Le don d’organes

Publié dans Le Progrès social n° 2560 du 29/04/2006

Ils semblaient égarés devant cet ascenseur de la fac de médecine de la rue des Saints-pères, Paris, 5ème arrondissement, n’osant appuyer sur le bouton, serrés l’un contre l’autre, une femme et un homme d’environ 70 ans. Questionnés sur l’étage à atteindre, elle baissa pudiquement les yeux, murmurant : «  Nous venons donner nos corps à la science. »

Le don d’organes est un choix difficile à comprendre dans certaines familles, parcequ’il fait surgir l’image d’une mort imminente, tout au moins envisageable. Un être jeune en bonne santé ne saurait se penser privé d’une partie de son corps autrement qu’après le décès. L’indignation et le refus s’imprègnent de cette possibilité. Après coup, l’élaboration de la réflexion aborde la perspective du donneur vivant : on peut donner son foie, son rein, sa moelle osseuse à ses frères, sœurs, parents, enfants, conjoints. Depuis juin 2004 le sénat a élargi la loi aux oncles, tantes, grands-parents, cousins et à  la personne ayant plus de deux ans de vie commune avec le receveur.

La Guadeloupe n’a pas encore de chiffres précis concernant la greffe d’organes et de tissus. Ceux de France qui datent de 2003 disent que 6.592 personnes sont en attente d’un organe. Seuls 3.410 ont pu être greffés et que 252 sont décédés par manque de greffons. La réticence des familles au prélèvement a des causes variées. Elle tient à :

  • L’information insuffisante concernant la mort encéphalique confondue avec le coma au cours duquel le cerveau continue à fonctionner. En cas de mort cérébrale celui-ci n’est plus irrigué, il s’éteint avant le cœur et ses fonctions sont détruites. Il n’y a pas de reprise possible de vie, c’est une situation irréversible. La confirmation par deux électroencéphalogrammes à quatre heures d’intervalle fait l’objet d’un constat établi par deux médecins étrangers à l’activité de la greffe.
  • L’évocation d’interdits religieux, alors qu’aucune religion ne s’oppose au prélèvement. Le don des yeux, quand un fléchissement renverse les défenses autour des autres organes, demeure bloqué dans le refus parce qu’ils sont, dit-on, nécessaires à la résurrection. Voir le chemin semble important.
  • La croyance à l’impureté associée au corps. Le risque de souillure encouru par le receveur mettrait mal à l’aise celui qui se rendrait complice de cette opération.
  • La conviction identitaire souvent tue. Le corps est le lieu de la construction de la personne ; le faire revivre dans un autre pourrait créer une confusion. Un film indien transcrit cette crainte : le cœur transplanté d’une femme reconnaît l’époux et reprend la passion antérieure.
  • L’ignorance des organes prélevés au CHU de Pointe-à-Pitre
  • La différence entre don d’organes et don du corps.
  • La crainte de la mutilation.

Après la mort encéphalique, l’équipe médicale et soignante soutient la famille et répond à ses questions. Toutes les incisions sont fermées chirurgicalement et recouvertes d’un pansement ; dans certains cas des prothèses peuvent remplacer les tissus prélevés. L’aspect du corps est respecté, il est habillé avec les vêtements portés par la famille. L’humanisation du corps donné à la science, qui ne revenait pas et ne recevait aucun enterrement, a aboli ce manque en le restituant à son groupe familial, allant même jusqu’à participer aux frais funéraires afin  d’aider l’accomplissement du deuil. L’adhésion à l’idée du prélèvement comporte quelquefois des contradictions. La demande de le différer, de le remettre à plus tard alors que l’urgence est énoncée, trahit la difficulté à prendre une décision pour le donneur potentiel. Ceux qui ergotent loin de toute sollicitation affirmant la nécessité du don, il suffit de les questionner sur l’organe qu’ils choisissent de donner pour les laisser sans réponse. Combien de personnes possèdent des cartes de donneurs ? Combien de personnes savent qu’elles sont considérées comme consentantes en cas de mort encéphalique sauf si elles ont fait connaître leur refus inscrit au registre national des refus ? Le taux de refus pour la France est élevé, il est de 3O%. Se signale l’angoisse ressentie s’agissant de l’anticipation imaginaire de la mort qui ne peut être abordée facilement. Dans l’inconscient, la mort est impossible : ainsi chacun est convaincu de son immortalité. Le don est souvent une volonté du défunt transmise par la famille ; socle d’une grande générosité et d’une certaine grandeur d’âme, il est défini par la loi CAVAILLET de 1978 et de bioéthique de 1994, et possède ses décrets d’application :

  • Libre consentement et gratuité ; toute rémunération étant interdite comme l’est le marché noir et le trafic d’organes puni de 7 ans d’emprisonnement et de 107.000 Euros d’amendes.
  • L’anonymat du donneur et du receveur.
  • L’équité de la répartition des greffons et la sécurité sanitaire.

L’Etablissement Français des greffes est le garant national de ces principes.

Quand le donneur est vivant, ces critères n’ont pas cours. Le receveur est connu, apparenté ou conjoint. Un comité d’éthique examine le dossier, reçoit le donneur devant un jury constitué afin d’évaluer sa motivation et l’informe du risque encouru pour les deux : celui des réactions physiologiques après l’intervention, quelquefois de douleurs, celui d’un possible rejet du greffon pour le receveur. En Guadeloupe les prélèvements sont limités au rein. En France les organes prélevés sont : le foie, le rein ; le cœur, les poumons, le pancréas et l’intestin. Les tissus se limitent à la cornée, la peau, les os, les valves cardiaques et les vaisseaux. Le coût d’une greffe dépend du type d’organe. Le prix moyen est de 16.800 Euros, le plus cher étant le foie, et le moins cher, le rein. La prise en charge totale est assurée par l’hôpital qui pratique la greffe et nulle charge supplémentaire n’est redevable par la famille. Le choix du receveur est défini en fonction de critères médicaux stricts : quand à court terme la vie est menacée, quand se présente un greffon rare dans un groupe sanguin inhabituel ; les enfants de moins de 16 ans constituent une priorité. Le maintien de l’anonymat du donneur et du receveur n’empêche pas l’équipe médicale d’informer du résultat. A une mère qui a accepté de donner les organes d’un enfant après une mort brutale, accidentelle, peut être dit que sa générosité a sauvé une vie, pas plus. Cela l’aidera à surmonter son deuil : le sentiment d’avoir accompli une bonne action.

La transplantation d’un organe n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. La réussite de l’intervention ne gomme pas la complexité des affects. L’imaginaire tient une place importante dans ce rapport de mort et de vie. La question de la dette se pose en premier mais dans un registre d’une altérité de la culpabilité ( l’autre est mort pour me donner vie) et de la gratitude ( il n’est plus là, je n’ai pas à dire merci sauf à Dieu.) Le donneur anonyme est sacralisé. Mais quand la culpabilité est la plus forte : « recevoir sans rien donner » la relation à l’organe reste ambiguë, elle devient persécutive. L’organe dans un déplacement est mis en accusation, il oblige à absorber une multitude de médicaments qui intoxique l’organisme. La culpabilité a tourné au tragique dans le cas de cette main greffée ( la main d’un mort) sous le regard quotidien, demandée à être sectionnée chirurgicalement sous prétexte de délivrance d’une prise de nombreux médicaments à vie.

La greffe malgré le grand bénéfice qu’elle procure n’élimine pas le traumatisme lorsque survient la perte du statut de malade dépendant ; l’autonomisation et la reprise en main du corps déstabilise d’autant plus que le malade n’a plus rien à attendre : cette opération étant celle de la dernière chance. Par exemple, le greffon supprime la dialyse et dès lors la crainte du rejet nourrit une angoisse permanente. Obligation est d’apprivoiser ce corps étranger qui peut se désolidariser du sien.
Il n’en reste pas moins vrai que le besoin d’organes doit interpeller chaque citoyen. Avec ou sans carte de donneur, une parole dite dans la famille l’aidera à acquiescer à la demande médicale sans tourments.

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