Parler de secte de nos jours n’est pas si simple qu’il y paraît, tant les frontières sont infimes entre ces nouveaux leaders auto proclamés qui par voie publicitaire se désignent comme thérapeutes, managers ou coachs (à la mode depuis cinq ou six ans) et les gourous. Une définition simplifiée l’inscrirait dans le registre d’un groupe ou d’une organisation à connotation religieuse ou pas, dont les croyances et les comportements sont quelque fois en marge de la société. Elle est construite de façon pyramidale avec un chef hiérarchique auquel tous ses membres doivent se soumettre sous peine de sanction. Appelé encore gourou, le chef maintient sous contrôle les personnes par des techniques de manipulation mentale allant jusqu’à la dépersonnalisation et à la dépossession de leurs biens immobiliers.
Des religions sont accusées d’être des sectes parce qu’elles ne sont pas reconnues dans le processus officiel de l’église catholique. A ce propos, la mémoire sélective n’a pas retenu la persécution subie par le christianisme au temps de la Rome Antique, quand ses membres étaient envoyés dans les arènes combattre les lions. Oubli aussi du rejet du protestantisme justifiant le massacre de la Saint Barthélémy. Et la désignation de communautés religieuses bâtisseurs de temple et d’église comme danger apparenté à une secte, laisse entrevoir la volonté de déprécier tout ce qui échappe au contrôle de l’épiscopat.
Le système juridique français ne s’intéresse pas aux sectes mais aux dérives sectaires c’est-à-dire « aux pratiques, aux méthodes, aux actes et aux comportements émanant de tout groupe ou de tout individu qui porte atteinte à l’ordre public, aux lois et libertés fondamentales et à la sécurité ou à l’intégrité des personnes par la mise en œuvre de techniques de sujétion, de pressions, de menaces ou par de pratiques favorisant l’emprise mentale et privant les personnes d’une partie de leur libre-arbitre. » La crise sanitaire favorise les dérives sectaires par le biais de stages survivalistes (apparus lors de l’état panique engendré par la bombe atomique), par la création de nouvelles églises et de QAnon un mouvement apparemment sans leader, qui étend ses ramifications jusqu’à Outre-Mer par le truchement de Internet.
Le développement du phénomène touche toutes les catégories sociales, les enfants et les adolescents, les femmes victimes de violences sexuelles. Les demandes portent en priorité sur la santé et le bien-être pour des prix dépassant tout entendement pour un coaching individualisé. Quelques églises flairant la bonne aubaine durcissent les pensées par un retour en arrière tels le refus de l’égalité homme/femme, la stigmatisation de l’homosexualité et le salut par la conversion. Des personnes qui ont mangé du boudin noir une grande partie de leur vie, en toute intolérance exhorte les autres à ne plus commettre ce péché grave. L’apparition de l’Eglise Universelle du royaume de Dieu et de son prédicateur sont caractéristiques des idées propagées de cette division du peuple : d’un côté les élus de l’autre les ignorants exposés à la contamination virale sans protection de leur Dieu. L’inquiétude, la peur, ont orienté les imaginaires à la recherche de réassurance et de sécurité.
Afin de mieux cerner le problème, quatre critères choisis de façon arbitraire relevant de la seule logique de l’observation du degré d’emprise sur les adeptes, sont retenus :
- La rupture avec le milieu familial
- L’accaparement financier
- Les abus sexuels
- Le recrutement.
Les sectes existent dans tous les pays et n’ont une image négative que lors de faits insupportables tels les suicides collectifs. Que l’on se souvienne du Temple du Peuple au Guyana en 1978 dont le chef religieux Jim Jones a provoqué un suicide collectif avec 206 enfants dans le groupe par absorption de cyanure. Puis en Ouganda, le 18 mars 2000, 500 adeptes d’une secte apocalyptique Kanungu brûlés vifs dans leur église et la découverte plus loin d’un charnier de 500 personnes. Les organisations de cette ampleur ne peuvent plus s’exposer au grand jour au risque d’être démantelées. Alors, un petit noyau composé de deux ou trois personnes, exerce une emprise sur un sujet qui par effet d’entraînement offrira sur un plateau sa famille, ses amis, ses connaissances.
Il suffit parfois d’un seul individu pour créer une secte. En Guadeloupe en 1970, Michel Gamiette enseignant de son état, fonde une communauté Mormone composée de 13 femmes qu’il déclare être ses épouses. Le prophète de Goyave dénoncé pour coups et blessures et extorsion de fonds a passé quatre mois à la maison d’arrêt de Pointe-à-Pitre. Lors de son procès, les autres femmes sont venues témoigner en sa faveur et il a été déclaré non coupable.
Les sectes sataniques, lucifériennes (avec des rites sacrificiels), celles qui disent purifier l’eau, guérir les maladies par imposition des mains, toutes, maintiennent sous contrôle avec deux objectifs, toujours les mêmes : pouvoir et soumission.
La méthode de l’embrigadement
La base de l’adhésion personnelle à un mouvement communautaire consiste à faire miroiter l’unité, l’espérance et le salut indispensable à la vie. Trois phases sont nécessaires pour mener à bien le projet.
- La phase d’approche est sous-tendue de promesses ; offre de développement personnel, de spiritualité ou de thérapies, de bonheur, d’amitié fraternelle, de guérison par des médecines parallèles et indolores. Le mouvement sectaire va vers la personne par le biais du bouche à oreille, du site internet, de tests de personnalité gratuits, de prospectus publicitaires dans les boîtes aux lettres
- La phase de séduction est une démonstration du savoir-faire vantant les mérites supposés de la méthode, appuyés en cela par la présentation de gens satisfaits et épanouis. Les invitations types randonnée sur les lieux à air purifié, servent à rendre crédibles les pratiques d’un retour aux sources autant que les rencontres dans une maison familiale chaleureuse. Gagner la confiance, mettre à l’aise mais aussi intriguer dans le cas de la thérapie des anges où les arrivants assis par terre en rond, un chef spirituel de type hindou psalmodiant des sons ponctués de bruits de clochettes, sature l’ouïe quand le bol chantant ne libère pas un souffle d’outre-tombe.
- La phase de soumission est un continuum. Afin de mieux asseoir l’emprise, la coupure avec l’environnement familier dans un premier temps, livre corps et âme la victime. Deux ou trois fois par jour, la narration des actes accomplis, le récit des heures, la description de l’alimentation et les conseils de méfiance réitérés participent au lavage de cerveau. De plus, les prédictions de ce qui doit arriver et les stratégies d’évitement préconisées, cautionnent le don de double vue du gourou. Les rencontres obligatoires pour la prise en charge, débouchent sur des actes sexuels combien même la différence d’âge se situe dans un écart de plus de quarante ans. La personne est dans une totale dépendance. Ces techniques de conditionnement surviennent dans une période de fragilité.
Les flatteries, le plein épanouissement dans le groupe nourrit une expérience de redécouverte de soi. Puis l’activation de la peur à l’annonce de catastrophes personnelles, les séminaires avec soumission à l’autorité, les exercices physiques extrêmes, la nourriture insuffisante, la privation de sommeil, érodent les velléités de résistance. Le pire, sont les confessions publiques, l’auto-accusation, le chantage, l’instillation de phobies et l’impossibilité de poser des questions. La vie sexuelle est régentée, l’inceste, la prostitution (secte luciférienne et satanique), les mariages ou séparations imposées sont les pendants des exigences financières allant jusqu’à l’endettement Parfois la confiscation des papiers d’identité, l’attribution d’un nouveau nom, privent de liberté. Des mères offrent au gourou filles et garçons ou ferment les yeux par crainte du châtiment ou du rejet.
Profils des adeptes
La personne vulnérable ou en situation de vulnérabilité est à la recherche d’un espoir. Le deuil, le chômage, l’échec, les difficultés professionnelles, les ruptures sentimentales, la maladie grave, la vieillesse et la solitude l’entraînent dans un aveuglement douloureux et sans fin. La lueur d’un accompagnement vivifiant, d’une famille accueillante, l’intégration à un groupe sont considérés comme une porte de sortie et une solution au mal-être : besoin d’avoir foi en quelque chose. Puis cette machination accrue de l’annonce de l’apocalypse, a favorisé une préparation depuis l’année 2000 autant que la fin du monde prédite le 21 décembre 2012. Echapper à ces prédictions en se mettant à l’abri, sous la protection d’un être invincible capable de dominer les éléments perturbateurs et devenir un membre du peuple élu qui sera sauvé, est sécurisant. Fragilité et peur sont des ingrédients facilitateurs du choix d’un guide qui se présente comme un décideur à ceux qui étaient déjà sujets à la dépendance.
Puis la mode est au jeûne sous forme de séminaires mono diète ou jeûne intégral associés à la marche, à la bio respiration. Semblable à une épreuve initiatique, dominer sa faim jusqu’à mettre en danger sa santé, l’adepte ne se sent pas en situation victimaire.
La vanité des parents confiant aux thérapeutes de l’Ange Kryeon la prise en charge de leurs enfants dits indigo qualifiés de supérieurs avec en plus une mission à accomplir, n’évalue pas le risque d’un avenir à forte connotation de toute-puissance de petites personnes en voie de socialisation.
Les enfants n’ont pas le choix, ils sont des cibles élevées dans le contexte de la communauté qui permet d’assurer l’avenir du mouvement. Les parents sont sous influence et en pleine immersion. L’adolescent qui grandit dans la secte est souvent séduit par un discours absolu de transgression de la liberté. Son comportement en cas de contradiction peut être violent. Face à l’augmentation du nombre de praticiens et de techniciens à visée thérapeutique et de formation débouchant sur des qualifications non validées, cette ampleur psychothérapique a fait l’objet d’une réglementation par la commission gouvernementale dite loi Accoyer.
Une enquête en France avance que 60% des malades de cancer ont recours à des médecines dites alternatives et que 4.000 psychothérapeutes auto proclamés n’ont suivi aucune formation et ne sont inscrits sur aucun registre. Des médecins sont en lien avec la mouvance sectaire. Internet est une vitrine de choix. En février 2011, Flot gourou canadien proposait de vivre une relation divine avec lui à travers l’informatique parce qu’il était prêt à entreprendre une ascension finale vers un nouvel univers : une incitation au passage à l’acte.
Profil du gourou
Convaincu d’être un dominant, un être investi d’une mission, sa force de persuasion réside dans la manipulation des personnes prêtes à devenir des sujets soumis à son pouvoir. Sa mégalomanie est souvent doublée de paranoïa qui s’origine dans un passé de frustration, de brimades et d’abus de tous genres.
Quelques-uns souffrent de psychose que camoufle une toute-puissance qui alimente le projet de bâtir un empire. Quand arrive la chute ou la destitution, la dépression sature la psyché d’idées suicidaires qui englobent le groupe : le suicide collectif est un suicide altruiste. Ne pas supporter que les autres qui lui appartiennent souffrent de sa mort, les convaincre de mourir ensemble est pour lui un ultime acte d’amour. La solution finale où personne ne lui survivra.
Le travail de dépersonnalisation, d’exploitation financière ne sera jamais reconnu comme amoral. La justification se trouve dans la parade perverse d’une décision du bonheur d’autrui. Au-dessus des lois humaines, certains se prennent pour Dieu.
L’étude de la construction psychique de ces meneurs et l’analyse de leur personnalité découlent des formes de leurs discours, et du choix de leurs méthodes. Par exemple, Michel Gamiette était le père fantasmatique de tous les enfants de la communauté qui dormaient dans un dortoir loin de leur mère biologique. Les femmes devaient s’occuper des tout-petits comme dans les institutions de placement : puéricultrices, éducatrices, pas mères réelles, l’attachement n’étant pas autorisé. Seul le fils du gourou rabatteur, à l’occasion, détenait le privilège de séjourner dans ce lieu clos. La désobéissance justifiait l’enfermement dans la prison/poulailler allant de quelques heures à une journée et une nuit. La jalousie n’avait pas droit de cité quand le maître choisissait une femme pour égayer son sommeil.
Déceler l’influence sectaire
Un environnement attentif peut déceler l’emprise. Le comportement de la victime change par la mise à distance de sa famille, la modification des habitudes alimentaires et vestimentaires, le refus des soins ou l’arrêt des traitements médicaux, l’engagement exclusif dans le groupe, la soumission absolue, le dévouement total au dirigeant. Quand survient l’embrigadement des enfants, les atteintes visibles à l’intégrité physique et psychologique, le manque de sommeil, signalent qu’il faut agir rapidement. De surcroit le constat d’un engagement dans un processus d’endettement, les legs, les donations au groupe, les exigences financières de plus en plus importantes doivent alerter. L’emprise oblige la victime à faire démonstration de la nécessité de son libre arbitre et se défend d’être embrigadé. Son aveuglement est total. Des parents ont du littéralement enlevé une mère de famille qui avait abandonné son domicile (elle était mariée), et vidé son compte bancaire. Une psychothérapie au long cours lui a permis d’aborder l’évidence de son syndrome de Stockholm (adoption du point de vue de l’agresseur).
Que faire ?
Porter plainte assez rapidement à la gendarmerie. Puis saisir la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), adresser un courrier aux correspondants des dérives sectaires en préfecture. On peut aussi en aviser le procureur de la République si on estime que le danger est réel.
Légalement il y a possibilité de traîner une secte devant les tribunaux pour : refus des lois, abus de confiance, mauvais traitements, non-assistance à personnes en danger, infractions financières et fiscales, incitation à la haine raciale, trafic de stupéfiants.
Mais avant tout, dès qu’un changement est constaté chez une personne, il faut être attentif, écouter son discours et la répétition de certains mots d’endoctrinement.
Fait à Saint-Claude le 6 juin 2021