De l’étoile jaune au badge de la honte

L’identification du personnel du CHU de la Guadeloupe passe par la présentation d’un badge soumis à un contrôle à l’entrée. Un sésame conditionnant la levée de la barrière par un agent dont la courtoisie et le sourire donnent de cet accueil une bonne impression de l’établissement. Certes, il connaît ses collègues. Chaque jour durant des années, ce rituel d’ouverture les autorise à se reconnaître membres d’une communauté recrutés par le même employeur. « Je travaille à l’hôpital » sans préciser la fonction, signe une identité d’appartenance, à telle enseigne que d’aucuns s’étonne que l’on puisse ignorer le nom de ceux qui y sont employés. Le cloisonnement des services, augmenté de la faible socialité individuelle, ne facilite pas les échanges. Mais la mémoire du maître de l’ouverture grave visages, noms et qualités de manière indélébile.

Le renouvellement du badge fait partie d’une réorganisation de l’institution séduite par de nouveaux outils technologiques plus performants. Jusqu’ici, il n’avait suscité aucune controverse. Mais le récent modèle contient un indice d’infâmie jamais égalé : un rond vert à encoche blanc dans lequel est écrit : covid 19 en conformité selon la loi du 5 août 2021. Pour rappel il s’agit de la loi portant mention de l’obligation vaccinale. Désormais cette loi scélérate s’affiche au grand jour, dévoilant depuis le seuil du lieu de travail la vie intime des personnes ; et pourquoi pas l’âge ou la civilité (mariage, célibat, concubinage divorce…) avec ou sans enfant et pourquoi pas nom de mère, nom de père ? Droit d’entrée pour les vaccinés sans précision du nombre de doses qui sous-tend qu’une partie des incohérences est tenue secrète. Ce badge a-t-il été édifié en vue d’une réintégration prochaine des personnels hospitaliers ? La réintégration prévue dans la loi du 05 août 2021 porte mention : « Aux termes de nouvelles dispositions légales, lorsqu’au regard de l’évolution de la situation épidémiologique ou de connaissances médicales et scientifiques telles que constatées par la haute autorité de santé, l’obligation vaccinale imposée à certains personnels soignants n’est plus justifiée, celle-ci peut être suspendue par décret, pour tout ou partie des catégories des personnels concernées. Les salaires dont le contrat de travail a été suspendu pour refus de vaccination, peuvent dès lors réintégrés ».

Le projet de loi du 26 juillet 2022 comporte une nuance : « La possibilité pour la HAS d’évaluer l’évolution de la situation épidémiologique ou des connaissances médicales et scientifiques

  • De sa propre initiative
  • Ou sur saisine du ministre chargé de la santé
  • Ou du comité de contrôle et de liaison covid19
  • Ou de la commission permanente chargée des affaires sociales de l’Assemblée Nationale ou du Sénat. »

Le conseil scientifique dans son avis du 19 juillet indique être « réservé sur la réintégration des soignants non vaccinés ». De même, l’Académie Nationale des médecins indique que : « Réintégrer les soignants non vaccinés contre le covid19 serait une faute »

En réponse à une saisine du ministre chargé de la santé, la HAS a rendu le 21 juillet dernier un avis favorable au maintien de l’obligation vaccinale contre le covid19 des personnels exerçant dans les établissements de santé et médico-sociaux.

Après que des pays aient intégré les soignants suspendus, la France, pour la première fois annonce que le 15 mai, le ministre de la santé, médecin urgentiste, autorise la levée de la suspension.

A l’analyse de tous ces tergiversations, l’anticipation du CHU procède, peut-être, à une gestion économique prudente, devançant une réintégration des suspendus sans préconisations gouvernementales, et désignant de façon péremptoire deux groupes distincts comme il fut un temps à l’embarquement aéroportuaire en Guadeloupe et en Guyane : les vaccinés d’abord. Le badge donne assise à une nomination élective de bon citoyen coopératif, apte à la récompense professionnelle. Par-delà ce jeu de dupes de la contamination/transmission éventé depuis longtemps, se profile le schéma pensé d’une logique de domination.

Est-il légal d’imposer un signe ségrégationniste dans un service public sans qu’une personne morale telle le garde des sceaux ne réagisse ? Il est essentiel de croire que les dirigeants se suffisent à eux-mêmes. L’exercice du pouvoir n’est pas unilatéral, l’autorité absolue n’existe pas en politique. Gouverner, c’est parvenir au pouvoir, s’y maintenir et garder le plus de contrôle possible sur le flux de revenus. Pour ce faire, le gouvernement doit s’entourer de membres dont la loyauté est indéfectible. Quand le chef de file lance à la face de la France : « Je vais emmerder les non vaccinés », son ministre trouvera logique de désigner des personnes qui seront les futurs boucs émissaires d’une propagation virale à venir. L’irrespect allié à l’illégalité démontre l’établissement d’une coalition étroite pour conserver le pouvoir. Entre bras d’honneur et indifférence d’encoche à la loi, la justice ne donne plus l’exemple du rappel à l’ordre d’une rectitude demandée au peuple. Les principes d’une domination sont présents dans les décisions qui régissent le sort des non vaccinés. On ne peut pas cependant établir une frontière nette entre pouvoir autoritaire de commandement et action formellement libre des dominés. La domination légitime cette docile soumission à l’ordre social qui s’appuie sur des motifs individuels et collectifs. La docilité peut être feinte pour des raisons d’opportunités, elle peut être exercée en pratique pour des raisons d’intérêt matériel personnel, ou elle peut être considérée et acceptée par faiblesse individuelle. Ainsi la soumission apparaît comme une loi naturelle, acceptation silencieuse que la résistance dérange.

Le badge de la honte portée par l’ensemble du personnel va indéniablement transformer les relations sociales (que l’on se souvienne des mots affirmant que les soignants vaccinés n’étaient pas favorables à la reprise des suspendus.) L’absence du cercle vert, feu vert en quelque sorte, est une manière explicite de contrôler les suspects en vue d’éloigner tout danger possible. La catégorisation permettra l’enfermement d’un groupe potentiellement propagateur de germes dont il faudra se méfier, un grave problème pour la sécurité sanitaire de tous à placer dans des services dédiés. La formation de camps, pas si loin dans l’histoire du monde, aura pour conséquences à terme le rétablissement de la peur et les comportements destructeurs et mortifères étudiés dans les sciences humaines. Différences et étrangetés, de façon insidieuse, seront sujettes à une constitution de manière de vivre, soutenue par la docile soumission à l’autorité. Dans la hiérarchie des relations d’obligations, la vie quotidienne sera marquée par des contrôles douloureux et des acharnements suspicieux. Le groupe glorifié sera soumis à l’horrible attraction exercée par la participation aux actes d’exclusion. Être complice de la torture d’autrui fait partie du travail de domination, parce qu’il y a le plaisir que procure la cruauté envers autrui, révélatrice des fantasmes meurtriers. La brutalité approuvée secrète la haine envers le différent, le non soi, la fascination culturelle de la puissance/violence et sa jouissance par procuration. La violence est une option d’agir des hommes, qui est présente en permanence. L’indifférence envers la souffrance des victimes est justifiée par l’acte de rébellion. L’obéissance aux injonctions, se meut en pouvoir légitime fondé sur le droit. Quelle est la différence entre légitimité et légalité ? La légitimité est la conformité à un principe supérieur qui dans une société et à un moment donné est considéré comme juste. La notion de légitimité ne recouvre pas celle de l’égalité qui est plus restreinte et qui caractérise ce qui est seulement conforme à la Loi. Reprendre à son compte les postures diffamantes, c’est admettre l’intolérable dont il faudra un jour rendre compte dans un face à face avec sa conscience ou dans une mise en accusation collective. Pourquoi obéir ?

 L’exemple de l’aiguillon de CANETTI qui « s’enfonce profondément dans l’être humain qui a exécuté un ordre et y reste, inaltéré » a une efficacité durable. Jamais un ordre ne s’efface, jamais son exécution ne l’épuise. Les souffrances et les peurs sont déclenchées par les aiguillons à l’intérieur de l’humain et dépassent tous les moyens de contrainte et de violences.

Cependant, l’obéissance peut s’arrimer à la résistance et cheminer sur deux voies : une démonstration extérieure de la situation d’acceptation et la captation intérieure d’une injustice à combattre. L’implantation de cette bipolarité favorise des retours de situation quand la discrimination dépasse les bornes. 

De L’étoile jaune au badge de la honte

L’étoile jaune est instaurée au XVI éme siècle à Prague, mise en place par un décret du 1erseptembre 1941, elle est un signe visible que doivent porter les juifs à partir de 6ans. Le gouvernement de Vichy n’est pas favorable à cette mesure qui choquerait l’opinion publique. Elle est rendue obligatoire à partir du 7 juin 1942. Elle a tracé une ligne inégalitaire entre les humains. Sa réutilisation de façon provocatrice dans les rassemblements anti passe sanitaires, a soulevé des polémiques et beaucoup d’indignation. Le rappel d’une douloureuse histoire s’est avéré insoutenable. Ce besoin de distinguer, d’assigner une minorité au rabaissement et à l’avilissement reste le symbole de l’identification négative. Le parallèle fait dans l’inversionavec l’emblème du vacciné sur un badge, stigmatise celui qui en est dépourvu. L’absence de signe le désigne comme un danger pour tous, pouvant semer la mort. L’absence de marquage devient un moyen de stigmatisation, d’humiliation à l’instar d’une réaction d’un patient qui avait refusé de se laisser approcher par un soignant non vacciné, bien avant la suspension. Dès lors, l’isoler, le surveiller, contrôler ses mouvements ; devient chose aisée. Le badge dédié aux bons objets s’inscrit dans une continuité d’une politique de discrimination et de stigmatisation. Le groupe majoritaire pourra faire la différence entre le nous et le non nous, l’autre ; l’étranger, l’aliénus montré du doigt, aliènus au sens d’individu atteint de pathologie mentale.

Le badge, c’était avant que l’Assemblée Nationale n’abroge l’obligation vaccinale le 04 mai 2023. Le gouvernement s’était opposé à cette mesure arquant que l’abrogation : « Aurait des conséquences dangereuses et affaiblirait notre capacité de réponse ».

Dès lors le badge de la honte devient hors la Loi puisque la vaccination covid 19 n’est plus obligatoire pour le personnel hospitalier. 

Cependant l’irréversibilité de cette infâmie ne teint qu’à la conscience collective. Par refus de tomber dans le piège de la division, ne pas accepter que l’histoire se répète. Agir en disant non à la ségrégation, d’une seule voie éprise d’égalité, par retour à l’envoyeur. Un geste de solidarité qui en dira long sur la volonté d’un vivre ensemble débarrassé de toute aliénation.

Fait à Saint-Claude le 06 mai 2023

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