine. Mutisme maintenu de sa part, mais réponse par la mise en place des forces de l’ordre. Une méthode comme une autre, bouche fermée, à l’instar du chef de l’État. Certes, la situation des pays étrangers est plus préoccupante qu’un département français qui se débat dans une crise qui mène vers les chemins de la paupérisation des personnes ayant un salaire et un logement. Au soleil, la souffrance est atténuée est une généralisation de la pensée de ceux qui se donnent bonne conscience.
Un membre du syndicat CGTG, Jacques BINO, est tué dans sa voiture en revenant d’un meeting. Le retard des secours, les déclarations successives du préfet, du procureur de la république Jean-Michel PRETRE, du secrétaire d’État, du chef de l’État Nicolas SARKOZY, oscillant entre la geste de jeunes manifestants sur les barrages, puis une balle perdue, enfin un assassinat, sèment le trouble dans les esprits.
Les élus sont appelés à Paris par le président de la République qui les reçoit après les syndicalistes nationaux à qui il oppose un veto sur la question de l’Outre-mer. La consultation donne lieu à déclaration dont les mots forts sont : « Existence de solutions. Voies d’avenir. États Généraux. Réappropriation de son destin. Crise révélatrice d’un problème ancien. Sentiment d’injustice. Je connais les blessures et les frustrations. » En France : médiatisation à outrance du président du Conseil régional. Il parle, il parle jusqu’à oublier que la Guadeloupe est au bord de l’explosion. C’est vrai que là où il est, il peut s’exprimer sans contradicteur.
La ratification de l’accord Bino
Après la veillée et l’enterrement du syndicaliste Jacques Bino, dont l’accord salarial portera le nom (accord BINO), les négociations reprennent. La ratification de l’accord traîne à cause de l’opposition du MEDEF Guadeloupe : toujours la chose sue mais tue. L’État accorde 100 €, le conseil Régional et Général conjointement 50 (25+25) ; le patronat 50.
Grande surprise ! Le président du MEDEF Guadeloupe raconte aux médias que le porte-parole de LKP l’a agressé physiquement. Le préfet dément. Les parties signent et les petites entreprises, donnant un bel exemple de solidarité, ratifient à leur tour. La grande distribution s’enferme dans le refus. La fin de la grève est proche. Le texte du protocole de fin de grève est rédigé. Le préfet déclare : « L’État appelle solennellement à la fin de la grève générale dès lundi. »
La réponse est immédiate : « L’appel du Préfet est tout à fait cavalier et irrespectueux. » L’essence coulant à la pompe, la perspective de mouvoir des corps confinés à la maison depuis le début du mouvement, favorisent la reprise du travail dans certaines institutions publiques. Les enseignants de l’éducation Nationale n’entendent rien de l’appel préfectoral. Un centre commercial est refermé sous la pression des manifestants pour démontrer que seuls les grévistes mettent fin à une grève après la signature du protocole de fin de grève. Lyannaj kont pwofitasyon attend que les résolutions, après deux corrections, soient définitivement soumises à sa signature.
Après 44 jours de grève générale, la vie reprend en partie son cours. En partie, car chaque entreprise doit signer l’accord BINO afin que les employés réintègrent leur poste. Les deux plus grands hypermarchés n’obtempèrent pas, malgré la menace d’une loi prévue à cet effet. Un bras de fer paraît s’engager contre un mouvement qui par sa ténacité a atteint l’objectif fixé de départ. La volonté d’affamer le personnel et d’embraser la Guadeloupe, en mettant chaque jour face à face les gardes mobiles et les employés manifestants n’obtient pas l’effet escompté. Les récalcitrants, propriétaires surtout de deux hypermarchés, savent qu’à emploi égal le salaire ne saurait être à deux vitesses. Aiment-ils ce pays, comme l’affirme pour se dédouaner, un parent de celui qui, au plus fort de la crise, a banalisé dans un reportage : « Les derniers maîtres de la Martinique » diffusé sur Canal Plus , l’esclavage et son cortège de souffrance ? Jouissent-ils, comme le pwofitan, du désarroi du plus faible dévoilant là un sadisme à la hauteur de leur manque d’humanité ?
Au bout de douze jours de mauvaise volonté, ces chefs d’entreprise finissent par signer l’accord. L’exaspération est à son comble. Le discernement soudain d’une réciprocité de subsistance – sans les employés les patrons perdent l’entreprise – a permis aux choses et aux personnes de retrouver leur place.
La poursuite des négociations
La grève est finie mais les négociations continuent à l’intérieur des grands chantiers ouverts par les dossiers bien construits et très documentés présentés par Lyannaj kont pwofitasyon. L’eau, qui est affaire des collectivités locales, a permis à une cascade de vilains mots d’éclabousser les personnes en présence. La maire qui, à une télévision de proximité, n’avait cessé de raconter ses exploits de grève lorsqu’une partie du patrimoine risquait d’être emporté par un indélicat, la même qui était aux prises avec les négociateurs, venait là, dire aussi ce qu’il aurait fallu faire, oublieuse d’avoir été à la tête tour à tour et du Conseil Général et du Conseil Régional.
À cette époque pourquoi aucune pwofitasyon n’avait-elle été dénoncée ?
Pourquoi les successeurs feraient-ils mieux que les prédécesseurs ?
Au nom de quelle règle les tenants du pouvoir se doivent-ils d’agir en faveur du bien-être de la population ?
Depuis quand le goût de gouverner s’appuie-t-il sur la base des préoccupations collectives ?
La psychologie étudiant la notion de leadership montre que la position de dominant/gouvernant est dénuée d’altruisme : que seul compte le bénéfice individuel qu’on en tire. À moins que n’intervienne un renoncement à un ego surdimensionné par le sentiment de toute-puissance. Le pouvoir ne change pas l’homme : il le révèle
POURQUOI LE LYANNAJ ?
Dans les temps anciens, quand la dévalorisation imprimait sa marque sur tout qui était relatif aux Antillais, la méfiance s’infiltrait dans les alliances. Le marronnage était tu aux proches de peur d’une trahison sous contrainte ou par assujettissement. Konplo a nèg sé konplo a chyen disait le proverbe. Manque de confiance en soi, doute permanent, le semblable ne pouvait se rebeller sans que la dénonciation ne le ravale au même niveau que le pleutre, le craintif, celui qui n’osait pas. Oser c’est embrasser la bravoure, c’est refuser le destin de soumission, c’est lancer des défis à soi-même et aux autres. Trente-huit syndicats passent un pacte de solidarité et de liens. Ils allient leur force et leur savoir. Le collectif, en assemblant les spécialistes de différents horizons, augmente ses chances de présenter des dossiers sans faille afin de limiter les contestations. Le secrétaire général du syndicat de l’Éducation nationale connaît mieux que quiconque les manquements de l’enseignement et les propositions qui peuvent les améliorer. Celui de la santé, dont l’hôpital est le territoire, habitué aux revendications des employés de toutes catégories des établissements de soins, va accoler sa connaissance aux autres champs étudiés. Ainsi est mise en coalescence une multiplicité de dossiers posant problème depuis fort longtemps et qui n’ont jamais trouvé de solutions ne serait-ce que provisoires. Passés au peigne fin, ils se sont alignés dans la liste des revendications, impressionnante par le nombre d’items. Jamais autant de points n’ont été livrés à négociation. La demande s’étale du social au culturel en passant par le politique et l’économique. La grande connaissance des sujets force l’admiration d’un peuple dont le narcissisme a été malmené face au constat d’une gouvernance qui a laissé s’instaurer les pwofitasyon, avec l’espoir que personne ne serait capable d’y mettre un terme. Sous-entendu, qu’aucun Guadeloupéen n’aurait le savoir ni le courage suffisants pour ce faire. La force de ce Lyannaj a contribué à s’apercevoir que des hommes d’ici sont à la hauteur d’experts sans se prévaloir de leurs titres et que, de surcroît, cette tâche immense ne les a pas rebuté. Tous les mots péjoratifs concernant la relation au travail de l’Antillais deviennent caducs. La démonstration qu’une fédération produit plus de réflexions qualitatives et aussi plus d’énergie est un exemple à suivre. Elle s’impose mieux qu’une simple cellule qui n’aurait pu que survoler les sujets qui ne relèvent pas de son domaine. L’admiration du porte-parole du LCR en France Olivier BESANCENOT, venu porter son soutien au mouvement de protestation, prouve la longueur d’avance prise par le collectif LKP. L’inquiétude de quelques-uns concerne le vide qui pourrait être laissé par la fin du lyannaj, chacun regagnant son syndicat après cette action. La protection ressentie par la détermination de ces hommes autorise le dire du genre : « Qu’ils ne partent pas maintenant, il y a encore trop de pwofitasyon » Pareil à un père qui favoriserait la sérénité par sa présence sécurisante, le LKP occupe une place prépondérante dans l’imaginaire. Jusqu’ici, le père était partout et jamais à sa place et chercher sa maison équivalait à la perdre. Désormais la reconquête de la maison assied le père dans ce lieu d’où il a été barré, nié, miniaturisé. Un retournement de situation dont on ne saurait actuellement mesurer l’ampleur est en marche.
AU SEIN DE LA NÉGOCIATION : LA RELATION AU PÈRE.
Évoquant le père, la posture de deux hommes, celle de Willy ANGELE président du MEDEF-Guadeloupe et celle du porte-parole du LKP Elie DOMOTA est riche d’enseignements. Dès le début des négociations, le représentant du MEDEF, formant un conglomérat avec son groupe de patrons, a opposé une fin de non-recevoir aux propositions. Cependant, nulle dérobade n’est venue signifier son refus. Jour après jour, sa présence et son assiduité, comme pour ne pas perdre une miette de ce qui était débattu là, l’asseyaient, témoin de première instance d’une débâcle attendue, tendue par le piège du pourrissement, devait-il penser. Lors de la longue nuit à la Préfecture, il en est sorti épuisé, pouvant à peine soutenir une interview téléphonique. Vidé de sa substance, il continuait à parler de l’exagération des propositions. Quand la tension s’est cristallisée parce que les médiateurs gommaient allègrement les travaux précédents, le LKP se retirant, il a été troublé au point d’avancer une suggestion à explorer, demandant le retour à la table des négociations.
Comment interpréter ce comportement ?
Ces deux hommes sont frères utérins, sur le plan symbolique : c’est-à-dire fils d’une même mère et de pères différents. L’un, manifestement, hérite des valeurs d’un géniteur présent jusqu’à saturation, l’autre n’a de cesse de dépasser le père manquant. Le territoire commun est la Terre-Mère que tous deux revendiquent. « J’aime la Guadeloupe » disent-ils à l’unisson. Ils désirent la traiter chacun à sa manière. L’un en gardant la mainmise du père exploiteur par le biais de l’héritier donneur de leçons, l’autre en l’aidant à se sortir de cette soumission et de son rapport d’allégeance qui l’appauvrit. Il culbute le mythe de Man Ibè, l’être surnaturel de la mythologie antillaise : Bèt-à-Man Ibè est une femme transformée en truie par un sorcier jaloux et qui traîne à sa suite ses enfants, les petits cochons, dans une cacophonie de chaînes. Une lutte pour l’admiration de cette Terre-Mère est engagée. Jetés face à face dans une proche intimité d’un jour, moment de balancement où le premier accuse la révolution de rendre fou et l’autre tentant une réassurance de par son statut de père et de cadre administratif, ils s’affrontent. Quand l’objet de cette rivalité (l’échec avec les médiateurs) lui échappe, le président du MEDEF Guadeloupe supplie son frère symbolique de revenir dans la cour des grands ; il est prêt à mettre en jeu une parcelle du pouvoir financier. Il bluffe, il tente le coup. Il ne se satisfait pas de la défaite par le statu quo. Il veut assister à son écrasement par une machine à broyer les hommes. Il en fait une affaire personnelle. Il est encore là quand les tractations reprennent. La médiatisation partage son existence avec le frère entêté. Il s’exprime tantôt en raisonneur, tantôt en économiste exaspéré. Mais il défend toujours le capital au détriment de l’humain. Qui sera choisi par la mère ? Qui sera le préféré ? Les revendications passent à un stade d’accord concerté. Il ne supporte pas que l’autre gagne. L’accusation d’agression arrive pour amoindrir une réussite qu’il n’avait pas prévue. Cela signifie : « Il gagne parce qu’il est menaçant, violent ; C’est contre nature. Il n’a pas à me dépasser, je suis le premier de la classe. Je dois bénéficier de l’admiration de la mère. L’acceptation des autres parties en présence devient sa défaite personnelle. Sa réapparition à la télévision, non rasé, avec un début de visage de Barbudo, laisse transpercer son désir. « Puisqu’elle aime mieux et plus le rebelle, je suis prêt à changer de style pour lui plaire. » Il a conscience d’avoir perdu sur tous les plans. Lui reste à s’engager dans la voie de la réhabilitation.
Mais comment renier ce père ?
Comment sortir de l’illusion du bonheur par l’enrichissement ?
Comment se déprendre de l’influence d’un groupe dont le chant est un chant de sirène ?
Sa mère lui enseignera, peut-être, à ne pas écouter les sirènes : une mère aimante sait pardonner. Elle saura aussi redonner à ce père sa place conquise de haute lutte après tant d’années de désertion pour cause de non reconnaissance d’enfants portés par elle seule. L’HISTOIRE à travers ce symbole de l’homme/père conquérant dont la représentation est le LKP, a subi un renversement. L’homme guadeloupéen occupe l’espace de l’imago paternel fantasmé. Devenu désormais père symbolique et père réel à la fois il a trouvé sa maison perdue de la période esclavagiste en combattant les abus, grâce à son endurance et à sa noble tâche de protection envers le plus démuni. Le cœur de la mère, enfin, lui appartient.[1]
[1] Hélène MIGEREL, 2001, Mots de morne en miettes : La Guadeloupe l’âme à nu. Editions JASOR, Pointe-à-Pitre, in Conséquences de l’esclavage sur l’évolution des sociétés » p 22 et 23
LES SOUTIENS AU MOUVEMENT
Le président du Conseil Régional de la Guyane, Antoine KARAM, a envoyé un message de soutien à ce mouvement en marche. Dans son département, la population a soutenu une grève contre le coût de l’essence et en a obtenu la baisse. Christiane TAUBIRA, parlementaire socialiste de ce même département est venue défiler avec la foule au Moule. Elle s’est rendue au poste de police quand des manifestants sur un barrage ont été arrêtés. De surcroît, elle a organisé une marche de protestation et de soutien avec les Antillais migrants à Paris.
La candidate socialiste à l’élection présidentielle non élue, Ségolène ROYAL s’est aussi déplacée. La rencontre organisée avec des membres du LKP a conforté l’idée que le parti socialiste partageait les mêmes points de vue sur les revendications énoncées. Le porte parole du syndicat paysan français, José BOVE, s’est intégré au groupe qui arpentait la rue bruissant du chant : « La Guadeloupe sé tan nou. » Visites, prises de position, présence d’élus de partis divers, ont augmenté le poids de la légitimité de cette réhabilitation sociale. Des personnalités à dimension internationale, telle Jessie JACKSON aux Etats-Unis, ont convaincu de la justesse de la cause par leur encouragement à aller de l’avant. Les caméras nationales et étrangères, de plusieurs nations, ont braqué leur objectif sur l’évènement qualifié d’historique. La permanence de l’image a évité parfois des démonstrations de force mais n’a pu empêcher de voir ce cycliste apparemment tranquille, piquer une colère, pointant le doigt vers un jeune garde mobile en criant : « Il m’a donné une gorgette. »rameutant la foule de journalistes à l’affût de sensationnel. Canal 10, télévision de proximité a œuvré sans relâche à des fins d’information du public. Elle ne s’est pas contentée de diffuser par voie informatique des informations en direction du monde international, elle a de plus, ouvert son antenne au tout venant. L’impression qu’il suffisait de pousser la porte du studio, de s’asseoir, de parler avec Yvelise BOISSET a donné une vision incontestable d’une télé populaire, à la disposition de tous. Le site du LKP a jusqu’au Japon excité la curiosité d’un peuple loin des préoccupations d’une île lointaine et inconnue. La situation géographique de la Guadeloupe ne souffre d’aucune hésitation ; elle est associée maintenant au nom d’Elie DOMOTA.
Personne ne pourra nier l’immense participation des femmes chaque jour dans la rue, agglutinées devant les lieux de négociations, depuis le matin, investissant les bus mis à disposition les conduisant dans les villes éloignées de Pointe-à-Pitre pour une marche de sensibilisation sous tendue par un rapport de force ; l’occupation de la rue. Les pas qui s’entendaient de loin baissaient les rideaux des commerçants. Les hommes les rejoignaient au meeting du soir ou les relayaient auprès des enfants. Ces personnes ont insufflé une force au LKP en lui accordant une reconnaissance ; celle de parler dorénavant en leur nom, celle de lier leur destin au sien.
CONCLUSION
Les revendications qui ont été à l’origine de la grève générale sont en cours d’examination. Une promesse écrite et signée ne signifie pas une application systématique du principe accepté. C’est une affaire à suivre. Mais ce qui restera gravé dans les mémoires à propos des négociations est cette volonté d’obligation de résultats dont a fait montre Lyannaj kont pwofitasyon. Malgré une tactique de pourrissement, des provocations réitérées, des départs frustrants, ces Guadeloupéens ont tenu bon, se donnant à fond pour la cause qu’ils défendent avec ténacité, calme, organisation, force de caractère.
LKP est cité comme exemple à suivre dans l’hexagone. Les protestations là-bas font référence à sa lutte. Sur des banderoles de la Seine Saint Denis on a pu lire : nous sommes tous des antillais contre la profitasion. Ce vocable employé en France pourrait faire croire à une créolisation en voie de développement. Le risque de contagion constitue une vraie crainte. Et si tous les syndicats de France copiaient le lyannaj ? Et si la grève générale ……
La mobilisation a facilité à des tranches de population le droit de s’exprimer dans des forums. Plusieurs ont libéré la parole chez les sans emploi, les sans abri, les sans repères ni avenir. Des propositions de mains tendues dans les quartiers défavorisés ont semblé redonner espoir de rencontres à des mondes séparés et différents. Des projets énoncés devant la caméra verront peut-être le jour. Mais, la parole n’a pas toujours valeur de contrat.
Subsistent des paroles en relation avec la réalité d’une histoire douloureuse qui ont été prononcées. Elles touchent le plus profond de l’être. Enfouies, tapies dans le « comme si » des échanges quotidiens, elles s’interdisaient de surgir au grand jour. Maintenant, qu’elles ont été proférées, il faudra en tenir compte et permettre que des actions balisent ce champ du réel susceptible de servir de catalyseur à l’agressivité. La remise en vigueur des codes de communication propres à chaque ethnie et des codes communs s’avère indispensable.
Le LKP a ouvert de grands chantiers dans toute la Guadeloupe et dans tous les domaines. De l’Education Nationale en passant par la Santé, des réflexions devraient aboutir à des décisions facilitatrices de mieux-être où chacun doit s’impliquer, le sens de la responsabilité aidant.