Le Noël des pauvres

Publié dans Le Progrès social, n° 2697 du 27/12/2008

Une pratique courante depuis quelques années, place à la sortie des hypermarchés des bénévoles d’institutions charismatiques demandant à la ménagère de penser aux plus démunis. En donnant un petit rien, la bonne conscience a en partage la misère du monde. Allégé du poids de la culpabilité de l’abondance alimentaire, augmentée en cette période  festive, chacun durant un instant va croire à sa participation au bonheur de gens anonymes. Ceux qui n’ont pas su ou qui n’ont pas voulu faire l’effort d’acquérir des connaissances, d’opérer une ouverture sur la mobilité pour échapper au chômage, mais surtout ont préféré  la flagornerie ou la paresse à une organisation quotidienne. La propension actuelle est de croire que la pauvreté relève de la responsabilité des individus. Sourite, Roger chien et pain et citron, les clochards qui habitaient le square Pichon étaient connus des familles du quartier. Nourris chaque jour ils savaient porter leur gamelle en fer-blanc aux portes différentes, le midi, après le repas familial. Personne ne refusait la demande muette. Il suffisait que l’un se mette face à la porte d’entrée pour que la part arrive dans la gamelle lavée ou par son propriétaire ou par une âme charitable. Des enfants sensibilisés à leur manque offraient, bras tendu de crainte, un morceau de goûter. Vu les quolibets qui fusaient sur leur passage lancés par des kyrielles de petites bouches ; il valait mieux se prémunir des réactions vengeresses de ces sans abris. Ils étaient familiers. Leurs biographies étaient racontées de maison en maison. Roger chien avait perdu une jambe à la guerre,  Sourite, originaire de Terre de Haut, avait perdu son emploi de bonne à tout faire et avait été incapable de retrouver le chemin du bateau des Saintes. Pain et citron, aux attitudes lubriques avait perdu son amour et ne s’était pas remis de la déception amoureuse. Les trois avaient en commun cette emprise de la perte qui avait entraîné leurs vies dans une dérive sans fin. Ils faisaient partie du décor. Aucune volonté administrative ne se souciait de les enfermer, de les entretenir. Ils survivaient grâce à la solidarité. Pas de rejet ni de condescendance à leur égard, mais si l’un ne sortait pas de la journée du square, une personne, femme ou homme s’inquiétait  et allait explorer les fourrés et les buissons. Le soir de Noël, vêtus correctement, ils s’asseyaient sur les marches de l’église, jamais sur les bancs à l’intérieur, ils recevaient des friandises et de l’argent. La messe du dimanche où prenaient place les notables aux bancs marqués à leur nom, au premier rang, ne les attirait pas. La main tendue recevait des piécettes pour le rhum. Et les soirs de libations des cris s’échappaient du square, vite étouffés par une ou deux « paix-la ». Les grosses voix masculines obtenaient que le vent bruisse dans les feuillages favorisant l’endormissement des enfants. Quelques quartiers  possédaient des pauvres qui ne s’aventuraient pas en dehors d’un territoire limité, comme les grands phobiques qui déterminent un périmètre à ne pas franchir. Ils s’asseyaient à la même place, cherchant l’ombre des balcons. Sans domicile fixe ou vivant dans une maison héritée de leurs parents, leur situation d’errance leur assignait un statut. La dame décharnée, vêtue de noir, à la peau recouverte d’une épaisse couche de crasse, se terrait derrière ses immondices dans la pièce du bas d’une grande maison aux portes inexistantes. Elles avaient servi à faire du feu. De temps à autre il fallait éteindre le début d’incendie. Personne n’avait signé une pétition demandant son placement dans un établissement de soins. Toujours en faction, elle surgissait de la pénombre, yeux hagards, dès qu’un pas s’allongeait sur le pas de la porte. Elle se nourrissait de miettes disputées aux oiseaux, de goûter jetés dans les venelles, de déchets des poubelles : trop fière pour mendier ou quémander. Le piano de son salon se devinait, à la forme, aux heures du soleil ardent. Il avait échappé au feu domestique. Les pauvres et les affamés vivaient libres. La parentèle, les services sociaux en voie de développement, ne se donnaient pas comme objectif une prise en charge totale ou partielle. L’hôpital de Nanterre recevait au début de l’hiver des pauvres ramassés dans les bouches de métro. Après le décrassage obligatoire, il leur était offert un séjour hospitalier de quelques jours pour se refaire une santé. Couchés dans un lit, mangeant à satiété, ils repartaient arpenter le bitume de Paris. Aujourd’hui le SAMU social va à leur rencontre. La récente mise en place de deux équipes de rues hospitalières : l’une dans la région de Basse-Terre, l’autre à Pointe-à-Pitre, à la fonction quelque peu imprécise, devrait se donner pour tâche de réhabiliter l’humain. Faudrait-il encore définir l’objet des interventions, le but poursuivi et les équipements nécessaires à une prise en charge idoine.  Une réhabilitation psycho sociale doit avant tout servir à la reconstruction de l’être. Débarrasser la rue et épurer la ville s’inscrivent sur un autre registre. L’exclusion, la désocialisation, les cas extrêmes, se voient, exacerbent la sensibilité, déversent dans les rues une foule marchant contre la faim et la pauvreté dans le monde une fois l’an. Refuser l’idée qu’un enfant puisse mourir de malnutrition ou d’absence d’aliments fait naître du dégoût ou une révolte, mais ne donne lieu à aucune action individuelle. En parler permet de mettre les gouvernements au banc des accusés, surtout ceux des pays d’Afrique, là où les nourrissons tètent des seins secs. L’aide humanitaire existe parce que les dirigeants se trouvent dans l’incapacité d’assurer un minimum de bien-être à une partie de la population. La coalition d’individus à travers des organismes non gouvernementaux pallie les manquements. Envoyer un chèque ou un mandat postal vers une destination lointaine coopère au projet d’effacer des images qui dérangent le repas du soir, serait-il frugal. La proximité ne nécessite pas d’argent : il suffit au moment des courses d’acheter un paquet de pâtes ou de riz ou une boîte de conserve. Ce pourcentage de personnes quasi invisible, ayant un logement, bénéficiant d’une aide sociale insuffisante à nourrir les enfants, viennent de façon régulière se fournir en denrées alimentaires. Le stock a été défaillant un temps. Un nouveau profil est apparu : celui des travailleurs réguliers aux fins de mois difficiles se résignant à cette manne salutaire, après une traversée dans le surendettement. Pas de jouets à Noël pour leurs petits si ce n’est le cadeau d’une marraine régulière dans ses amours ; la famille ne se doutant pas de la détresse, la pudeur n’est-ce pas ! La pauvreté c’est aussi cela : la pénurie de l’indispensable. Rien n’est prévu pour ces gens qui ont un emploi, une maison, une voiture, des enfants à charge et par mauvais coup du sort se trouvent projeté dans un avenir incertain : un divorce, une longue maladie : la déveine. Le lointain attire toute l’attention parce qu’il y a refus de croire qu’à portée de voix des personnes sont dans le besoin. Les cyclones ont façonné l’esprit de solidarité saisonnière individuelle et collective. Les catastrophes naturelles sont incontournables, elles relèvent du divin puisque les causes sont encore inexpliquées pour le commun des mortels. La situation événementielle oblige au partage : action de grâce pour s’en être tiré à si bon compte ; un prix à payer.  La différence, c’est que la pauvreté dérange. L’incompréhension s’étale autour de la passivité de l’individu, son inappétence à édifier un niveau de vie acceptable, sa responsabilité quoi. Les préjugés ont la dent dure. Qu’offre t-on au très pauvre ? Un peu de nourriture, de quoi se vêtir. La société se doit de pourvoir à sa santé. La fête de Noël ramène une évidence oubliée celle des sans : sans abri, sans repas, sans sapin. Donner n’est pas simple, aider non plus. Une solution est trouvée cette année : un jouet déjà servi peut être déposé dans un magasin de jouets qui s’occupera de son acheminement : une manière d’initier les petits au don. Ils seront le Père Noël.

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