Avoir un enfant engage de mener à bien un projet qui fera de lui un adulte responsable, décideur de sa vie. Tout parent tend à atteindre cet objectif qui le désignera comme détenteur d’une connaissance empirique, sans que soit entreprise une action d’apprentissage ayant un indéniable savoir-faire, enfin bon parent.
Cependant il n’y a pas d’idéal éducatif qui autoriserait à concevoir une méthode applicable à tous, parce que les constructions familiales sont diversifiées, autant que les rôles et les statuts du ou des parents. Est-on parent de manière identique dans la famille monoparentale, nucléaire, homosexuelle ou adoptive ?
PENSER L’ENFANT
Etre parent s’origine dans le désir d’enfant conditionné par la représentation du lignage, elle-même influencée par la culture.
En Guadeloupe, une grossesse prouve à assurer sa descendance ouvrant l’accès au statut de mère tant valorisé, à telle enseigne que la femme stérile est suspecte de malédiction divine justifiée par une mauvaise vie, c’est-à-dire une vie de débauche, coupable d’avoir un ventre gâté par des avortements multiples. Après mariage aucune progéniture ne fait résonner de cris le foyer. Le désir d’enfant tel qu’il s’analyse en Europe, ne se présente pas de prime abord sous le même aspect, mais il reste le plus vivace des souhaits infantiles ici et ailleurs. Et combien même la grossesse ne rentre pas dans le cadre d’un projet programmé (les femmes mariées évoquent l’accident), elle dévoile la prégnance du désir inconscient.
La construction de l’enfant passe par l’élaboration d’une pensée porteuse d’un tissage de deux individualités, ayant chacune une inscription familiale, sociale, une personnalité propre. L’être futur viendra là interroger les histoires personnelles : construction oedipienne, abandon, évènement traumatique. Donner la vie oblige à se conforter au réel, où passé et présent s’entremêlent, pour qu’advienne la filiation. La venue d’un bébé oblige à des aménagements du psychisme des parents dont l’aboutissement est la fonction maternelle et la fonction paternelle pavant la voie à une relation indispensable au développement psychoaffectif du nourrisson. Pour la mère dont la connaissance avec le bébé est plus intime de par la grossesse, le lien est plus simple à établir que le père qui découvre cet enfant à la sortie de l’utérus. Ce moment de survenue souvent dans la joie, le bien-être de la délivrance, l’émotion ne donne pas lieu d’emblée à des sentiments ambivalents. Le plaisir immédiat du : « Il est entier, en bonne santé, il crie » balise la satisfaction d’être mère, d’être père. C’est un peu plus tard que le réel n’est pas toujours en phase avec l’enfant imaginaire, l’enfant fantasmatique.
L’enfant imaginaire est celui du désir et du rêve. Il appartient au système préconscient, il s’élabore dans la parole, puis en mot ; il est donc représentable mais il n’est pas le fœtus. Il endosse un rôle, celui d’être le support d’une réparation, de l’accomplissement du dédommagement des adultes de la lignée, vecteur de la transmission intergénérationnelle. Qu’on se souvienne des enfants des concours de beauté, des virtuoses de musique ; écoutez ce que disent leurs parents de leur rêve avorté ou non atteint.
L’enfant fantasmatique est le support du prolongement de la vie et le garant de la continuité des générations. Il appartient au système inconscient qui s’aperçoit à travers l’attribution des prénoms, le nombre de leurs lettres, la date de la conception et de la naissance – un parent meurt, le bébé le remplace pour combler le vide – ou alors il vient questionner une partie de l’histoire d’un ou des deux parents : souvent les parents sont porteurs de la même souffrance dont hérite les enfants.
Un nourrisson né à terme a développé au bout de quatre jours, de retour à la maison, un eczéma généralisé sur tout le corps. Incapable de se gratter, ses cris permanents de nuit comme de jour tenant la maison en éveil a nécessité un retour/refuge à la maternité. Orienté, la consultation psy avec sa mère l’a libéré d’un fardeau trop lourd à porter : une angoisse massive générée par un déménagement dans un pays étranger de toute la famille pour des raisons professionnelles du père, annoncé à trois mois de grossesse. Une prise en charge quotidienne mère/enfant a permis d’envisager sereinement le départ à l’étranger et celui de l’eczéma si douloureux.
L’arrivée du bébé peut faire échec à l’enfant imaginaire et à l’enfant fantasmatique et donner lieu à des sentiments contradictoires, ou alors engendrer une évidence poussée à l’extrême, ne tenant compte que du réel où aucune rêverie ne teinte la relation sans attente, dénuée d’affects.
C’est dire que les parents doivent trouver une juste distance entre enfant imaginaire, enfant fantasmatique, enfant réel, afin que s’établisse une relation affective satisfaisante. Ceci fait partie d’une compétence parentale .Le parent adoptant, ne s’inscrit pas dans le registre de l’enfant fantasmatique : il ne perpétue pas le cycle intergénérationnel : le choix d’un enfant éloigné de son phénotype montre avec netteté la rupture de la continuité ; Mais s’agissant de l’enfant imaginaire, il est en butte à une complexité. Le rêve n’a pas sa place en regard d’une proposition faite. On ne choisit pas un enfant : il est offert. Le réel d’emblée s’insère dans la relation avec l’avant-première de la rencontre : la photo sur laquelle le regard se pose, détaillant l’être voulu qui devra remplir une attente, celle de la réciprocité du donné et du reçu. Se faire du bien en faisant du bien à l’autre, don et gratitude, promesse de bonheur partagée, le lien s’instaure dès cet instant de façon unilatérale. Puis la présentation, les visites avant la rentrée à la maison pour faire plus ample connaissance. Jamais un adoptant ne s’est dérobé, acceptant le réel. Est-ce à dire que la dimension de l’enfant imaginaire en ce cas est caduque ? Elle s’aperçoit plus tardivement dans la propension à réaliser ses désirs à travers l’enfant adopté qui l’aide au comblement du vide, ne serait-ce que dans la réparation de l’infertilité. Il est arrivé qu’un garçon adopté à l’âge de trois mois fasse le reproche à vingt et un ans à ses parents d’avoir occulté sa culture en lui en imposant la leur, mettant là en scène une expression de haine envers un lien trop investi. L’enfant imaginaire submerge tout parent à partir du moment où le projet d’élevage de l’enfant a pour but la réussite.
Fonction maternelle, fonction paternelle
La fonction maternelle est une donnée essentielle dans la survie de l’être. Elle est repérable et consiste très tôt à établir une bonne distance avec le nourrisson afin d’asseoir le sentiment d’une existence individuelle à ce dernier. Ce n’est pas chose simple en regard de cet état fusionnel des premiers jours de naissance et de la dépendance qui en découle. De plus la subjectivation, le je de l’enfant est empreint de l’intériorisation progressive des représentations parentales d’interactions – pan de leur histoire personnelle, psychosexuelle, gestion du conflit oedipien, problématique inter et intra générationnelle les effets après-coup. – La subjectivation se joue sur le plan anthropologique et analytique. La condition première de l’existence de l’enfant est son inscription dans le langage.
La fonction paternelle tend à favoriser l’autonomisation et la socialisation, la construction de l’identité sexuelle, le développement des capacités intellectuelles, l’accès à la parole et à faire apprentissage de la fonction de protection. L’approche du corps, les soins de puériculture, la communication, l’aménagement du confort physique et psychique de l’enfant signent la construction de sa personne. La compétence maternelle trouve les dispositions à s’adapter à ses besoins. La mère est acquise, elle est certitude. Il n’en est pas de même pour le père. La grossesse est vécue hors de lui combien même les envies, parfois les vomissements, viendraient attirer l’attention sur son ressenti fantasmatique. Ce n’est qu’à l’accouchement que la paternité s’assume, témoignant de la préexistence d’un désir où refoulement et dénégation étaient côte à côte. Pour que la fonction paternelle opère il suffit que l’homme soit présenté dans l’espace social comme tel, donc désigné et qu’il accepte cette désignation.
Le langage inscrit la mère à une place différenciée par la génération et la généalogie, mère de… Et pour réaliser cette insertion symbolique, il est indispensable que la fonction paternelle institue une médiation entre elle et le nourrisson. Il s’investit de ce rôle de tiers médiateur autant que de tiers intégrateur. IL protège les espaces et les objets maternels des assauts et de la pulsionalité du tout-petit, tout en protégeant aussi le bébé des projections maternelles. Symboliquement, il barre la route à la jouissance de l’enfant, rappelant par sa présence l’interdit de l’inceste. Il est le représentant de la LOI symbolique. La famille est le lieu de la transmission et de la castration, elle apprend à contrôler sa jouissance à travers l’éducation : « L’éducation est le sacrifice de la pulsion écrit FREUD.
Aux différents stades de la vie de l’enfant, la fonction maternelle et la fonction paternelle servent de contenant. Au stade du miroir, le MOI surgit sous la forme d’une image contenant le réel, l’imaginaire du corps, le symbolique du nom, faisant apparaître le semblable comme menaçant parfois. C’est ici que l’agressivité prend racine. Ce père aide à la construction du sujet à partir de l’interdiction et des limites imposées. Sa légitimité est d’être à cette place à condition de s’y être désigné et d’y consentir. Il promeut une constitution interne telle l’accès à l’affirmation de soi, à la capacité à se défendre, l’accès à la sexualité. Il facilite le passage du monde de la famille au monde de la société. Le bon paternage assure une volonté de choix de vie et d’initiative, il développe le sens des responsabilités, le respect de la hiérarchie. Il est enfin un cadre sécurisant indispensable au développement.
Quand le père est absent dans la famille monoparentale par exemple, il est contenu dans la parole de la mère, c’est donc la parole de la mère qui fait LOI. De toute façon lui revient à elle d’introduire le père auprès de l’enfant quelque soit la composition familiale. Dans certains cas elle sera seule à poser les limites et à exercer une autorité. La fonction paternelle est mise à mal dans la famille recomposée, le chômage. Comment pour un adolescent grandir sans peur et effectuer ce passage ?
A l’adolescence, cette recherche intense d’identification et la découverte réelle du sexe peuvent donner lieu à des désordres psychiques, conduites ordaliques, transgression de la loi. Entre pulsion et langage, l’adolescent est soumis à rude épreuve. Puis le passage de l’enfant à l’adulte s’appuie sur deux éléments majeurs : l’âge du mariage ouvrant accès à la reproduction, l’âge du travail et l’entrée dans le système de production. Ces deux éléments sont de plus en plus tardifs dans la vie des sujets. Ce constat amène à poser la question de la socialisation de la jouissance en cas de défaillance parentale. Quand on sait que le père est celui qui permet la transformation de la pulsion au langage qui fonde le lien social et que l’accordage affectif de la mère est un repère nécessaire au fondement narcissique et à l’assise du sentiment de sécurité, se profile dans les interactions comportementales du futur adulte, la notion de transmission intergénérationnelle et l’impact de l’intimité psychique.
A regarder du côté des défaillances parentales, s’aperçoit une distorsion de fonctionnement de l’être. Par exemple une absence prolongée sans réassurance de retour, va générer chez le tout-petit un sentiment d’abandon et une tendance à la dépendance affective. Une maturité excessive en cas de carence familiale due à l’alcoolisation d’un ou des deux géniteurs, crée une parentification précoce de la fille ou du garçon, qui peut se transformer en fuite devant certaines responsabilités notifiant un refus de s’engager son tour venu. Le parent ou son représentant ne peut se dissocier d’un mécanisme psychique à l’intérieur duquel la qualité des liens tissés depuis le plus jeune âge régule les attitudes, les modes de pensée, mettant en œuvre une filiation parfois gènes exceptés, dans une histoire commune.
Aujourd’hui, porter à l’ordre du discours les compétences parentales revient à interpeller la norme, les règles et la loi régissant la société antillaise.
La loi désigne la jouissance et son objet mais l’interdit en même temps, en faisant un objet qui manque, et de la jouissance, un creux, une incomplétude. La famille, rappelons le est le lieu où on apprend à contrôler sa jouissance, le père ou son représentant endosse ce rôle. Chacun des parents pourvoie au respect des règles et des valeurs et leur application nécessite de l’autorité.
La loi, auparavant était incarnée par Dieu, le père suprême qui inspirait dévotion et crainte à la fois. La déclivation des valeurs religieuses a entraîné une perte ou un abaissement des principes moraux. La crainte de Dieu a diminué. Le père réel est en déclin dans la mesure où son incertitude est étalonnée par le test ADN sans qu’aucune réflexion ne vienne mette en lumière les répercussions au niveau de la psyché. Le père imaginaire en voie de disparition, le père réel de plus en plus incertain, reste quand bien même le père symbolique représenté par le système économique ; le capitalisme, l’argent. Adoration et soumission.
A l’intérieur de la famille, le déclin du père ou de son représentant qui peut être aussi la mère, l’absence d’autorité va générer quelques conduites déviantes telles les passages à l’acte hétéro et auto agressifs, l’association à une bande, les incivilités à l’école, pour les filles comme pour les garçons. Ce refus de la frustration et de la loi vient corroborer les sentiments de toute-puissance en écho à cette période d’enfance où tout était possible s’agissant de la satisfaction des désirs. De plus en plus au sein de l’école émane la demande de conférence/débat portant sur « autoriser l’autorité. » Qui doit l’autoriser ? Le parent relayé par l’enseignant.
La sévérité de l’éducation d’antan, ce n’est pas si loin, striait de coups de corde les corps, brûlait la paume des mains chapardeuses, dessinait des bottes à l’eau chaude, rossait fesses et bras sans sanction pénale. Le silence des voisins aux attitudes similaires scellait un pacte de connivence. La femme avait en moyenne six enfants. L’homme n’était pas en reste, père ou beau-père, il acceptait le rôle de père fouettard. L’enseignant, figure d’autorité tapait les doigts des dissipés, mettait au piquet et à la porte. L’adulte avec le contrôle social punissait trop, trop sévèrement. La modernité a montré dans les maisons des images éducatives animées de tendresse sans en livrer le mode d’emploi. Des lois remparts contre la maltraitance ont menacé parents et enseignants. Le niveau de vie s’est élevé à la dimension du rêve, la moyenne de la reproduction s’est abaissée à 2,8 enfants. La tradition s’est fondue dans la modernité sans emprunter de passerelle. La société de consommation a brandi le slogan : « Le bonheur pour tous. » Il fallait être aimé sans conditions d’abord par celui qu’on mettait au monde, si précieux, porteur de tous les espoirs.
L’enlacement du juridique, du sociologique, du psychologique a procédé à une désagrégation d’un modèle éducatif sans proposer une méthode de remplacement. L’autorité devenait obsolète et désuète en réaction aussi à un vécu de fesses brûlantes mais surtout pour s’attacher l’enfant agressif, colérique, désobéissant, prouvant l’incapacité du parent à dire non. La culture a aussi transmis cette difficulté à opposer un non de désapprobation, mais face aux adultes. Dire non c’est d’abord être partie prenante du conflit et le gérer. Faut- il de l’audace pour communiquer et instaurer un débat contradictoire ? L’essentiel de la vie en famille n’est pas de l’autorité mais du lien. Tout le monde a quelque chose à dire y compris les parents.
Souvent la famille dysfonctionnelle ne sollicite aucune aide. Les familles à dynamique violente transmettent la violence comme seule réponse au milieu environnant. Des institutions existent. Des spécialistes devraient avoir le devoir d’intervenir avant le moment paroxystique des crises. L’école où l’enfant passe le plus clair de son temps pouvant servir de détecteur.
La question de la jouissance est encore au premier plan dans la violence. Quand le tiers médiateur est défaillant, elle émerge, transgressant la loi. Dans l’édification de la délinquance, il y a intérêt à comprendre comment le sujet se débrouille avec sa jouissance. Comment il peut se passer de père et comment peut-il le trouver au travers d’autres médiateurs que sont les éducateurs. La réussite du projet en institution répond à un critère souvent négligé : l’acceptation de la loi pour les éducateurs dans le sens de rendre compte de ce qu’ils font par des écrits mais aussi par l’acceptation d’une supervision en groupe avec cette référence du père symbolique. Transmission et filiation indispensable à l’aperception du lieu de la jouissance de chacun, lieu de convergence des imaginaires. Désignés comme compétents, substituts de parents carencés, manquants, la confrontation les conduit à une puissance fantasmée d’un pouvoir qu’ils s’arrogent de faire renaître, nourrir, éduquer, jouissance que les autres peuvent leur refuser en les renvoyant à un statut d’étranger, une manière pour les adolescents de s’affranchir de la puissance parentale. A eux de trouver une issue à la conflictualité, de proposer d’autres voies à la haine et à la frustration, d’ajourner la satisfaction pulsionnelle immédiate. Les éducateurs se trouvent par ce biais convoqués au désir d’enfant, enfant imaginaire et fantasmatique, représentations des marques signifiantes par lequel l’enfant est investi dans la psyché des parents. A un moment donné ; ils devront concilier l’enfant imaginaire, l’enfant fantasmatique et l’enfant réel dans une même coalescence. C’est à ce prix qu’un équilibre s’établit, nouant un lien interactif satisfaisant et enrichissant. Les compétences parentales de ces professionnels sont mises en doute. L’exigence de la société d’octroi du statut est due à leur apprentissage d’un métier, comme si leur formation avait comme base cet enseignement.
Être un parent ne suffit pas ! Il faudrait être un bon parent. Ne serait-il pas illusoire qu’un adulte puisse en assurer la permanence sans rupture ou discontinuité, sans faille, sans doute ? Quand les biographies, les échecs, les ratages, la réparation, interfèrent, quand la modernité brouille le permis et l’interdit pavant la voie à des incompréhensions, alors être parent avec ses tripes et son âme n’est plus possible tout le temps. Reste à s’adapter dans un apprivoisement sans fin et surtout beaucoup aimer.