Noël en Guadeloupe est une fête empreinte de socialité. L’air en cette période charrie des promesses de réjouissances, le vent transporte les échos des cantiques hors les voitures, faisant bénéficier les piétons de l’allégresse des chants.
Cette année, les avents semblent souffler à minima, ou alors serait-ce la morosité qui imprègne la nature de la déception due à l’interdiction de se rassembler. Le taux de contamination n’a pas suffisamment baissé, le coronavirus circule encore. Il n’y a pas de chanté noël. L’avènement d’une naissance annoncée, ne sera pas attendu durant ces soirées où chanter, manger et boire, permettait aux groupes de se réjouir jusqu’à la date du 24 Décembre, de l’arrivée d’un sauveur nommé Jésus. Ces chanté noël dans une parfaite programmation animent les quartiers où sans invitation aucune se retrouvent voisins familles, amis en liesse. Le partage est de mise, les plats et les boissons se déposent tels des offrandes sur la table de l’accueillant. Les kas ont une résonnance particulière et les pas des danseurs occasionnels ne dessinent aucun sourire moqueur sur la face des connaisseurs.
Ces quelques soirées sont des occasions de valoriser les traditions culinaires, de les faire apprécier aux plus jeunes, de raviver les souvenirs des ainés quand ils allaient de porte en porte, s’ajouter aux familiers. L’accueil était et est encore de bonne facture. Il n’y a pas de chanté noël. La créativité a tout de suite trouvé un palliatif à cet interdit. Un petit nombre de gens, dans le respect des gestes barrières, instruments de musique portés, à pied, a parcouru le quartier, mettant aux fenêtres les habitants ravis d’être le chœur antique, donnant de la voix. Semblable à la sérénade d’antan, où l’aimé se faisait accompagner de complices sous la fenêtre ou devant la porte de l’élue de son cœur, le ciel a été témoin d’un échange émouvant, refusant l’oubli du noël de 2019. Une manière de surmonter la nostalgie.
Le 24, le réveillon n’assoira à la table que 6 personnes, à l’intérieur. L’habitat type maison ou villa, avec un espace en plein air, un peu plus. Les grands-parents se doivent d’être sous haute protection et les discussions incessantes tournent autour de : faut-il leur dire en les ménageant que c’est pour leur bien, faut-il les inviter et vivre dans l’angoisse une septaine entière s’assurant qu’ils n’ont pas été contaminés, faut-il inviter les grands-parents maternels et pas paternels ? Les visages se ferment. La voisine seule et âgée qui avait un couvert à table depuis des années ? Peut-on aborder les sujets qui fâchent ! Les familles ne sont pas sorties de leur interrogation. Chaque jour le dilemme reste entier à se demander parfois s’il ne fallait pas appeler le secrétariat de la préfecture à l’aide afin de ne pas commettre d’erreur.
En permanence ce virus pollue les pensées, impossible de l’oublier. Les discussions concernant ces préoccupations d’invite familiale ont contribué à faire émerger ce besoin de lien quelque peu occulté dans la posture citadine où l’éloignement de la parentèle est mieux supporté. Moins dépendant de la proximité encore vivace à la campagne, le coronavirus rappelle soudain que l’indépendance à laquelle se cantonnent quelques-uns n’est que relative et superficielle. Il suffit d’un interdit pour mesurer l’étendue de la force de ces liens oubliés quand tout va bien dans le meilleur des mondes.
L’appartenance est un système d’interactions et le groupe, le collectif est nécessaire à la vie. Solidaire les uns des autres, se protéger en protégeant l’autre est une des leçons majeures qu’enseignent ce virus. Reliés par une chaîne signifiante les humains font partie d’un tout. Et combien même, celui qui s’isole devant son ordinateur pour seul vis-à-vis, à un moment donné s’inquiète de l’existence d’autrui. La seconde leçon est celle de la prise de conscience de la mort. Tous mortels. Cette éventualité de la mort, la sienne et aussi celle de l’autre autorise, l’envie de sa présence presque physique comme pour conjurer ce malheur collectif, comme pour voler à la disparition future ces instants ou le regard contemple encore ceux qu’on aime.
Au soulagement de n’être pas reconfiner comme les départements en France a succédé une crainte persistante entretenue par madame et monsieur la menace presque chaque soir au journal télévisé qui agitent le spectre d’un enfermement si la population n’arrive pas à faire montre d’une grande sagesse. L’accusation est claire. Si les clusters surgissent, la culpabilité doit étouffer tout le monde. A asséner souvent, trop souvent ces chiffres limites, on peut obtenir l’effet contraire : une insensibilité, une absence de réaction aux stimuli insupportables comme pour les enfants à qui on promet une fessée qui ne vient jamais. Ils continuent leurs bêtises tranquillement.
Les apparitions répétitives ont amené au rejet de ces deux annonceurs même s’ils se trouvaient sur les écrans pour d’autres raisons : les fuites d’eau ou l’état d’édification du nouveau CHU. Personne ne s’invite de son propre chef sur un plateau télévisé ou dans un reportage, et jamais on ne voit sur France 2 ou TF1(hormis les sommités médicales et scientifiques) des représentants de l’Etat. Cette remarque est formulée par un grand nombre qui s’interroge sur cette évidence. De temps à autre un tableau avec des chiffres aurait suffit à inciter à la plus grande prudence. Tenir en haleine des personnes déjà fragilisées par un confinement, qui commencent tout juste à surmonter les angoisses, les peurs, le stress post traumatique, des personnes démunies sur le plan financier, social, sans perspective d’avenir, ne paraît pas adapté à une éthique conforme à la santé et au bien-être.
La crainte de la propagation
Les réseaux sociaux, les conversations, sur toutes les lèvres les mots s’indignent de l’encouragement à profiter des tropiques pour des vacances de rêve. Les raisons économiques passent en arrière-plan. Ce qui intrigue c’est la décision d’orienter les touristes vers la Guadeloupe, alors qu’ils ne peuvent s’éloigner de 20 kilomètres de leur domicile en France. Confinés, ils bénéficient d’une grande liberté de circulation où l’eau depuis des années manquent dans les hôtels. Que l’on se souvienne des plaintes réitérées des personnes n’ayant que pour seul trou d’eau la piscine, un baril et une casserole en guise de robinet pour se laver les mains dans un restaurant. Le tarif des billets d’avions sont alléchants et pour cause. Aucune précaution particulière comme au début de la pandémie n’est prévue, ni isolement, ni septaine.
La machine à penser commence à s’emballer. Pourquoi ? Les ruminations occasionnent d’anciens griefs. L’empoisonnement à la chlordécone dont le procès est espéré est évoqué, la pantalonnade autour de l’eau est exacerbée, les sargasses sans solution définitive empestant l’air de matière volatile mauvaise pour le système respiratoire, la pénurie de lits de réanimation et de masques, toutes ces choses perturbent l’entendement. Flotte sur l’île un vent de paranoïa qu’alimente la crainte d’être contaminé après tant d’effort. Le malheur était venu de la croisière, cette fois il va s’accentuer avec l’arrivée des touristes. Cette affiche si réaliste d’un homme qui claironne que chacun gagnerait à rester chez soi parce qu’il n’y a pas de festivités, ni noël, ni jour de l’an au soleil, est très évocateur d’une réticence à accueillir les arrivants de gaité de cœur.
Les consultations pour attaque de panique commencent à être ingérables. L’attaque de panique consiste en des battements de cœur générant une sensation de mort imminente. Le sujet suffoque d’angoisse et les médicaments n’arrivent pas à endiguer ce tourment. Le murmure évoque la peur du retour du covid 19, la peur du re confinement, la peur de ne pas avoir un lit en réanimation parce que le choix préférentiel ne l’avantagerait pas. Pourquoi pas elle ? Comprenne qui voudra ! (La pensée paranoïaque). Le processus est enclenché, la Guadeloupe vacille sous l’ère du soupçon, le ver est dans le fruit. Que mettre en place pour éviter que ne se propagent en masse ces idées qui ne sont pas nouvelles, mais qui teintent de véracité un fait réel ? Comment évaluer leur degré d’implantation au sein de la population et son incidence sur les comportements ?
Le doute, les incertitudes, mènent à la désespérance surtout quand on ne peut convaincre du bien-fondé de l’orientation touristique conseillée, entendue à la télé de France. Comment demander aux gens d’avoir confiance dans les gouvernants face à tant d’injonctions contradictoires. La Région de Guadeloupe est-elle en mesure de rassurer, de démontrer qu’il n’y a aucun risque majeur à la venue de ceux qui ont envie de partager le soleil et ses bienfaits ? Cette crise sans fin a pour caractéristique de mélanger le pessimisme à la colère, après les inondations du mois dernier vivaces dans les consciences, elle dévoile sous tous ses aspects un psychisme à vif.
Joyeux Noël à tous
Fait à Saint-Claude le 13 décembre 2020