La traversée de Paris début juillet est des plus difficultueuse en raison des nombreux travaux qui causent un ralentissement généralisé. Le métro qui d’habitude autorise le voyageur à conserver sa ponctualité subit des arrêts de durée variable sans explication systématique. Le micro à la voix stridente indique parfois qu’une panne électrique en est la cause. Le taxi est forcé d’emprunter des chemins de traverse, tant le franchissement des ponts est long, ce qui double la distance à parcourir autant que le prix habituel de la course. Après les JO, les bords de seine seront interdits, résidents et visiteurs seront priés de présenter leur QR code. Aucune frénésie populaire à l’approche d’un tel évènement. Les terrasses touristiques bondées d’étranger en cette saison et leur autorisation éphémère indiquée sur les tables occupant les trottoirs, jusqu’à 23 heures30, attendent les visiteurs.
Rue Bobillot, de part et d’autre des trottoirs, les personnes d’agglutinent, contenues par toute une armée entière de soldats, mitraillette au poing. Aucun véhicule ne circule. Figés comme des statues, les humains n’osent même pas traverser. L’image d’un danger terroriste s’exprime dans les regards inquiets des ignorants de l’évènement. On s’immobilise, on s’enquiert auprès de la personne collée à soi de ce qui se passe. On chuchote presque religieusement que la flamme empruntera ce parcours en direction de la place d’Italie. Puis des clameurs au loin, des cris de joie, des applaudissements arrivent avec les motos officielles, des voitures ordinaires où sont assis des bénévoles suivies d’autres porteurs du même uniforme à pied. Les bras des spectateurs se lèvent quand apparaît la flamme portée par un athlète entouré de quatre autres. Au pas de course, elle est passée, on l’a vu, elle est le signe précurseur des compétitions sportives à venir, dont la dernière en date à Paris remonte à cent ans, c’était en 1924. Quatre ans auparavant (2020) TOKYO organisait les jeux olympiques. Paris est une des seules villes à les avoir accueillis à trois reprises : 1900, 1924, 2024.
Les tracas sont arrivés sous forme de menaces mises à exécution. Les cybers attaques des horaires des trains ont mis en émoi les gares, celle de Montparnasse où les départs de grandes lignes ont été annulés laissant désemparés des voyageurs. Le jeune homme dont le train de Toulouse n’arrivera pas à quai, tournoie sur lui-même, avançant les bras d’incompréhension. Pagaille dans les couloirs où les déviations obligent à sortir dans la rue et à entrer par une autre porte, déboussolant le non parisien sans indication et sans guide. Des rails ont été sabotés arrêtant un trafic sans aucune certitude de reprise à court terme. Piétinement, énervement, envahissement des jeunes contractuels recrutés pour l’occasion du rush des vacances. La capitale frisonne de crainte d’attentat programmé. On jauge son voisin, observe son sac, le détaille comme pour le décrire le cas échéant. Paris hoquète d’anxiété. Pourtant le 14 juillet le feu d’artifice d’une splendeur inégalée, avait fait jaillir les anneaux olympiques représentant les cinq continents, une couleur attribuée à chacun : noir pour l’Afrique, jaune pour l’Asie, bleu pour l’Europe, vert pour l’Océanie, rouge pour l’Amérique, rappelant une alliance pacifique des mondes. 204 nations y participeront. L’occasion de gâcher la fête était trop forte. La reprise en main du système de sécurité a contenu la panique. Le serment des JO rendre le monde meilleur grâce au sport est loin d’être prouvé. Paris regorge de vigiles, policiers, gendarmes aussi nombreux que les phryges, mascottes des jeux, de toutes les dimensions dans les lieux marchands. La coiffe de Marianne, le bonnet phrygien, mariage de la république et de la révolution a été choisi comme emblème des JO 2024.
Le 26 juillet, la pluie s’est invitée à la cérémonie d’ouverture. Les premières péniches transportant sur la Seine les délégations internationales par lettre alphabétique des pays, ont entendu les cris d’accueil et l’enthousiasme des spectateurs qui n’ont pas faibli, malgré le mauvais temps, jusqu’à la dernière, celle de la France, protocole obligé. Près de 7.000 athlètes du monde entier ont défilé sur les bateaux, leur groupe étant proportionnel au développement sportif de leur nation. Haïti à la présence remarquée a maintenu les bras levés. Elle sait que du 26 juillet au11 aout, la France va vivre une période d’exception qu’elle aura en partage. Et tant pis, cette eau qui tombe du ciel ne réussira pas à gêner sa délégation, pas plus que les acteurs des différents tableaux rappelant les époques et les monuments d’un Paris, ville lumière symbolisée par la tour Eiffel. Le spectacle continue. Personnage mythique volant de toit en toit, l’homme masqué porteur de flamme, réalise des sauts fabuleux, incarnant la libre pensée, la liberté, la connaissance, accréditant les valeurs des JO : respect, excellence, amitié. L’impression est forte quand surgit l’incarnation de Sequana, déesse du fleuve et symbole de résistance, sur un cheval métallique galopant sur l’eau. Le cheval, pégase dans la mythologie grecque, est la représentation de l’élévation des désirs essentiels de spiritualité opposée à la banalisation et à la perversion. Il est synonyme de liberté, de puissance et de beauté. Il peut être vu jusqu’au 8 septembre de 10 heures à 19 heures dans la cour de l’hôtel de ville, ainsi que l’armure impressionnante de la cavalière.
Chants et danses ont participé à l’enchantement. Des stars, des icones du sport, l’arrivée de la flamme par étapes donnaient une tonalité particulière à cette cérémonie. L’hymne national interprété par la talentueuse guadeloupéenne, Axelle Saint-Cirel avait contribué à soulever une ferveur patriotique, cela n’a pas suffi. Un couac est survenu lorsque à 22h55 le président de la République, Emmanuel Macron, a proclamé l’ouverture des jeux olympiques, il a été sifflé. Les français savaient que le statu quo politique était relatif et que les remous étaient à venir.
Un couple marche vers la nacelle et allume ensemble la flamme olympique. Marie-José Perec et Teddy Rinner, deux immenses champions d’origine guadeloupéenne sont hissés sur l’autel des dieux. Le pays pleure de fierté, hurle sa joie, rappelle leur ténacité et leur endurance. Une mère murmure à son fils de 12 ans dont les yeux s’embrouillent de larmes ou de pluie : ils ont mangé du fouyapen et des poyos dans leur jeunesse eux. Elle occulte que lui est né en France.
Le lendemain, les bords de seine sont dégagés. Cela donne une impression de fluidité aux automobilistes. Puis chacun reste dans son arrondissement où, à des points stratégiques un grand écran est installé et le lieu aménagé. Une organisation intelligente favorisant la rencontre des voisins, entre échanges et frissons exhalés. C’est l’été, l’air est plus léger, les bières aidant, on se parle. Les palettes transformées en banquettes reçoivent les corps des moins jeunes que l’herbe accueille quel que soit l’heure. Trois générations se côtoient dans les chiliennes simples ou double, à l’air estival, où il n’est pas facile de s’extirper. Alors en famille, en groupe amical, ou en solitaire la télé chez soi est délaissée au profit de la grande communion de quartier. A partir de 18 heures, il n’y a plus d’assise même par terre, force est de venir avec son tabouret ou sa chaise pliante et de se tenir à l’arrière et ne rien voir. La fermeture de l’endroit est programmée à 22h30, jour de clôture des jeux excepté, en prévision certainement d’un temps de commentaires pour faire durer le plaisir. Certaines compétitions, cyclistes notamment, passent à travers la ville, permettant au tout monde de participer sans payer de tickets. Cela relève d’une grande générosité ressentie et exprimée par les parisiens.
Ippon, ippon, ippon. Le jardin entier est debout. Le vent propage au loin un nom : celui de Teddy Rinner. Tout le monde hurle, des gens s’embrassent : d’origine caucasienne, asiatique, africaine, indienne, le melting-pot des ethnies scande d’une seule voix la médaille d’or française. Elle leur appartient. Ces gens disent merci, mille fois merci. Et parce que on suppose que ceux qui lui ressemble par la carnation sont de sa famille, on les embrasse doublement. Le héros national ira sur sa terre natale à la rencontre des siens, l’espace de 24 heures où il sera accueilli majestueusement. Jamais les déboulés de carnaval n’avaient charrié une telle foule humaine. Bravo et merci Teddy Rinner dit le pays reconnaissant.
Fini les compétitions. La cérémonie de clôture laisse planer une humeur nostalgique de fin de réjouissances. A peine revenu de l’éblouissement de ce défi réussi, ne serait-ce que par son organisation bien huilée, le monde se prépare à vibrer à l’exploit des jeux paralympiques. Placé sous le sigle de agitos, je bouge en latin, le courage de ces femmes et de ces hommes est hors norme. Non seulement ils assument leur handicap mais en plus, ils le subliment. Quelle leçon de ténacité, de force, de volonté, de rage de vivre aussi ils offrent à la face du monde ! Des personnes ont été émues jusqu’aux larmes en regardant leur performance. Admiration. Une vie à méditer. Bravo à tous les participants qui pour arriver à ce niveau ont donné plus de leur personne que n’importe quel être humain exempté d’handicap.
Après deux belles fêtes du sport, le chaos politique a descendu dans la rue un peuple qui se sent grugé, humilié. Un vent de révolte s’est levé dont on ne peut présager le devenir. Est-ce si difficile d’aller vers un monde meilleur ?
Fait à Saint-Claude le 8 septembre 2024