Publié dans Le Progrès social n° 2512 du 14/05/2005
La situation des femmes sur le plan financier s’est considérablement améliorée avec leur accession au monde du travail. Les conditions qui leur sont faites sur ce plan n’atteignent pas encore en égalité celles des hommes même si le slogan : « A travail égal, salaire égal » leur rebat les oreilles et muselle une lutte qui pourrait être initiée pour un changement durable.
La garde d’enfants, les activités de nettoyage, les emplois d’exécution de type administratif, les emplois liés à la vente constituent une part très importante de l’emploi féminin. En dehors de ce faible niveau de qualification, les femmes sont majoritaires dans deux types de profession intermédiaire, les infirmiers et les instituteurs. Elles occupent en plus grand pourcentage les postes à temps partiel dont la progression est à mettre en relation avec les charges familiales (trois enfants et plus.) Cela ne veut cependant pas dire que le temps partiel correspond à une demande sociale ; il est peut être accepté faute de mieux.
Etre femme et mère imposent des contraintes de labeur quotidien s’agissant des tâches domestiques et de l’élevage des enfants reconnus comme un surcroît de travail, augmentant la pénibilité des occupations chez celles qui ont des activités professionnelles extérieures, mais acceptées comme « naturelles » chez une catégorie silencieuse : les mères au foyer. Ces dernières naviguent dans la diversité des conditions entre choix et obligation, état provisoire, conjoncturel ou ad vitam aeternam, qualité socioprofessionnelle du conjoint, isolement ou présence familiale.
Les mères au foyer par obligation n’ont en général pas un niveau scolaire élevé ; leur absence de diplôme ne favorise pas l’obtention d’un emploi dans un département où le taux de chômage dépasse les 25%. Celles qui ont un passé professionnel, dont l’interruption de travail pour cause d’incompatibilité entre continuité professionnelle et vie familiale, ou pour des raisons liées aux conditions de l’emploi, adoptent ce statut, vivent cette période comme une coupure momentanée, a l’instar de celles qui au chômage espèrent une reprise d’activité salariée. Celles enfin femmes d’époux cadres ou de professions libérales dont l’aisance économique autorise ce choix, ne sont pas tellement éloignées des pratiques, d’attitudes, de modes de pensée des deux autres si ce n’est que la différence des revenus permet l’agrément de loisirs de caste.
La journée ordinaire de la plus tôt levée commence par la préparation du petit déjeuner et la confection du goûter de dix heures par souci d’économie. Le transport des enfants, à pied, en bus collectif, en voiture doit être assuré. Les tâches domestiques ne peuvent souffrir de négligence : la chasse à la poussière, le linge « escampé », l’organisation des repas, les allers retours de l’école à la maison( la cantine scolaire est déjà onéreuse pour deux enfants), les courses seule ou avec l’époux sont orchestrés afin que personne n’ait de reproches à formuler : « Mais que fais-tu toute la sainte journée ? » Les allusions à un certain hédonisme, au repos perpétuel de la part des travailleuses qui évoquent les difficultés à concilier métier et maison mais qui se trouvent un temps pour une activité sportive ou un loisir en rapport à leur épanouissement personnel, sont ressenties comme des gifles cinglantes et de surcroît injustes par celles qui mettent un point d’honneur à briquer toutes les encoignures, à astiquer les meubles et les chaussures, à faire briller les faitouts aux éclats aveuglants sous le dardement du soleil, ne volant au temps de ménage que quelques imitations de pas de salsa devant la télé/rêve. Quel délice de pouvoir tournoyer en couple dans une école de danse, de mettre en valeur sa cambrure de rein, le galbe de ses jambes. Tout cela a le prix de l’impossible. L’argent du mari sur le compte commun quand il existe, n’acquiesce à aucune fantaisie. Une gestion stricte et rigoureuse de l’argent du ménage donné le plus souvent à la fin du mois fait l’objet de triturations mentales incroyables. Ne pas quémander ni pour les enfants ni pour soi. Une dépense imprévue occasionne le rappel des limites de la bourse et la proposition de changement de main du gestionnaire. La méfiance et l’avarice mènent à l’extrême comme la pose d’un cadenas sur la porte du réfrigérateur ou l’appareil téléphonique emporté chaque jour de la semaine. Beaucoup de femmes au foyer désirent faire du shopping un moment de détente et de plaisir, à flâner, juste contempler le dehors en s’accordant un temps à soi. La rareté des loisirs tient du fait que la fatigue accumulée des tâches domestiques ne favorisent pas la fréquentation régulière d’une salle de sport ou d’un club. L’obligation de l’horaire matinal après avoir déposé les enfants à l’école n’est pas très stimulante, et le soir un mari crevé et préoccupé ne prendra pas le relais du nourrissage de la progéniture et le sien, ni celui du lavage de la vaisselle et du rangement de la cuisine. Il est tellement agréable d’être accueilli par une femme en sortant du boulot qui conserve la prédominance de l’aide au travail scolaire quand bien même l’avancée au collège la met face à ses lacunes. Elle est présente, contrôle les devoirs, assure un rôle d’accompagnement en toute circonstance.
Elle choisit mal son jour quand elle réclame le droit de se faire inviter au cinéma par cet homme qui couche dans le même lit qu’elle ou s’assoupit devant la télé, las, vanné : « Demain ou un autre soir. » Quand il se résigne à céder à l’insistance, le film n’est plus à l’affiche. Certaines nuits la contrainte sexuelle devient un marchandage, un devoir conjugal forcé. Le refus déclenche la suppression des extras qui améliorent l’ordinaire, menues gâteries pour les enfants, humeur au beau fixe. La bouche fermée sur une bouderie prolongée à quelque trente jours est une épreuve qu’aucune suppliciée ne voudrait voir revenir. Ce souffle apporté de l’extérieur est vital, il correspond au besoin de communiquer, d’échanger avec un partenaire qui a une vie sociale dont elle est exclue : le travail et les copains en plus. Alors une épouse au corps convoité a trouvé une solution acceptable pour son amour-propre : la satisfaction d’une petite gourmandise sexuelle payable en liquidités, au montant décidé par elle. Paraît-il que les jours de surenchère l’excitation du mari est à son comble.
L’argent dans les ménages est souvent un élément de discorde ; mais quand un seul conjoint est pourvoyeur de ressources, il exacerbe les conflits. Les familles de classe sociale défavorisée sont dans une situation de vulnérabilité, quelque fois en dessous du seuil de pauvreté en ce cas là. La rupture du couple, l’isolement des mères sans passé professionnel constituent un risque de précarité important.
A considérer la somme des tâches fournies par les mères au foyer qui font montre d’une grande ingéniosité( couture, confection de confiture, bricolage, jardinage etc…) pourvoyeuses d’économie, il faudrait leur permettre l’accès direct à des paiements sous forme de salaire ou sous forme d’allocation, leur ouvrant des droits à une reconnaissance de travailleuses (infatigables) méritoires. Le peu d’avantages que procurent la sieste ou la surprise du « pijé zié » devant le feuilleton télé l’après-midi, les rares heures de lecture, l’évitement des embouteillages et les horaires fixes( quoique avec l’école), les « makrelaj »de 10heures en touillant le faitout, en regard de la fatigue accumulée à entretenir la maisonnée, l’habitat, de façon impeccable, à mettre les deux dans la balance, fait pencher un peu plus du côté des inconvénients. Si des femmes se sentent à l’aise, revendiquent cette condition comme celles qui ont un bridge trois après-midi par semaine ou jouent au tennis régulièrement, elles ont le droit de ne pas vouloir qu’on les honore d’une pensée une fois par an au mois de mai, le jour de la fête des mères.