L’hôpital dans les mots

Publié dans Le Progrès social n°2700 du 24/01/2009

A une époque révolue, l’hospice accueillait et soignait les indigents, dénomination respectueuse  du qualificatif : miséreux. L’historique de la prise en charge de la maladie souligne le rôle des institutions religieuses et l’importance du poids des actions caritatives. Les bonnes sœurs infirmières luttaient contre les affections physiques sans penser à une rétribution quelconque. Elles ne se contentaient pas seulement de soulager et de guérir, elles avaient une fonction  gestionnaire. Disposer de matériels, de vêtements, d’éléments de literie n’allaient pas de soi ; il fallait susciter les dons des nantis. La nourriture elle-même était à trouver.

Les religieuses ont tenu d’abord les hospices débordant au moment des grandes épidémies. Leur présence sur les sites de soins de fortune en temps de guerre ont été les prémices d’une organisation ouverte aux personnes laïques. En 1963, l’implantation religieuse dans le système de santé était encore une réalité.

L’hôpital s’est restructuré sous l’égide de l’Etat. Le service public devenait crédible avec la qualité des formations des divers corps de métier. Plusieurs remaniements et réformes ont séparé le médical de l’administratif. Le directeur administratif a succédé au médecin directeur. Les incompréhensions cloisonnaient les secteurs d’intervention. Les priorités ne s’évaluaient pas au même niveau, les besoins non plus. La santé avait désormais un coût. Il fallait que soit ancrée cette idée dans la pensée soignante.

La recherche scientifique a propulsé le service public vers un label de qualité qui a donné une immense renommée à certains professeurs dont la notoriété a dépassé les frontières de l’Europe. Les différentes strates sociales  se côtoyaient au sein des services spécialisés, oublieuses du sceau d’indigence du passé. La possibilité de recevoir les meilleurs soins sans restriction de fournitures faisait dire que les équipements étaient supérieurs à ceux du privé.

Les cliniques étaient coûteuses et pas forcément plus performantes. En revanche, elles offraient une plus grande commodité sur le plan hôtelier. Pas de pénurie de draps ni d’oreillers, une nourriture au menu choisi, des chambres individuelles et confortables, des horaires de visite adaptés aux visiteurs actifs. L’accueil selon des critères de sélection était moins abrupt qu’à la réception de l’hôpital qui faisait la distinction entre lit privé et lit public au sein d’un même service.

Plus personne ne dort aujourd’hui dans des lits privés à l’hôpital. La suppression de cette ineptie a amélioré les rapports des soignants. Entre l’enveloppe de Noël du couloir privilège, les confiseries des familles et rien du tout pour le couloir sans écusson ni titre de noblesse, la rancœur se cristallisait. Plus jeune, plus jolie, plus vive, le choix du chef de service hissait l’infirmière désignée  au rang d’un produit de marketing : plus hypocrite aussi murmurait-on.

Désormais, le personnel infirmier bénéficie d’un régime identique pour un salaire égal. Les multiples transformations des services hospitalo universitaires ont permis de réhabiliter l’image du service public d’autant plus que les pathologies aggravées n’ont aucune autre destination. L’établissement privé n’a pas les ressources humaines et matérielles pour assumer les cas très difficiles.

Il fut un temps où l’hôpital était synonyme de souffrance, de ratage. D’aucuns évoque des membres amputés que se disputaient les chiens, d’autres l’incompétence médicale, la  propreté douteuse. Chacun a son mot à dire sur  ce temps d’antan. La construction de locaux, l’arrivée des spécialistes, l’application de méthodes modernes ont établi une sécurité sanitaire.

Pourtant, les nantis ont conservé une crainte, dont la justification s’exprime librement, de leur établissement. Le syndrome du boeing a transféré nombre de personnes dans non pas les cliniques mais les hôpitaux de France. Ils sont revenus corps morts ou agonisants modifiant la croyance en une supériorité d’un ailleurs médical.

A décharge, les manques d’outils idoines, matériel à usage unique, la légèreté du service d’hygiène, le spectre des maladies nosocomiales brossent un tableau peu élogieux des établissements publics. Les études qualitatives ne concernent que leur territoire. Sommés de se laisser évaluer, quelques-uns se rétractent refusant l’analyse au risque de rentrer dans la catégorie des mauvais.

La stratégie consiste à améliorer l’existant afin de bénéficier l’année d’après d’une image de marque valorisante. Le bon comme le moins bon s’accroche à la mémoire et restituent les évènements récents sur lesquels les médias braquent les phares de l’information. Informer hier comme aujourd’hui c’est créer du sensationnel. La mise en mots dramatise le banal, donne sens à la perfection : un non droit à l’erreur.

La greffe du cœur, de la main, du bras, la fécondation in vitro, la séparation de siamois ont façonné des Dieux au savoir infaillible. Aucun retour en arrière n’est pensable. L’hôpital est devenu un lieu où l’espoir d’une re-naissance ne laisse plus de place à la mort. Cette mort teintée d’impudeur dans un monde promis à l’immortalité ! Commence à s’exprimer dans les dernières volontés le refus de se laisser contempler une fois la vie enfuie. En filigrane se dessine l’idée de demeurer vivant pour les autres. La mort serait donc honteuse, semblable à une faiblesse de l’âme. Et peut-être que bientôt les enterrements se feront la nuit, furtivement, sans annonce ni cortège.

La représentation de l’hôpital s’accommode des époques. Il était normal d’en sortir les pieds devant quand tétanos, paludisme et tuberculose décimaient les populations. Les avancées de la science ont autorisé soulagement et guérison à des gens remplis d’impatience face à la douleur qui n’est plus à endurer mais à soulager.

A telle enseigne que les agressions au service des urgences sont le résultat d’une trop longue attente. Le sentiment de n’être pas reconnu comme être souffrant, de ne pas tenir compte assez vite de la réalité du corps douloureux permet de toucher rudement celui du soignant comme pour transférer le mal-être ressenti. Puis intervient aussi la toute-puissance de celui qui doit tout obtenir, tout de suite, engoncé dans une posture adolescente.

Lieu de mort et de guérison, la controverse actuelle autour de l’hôpital est liée à une multiplicité de facteurs. D’abord une mortalité due à l’entrée de toute personne ramassée sur la voie publique par le SAMU et les pompiers qui commencent une prise en charge médicale, puis un allongement de l’espérance de vie avec son lot de pathologies dégénératives, ensuite des interventions de plus en plus osées, tentatives de maintien en vie ayant valeur de performance. Alors pour se venger de la déception, des mises en accusation de la part du maître du mort sont prononcées, des procès sont intentés non contre les soignants et leur défaillance mais contre un système qui a généré la croyance dans un pouvoir médical sans limite.

Auparavant les gens agonisaient chez eux. La famille sollicitée se chargeait de la fin. On trépassait dans son lit entouré des siens. La vie moderne est peu adaptée à cette pratique. L’isolement du malade livré aux mains de l’infirmière à domicile dépourvu de la présence d’une parentèle vaquant à ses occupations, contribue à le garder jusqu’à extinction du souffle.

Un autre élément non négligeable récent est cette tendance à limiter les jours d’hospitalisation et à mettre en place un suivi médicalisé à domicile à des fins de désencombrement des lits, en mettant en exergue le danger des infections nosocomiales. D’où la méfiance de l’hôpital agent de propagation de la mort et de l’infection. La raison économique n’est point évoquée.  L’hôpital devient suspect au point que l’acharnement accusateur dont il est l’objet est un renforcement du constat de manque en moyen humain et matériel, une pénurie de spécialiste las d’attendre un budget conséquent pour la recherche.

Hôpital : quel projet pour demain ?

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