Publié dans Le Progrès social n°2587 du 11/11/2006
Le plein emploi a toujours été une question préoccupante dans une région où les saisonniers de la canne et de la banane, les « djobeurs », la débrouillardise ont façonné une manière d’être au monde ne laissant pas de place à une organisation structurée de projection dans l’avenir. La gestion financière au jour le jour, le système D, ont imprimé un style de vie aux familles qui se contentaient de rien, sans aides de l‘Etat ni allocation chômage arrivées après 1970, avec pour unique soutien les allocations familiales. Le rêve pour certains était que leur progéniture accède au statut de fonctionnaire de l’Etat. Cela signifiait avant tout de travailler dans un bureau en échappant à l’enfer du soleil, avoir les mains propres comme les intellectuels, bénéficier de la stabilité de l’emploi mais aussi du congé administratif en France tous les cinq ans pendant six mois. La suppression des 40% du salaire était compensée par les allocations familiales payées au même taux que la métropole et bien plus élevées qu’aux Antilles. De surcroît, par fret maritime, les bagages supplémentaires étaient acheminés puis livrés à l’adresse métropolitaine. Pour bénéficier du cumul des six mois, le congé annuel était ramené à dix jours par an, l’épuisement professionnel refusant d’atteindre cette couche de travailleurs dont la semaine était de 37 heures alors que les autres étaient assujettis à celle de 48 heures. L’alignement progressif l’étira à 42 heures puis à 40 heures quand cette diminution se généralisa, enfin de 39 à 38 jusqu’aux 35 heures d’aujourd’hui. Les métropolitains avaient à cette époque un régime différent et des privilèges encore plus grands, remis petit à petit en question par les gouvernants successifs, tandis que le congé administratif a fait l’objet d’une suppression pour les Antillais qui n’ont pas ressenti cette mesure comme une perte, le voyage présentant plus d’inconvénients que d’avantages : étroitesse de la location, vivacité des enfants martelant le plancher, scolarisation provisoire et difficultés d’insertion au retour. Les enfants par contre vivaient comme une épopée ce déplacement, parlant en abondance des nouveautés alimentaires, vestimentaires, s’essayant à un autre accent que le leur trop traînant dans le nouvel espace.
Le fonctionnaire dont on connaît mieux les caractéristiques se retrouve au sein de trois institutions : la fonction publique d’Etat ( 49,1%), la fonction publique territoriale ( 39,8%), la fonction publique hospitalière ( 11,1%.) Les agents de l’Etat travaillent dans les différents ministères : Education Nationale, Economie et Finances, Intérieur DOM-TOM, Equipement et Logement, Justice, Agriculture Affaires sociales/ Santé/ Travail, Culture et autres ministères civils ( sources Insee.)
La fonction publique recrute par voie de concours et autorise des promotions internes par ancienneté ( de moins en moins), par formation qualifiante. Le premier employeur public est l’Education Nationale avec des taux horaires diversifiés selon les catégories allant du professeur des écoles à celui des universités en passant par le professeur de collèges et de lycées et variant de 30, 19, et O8 heures hebdomadaires non compris le temps de préparation des cours. Enseigner devient une profession de plus en plus stressante vu la progression des incivilités et la montée des violences scolaires. Cependant rien n’interdit à ce corps de métier de demander à son organisme de tutelle la mise en place d’une formation lui permettant d’y faire face en ayant un comportement adapté aux situations les plus courantes. L’IUFM ( l’institut de formation des maîtres) dont l’existence est reconnue doit servir à cet effet.
Quel regard est porté sur cet employé de la fonction publique qu’il soit d’Etat, territorial ou hospitalier par une population de 450.000 habitants comprenant 26% de chômeurs, quand on sait que 70.000 personnes bénéficient du RMI et que103.300 âmes reçoivent des aides, c’est-à-dire que 1/3 des Guadeloupéens n’ont pas accès à l’emploi et vivent de subsides en attente de jours meilleurs ? La population active n’a pas forcément la sécurité de l’emploi contrairement à ce que disent les chiffres soulignant une vitalité économique en considération du nombre de création d’entreprises ( plus qu’en France) sans énoncer l’envers de la médaille, la disparition de beaucoup d’autres et en omettant surtout de décrire la taille ( une ou deux personnes) et les caractéristiques des nouvelles créations : vente d’agoulou, de grillades, de jus de canne, entreprises ambulantes aux abords des plages.
Dans un tel contexte la personne qui se réveille le matin pour se rendre sans angoisse du lendemain à son poste de travail ne saurait contester les mauvaises conditions de travail ni désapprouver les décisions contraires aux lois de la fonction Publique, car il existe des textes de lois. Dans un même temps le prestige du salaire subit une déclivation à le comparer à des catégories telles les dockers, les grutiers du port et les entrepreneurs en bâtiments. Les effets constatés de la confiance accordée à ce salaire sûr, par les banques et les prêteurs, permettent un accroissement des biens de consommation qui excitent l’envie et la jalousie. « Vivre au-dessus de ses moyens » est une phrase qui s’accroche à l’être fonctionnaire. D’aucuns savent pourtant que des revenus supplémentaires viennent d’une économie parallèle : étables, élevages de bovins, de poulets, production d’agrumes, exploitation maraîchère quand ce n’est le double emploi dans le privé. A aborder le sujet de la satisfaction des services rendus, le déferlement de paroles éclabousse les employés assimilés aux institutions. La lenteur administrative rejaillit sur l’exécutant qui est accusé d’être toujours en retard le matin et pressé de s’en aller le soir, qui perd les dossiers ou oblige à revenir parce qu’il manque une pièce non réclamée au préalable. Il est ressenti comme un rond-de-cuir peu soucieux du besoin des autres, de mauvaise humeur autant que de mauvaise foi. Aucune contestation n’est possible comme si l’autoritarisme faisait démonstration d’un savoir-faire non révisable. L’explication donnée rapide, à peine articulée doit être assimilée sinon elle donne droit à une répétition excédée ; yeux et bouche en accord avec l’irritation. L’accueil est un élément primordial pour celui qui reçoit le grand public, le sourire en fait partie, mais il ne semble se dessiner que sur le carton du Conseil Régional marqué « bonjour » face au demandeur de services : il suffirait de le retourner en cas d’insatisfaction. Le téléphone retransmet après maintes sonneries une voix monocorde sans formules de politesse, comme dérangée dans ses occupations importantes : « une voix endormie » qui s’enfle dans la discussion, qui s’envenime jusqu’à raccrocher au nez de l’impudent contestataire.
Les nombreux griefs qui ressortent de l’enquête méritent qu’on y porte correction par le biais de formation sur l’accueil, le traitement des dossiers, l’établissement de liens avec la clientèle et l’information médiatisée du travail institutionnel. Qui fait quoi, comment et dans quels délais. Dire son métier, en parler en organisant des journées portes ouvertes afin de démontrer les difficultés de la tâche, le manque de moyen matériel et humain, permettraient de réconcilier la fonction publique avec ses usagers. A cette époque de grande concurrence, la publicité vante les mérites d’organismes privés susceptibles de tenir compte des besoins de chacun en y apportant des solutions réelles et immédiates alors que la Fonction Publique se soucie peu de son image de marque. Se pense t-elle incontournable ou définitivement engluée dans une indigence dont elle a du mal à se défaire ? La performance, l’accréditation/qualité, l’accueil sont des atouts majeurs qu’elle ne saurait ignorer.