Prisonniers de l’île

Mardi 27 avril, l’ordre du couvre-feu a assigné à résidence les personnes à partir de 19 heures. Seuls des motifs impérieux justifiés par l’attestation dérogatoire autoriseront quelques-uns à circuler dans les espaces extérieurs et publics. Unique département français à avoir éviter trois confinements grâce au respect des consignes sanitaires, la Guadeloupe désormais se trouve sur la liste des déplacements limités à un rayon de 10 kilomètres du domicile. Les habitants de la région Basse-Terre peuvent, de six à dix-neuf heures, encombrer les réseaux routiers dans un périmètre allant de Trois-Rivières à Vieux-Habitants. Une application vient en aide à l’étourdi et au rebelle de ces règles instaurées, évitant la contestation et la pénalité. Nul n’est censé ignorer la loi.

La menace des dernières semaines est devenue réalité et l’incompréhension aussi. Les restaurants doivent fermer, les bars et les commerces non essentiels, bien entendu à l’exception des coiffeurs et des fleuristes. Les avions ne déversent pas une foule hétéroclite dans l’aéroport que les lits des hôtels espèrent en vain accueillir pour un repos/plaisir avant le bain de mer émeraude fleurant bon les vacances. Le touriste n’a pas de raison particulière de venir là, pas plus que le guadeloupéen n’en a pour emprunter l’unique voie aérienne pour un voyage vers la France. Mais certains dispositifs restent obscurs face à l’analyse de ce confinement numéro deux, moins strict que celui de l’année précédente, où les enfermés libres ne bénéficiaient que d’une heure par jour des rayons du soleil ou de la pluie. Cette fois, ils sont enfermés dehors. La vitamine D recommandée dans un but préventif est à disposition selon la volonté et la bienveillance du soleil, prêt à mettre en échec l’attaque du système immunitaire par le covid 19.

La recherche scientifique a donné un coup de pouce à la connaissance des bienfaits d’un environnement pourvoyeur de soins naturels et gratuits. Sans exposition outrancière, du corps immobile, néfaste aux peaux à forte concentration de mélanine, l’usage du chapeau de paille connu depuis la nuit des temps, a acquis un droit de cité et facilité les déplacements aux heures chaudes. Dans le registre de ces dispositifs obscurs, au moment le plus critique de la circulation du virus, la réouverture d’un grand centre commercial a étonné tout le monde. Que l’alimentaire conserve sa fonction, celle d’assurer la survie physique de la population et soit tête de liste dans le listing des besoins indispensables, relève de la logique. Mais que des boutiques climatisées (le climatiseur est un instrument de propagation du virus) aient bénéficié d’une reprise des ventes contrairement à d’autres commerces non essentiels, démontre le pouvoir d’influence et la capacité d’action de certains décideurs économiques.

Le reconfinement a équilibré la balance de l’injuste au grand dam des gérants qui à l’annonce de la fin des privilèges se sont plaints d’être victimes d’un système de balancier : un coup oui, un coup non, accentuant l’insécurité financière et la mise en berne de l’espoir. Mais de déconvenue en mauvaise acceptation des commerces jugés essentiels tels les concessionnaires automobiles maintenus ouverts, plus indispensables que vêtements, chaussures et instituts de beauté, l’incompréhension a envahi la machine à penser, misant sur la date du 19 mai qui mettra fin au supplice des autres. Peut-être ! Car si le taux d’incidence (nombre de nouveaux cas qui évalue la vitesse de propagation de la maladie), ne baisse pas, la levée du confinement sera remise en question. La répétition de la menace depuis un an et un mois, n’a plus aucun effet. Ce phénomène est bien connu. Le seuil de la crainte étant dépassé, l’engourdissement ou l’insensibilité, installe une sécurité relative, comme pour se mettre à l’abri d’un danger. On obtient le contraire de la réponse escomptée. Ce processus de l’habituation (transformation des schèmes de pensée pour s’adapter à une situation nouvelle), ou de l’accommodation (disparition progressive de réponse à un stimulus répété régulièrement sans changement) est courant. Il entraîne un relâchement des gestes barrières avec une distance qui étrécit de plus en plus. La vigilance du début de la pandémie s’amenuise. Reste à trouver une information nouvelle suffisamment puissante pour interpeller non pas la peur formulée dans une mise en accusation, mais la prise de conscience sous une forme originale. Mais ce serait faire preuve de beaucoup de doigté et d‘expertise en matière de communication.

Ce deuxième confinement exacerbe la notion de limite. La configuration géographique d’une île : terre entourée d’eau, a ancré dans la psyché des habitants, le rapport à une frontière infranchissable, la mer imposant son éternelle présence. Des comportements non conscients démontrent que les automobilistes par leur excès de vitesse avalent des kilomètres dans une perspective de grand espace, gommant la réalité que de Deshaies à Saint-François, la jonction à 70 km/h ne prend que deux heures. Ce n’est pas Paris/Berlin ni même Paris/Nice. A l’étroit, les seules évasions possibles restent le bateau inter îles et l’avion. Quand survient une catastrophe naturelle, l’impression générale est un sentiment de solitude infinie, d’être coupé du reste du monde et d’une impossibilité à recevoir de l’aide en cas de persistance des éléments déchaînés. En filigrane se profile la peur de l’abandon. La crainte de manque d’eau, de nourriture, génère la ruée sur l’approvisionnement à la moindre alerte météorologique. L’observation d’attitudes perturbatrices larvées dont les signes donnent à voir une inquiétude permanente, diffuse, une angoisse qui est une peur sans objet chez la plupart des sujets non-demandeurs de soins, pose question.

Le premier confinement avait énoncé des règles strictes de maintien des corps entre les murs des logements. Cette période a généré des troubles psychologiques, décuplé ceux qui sommeillaient, accentué les violences intra familiales, augmenté la paupérisation des classes sociales défavorisées en attente des jours meilleurs. L’évidence d’une reprise de la circulation du virus et surtout de ce deuxième confinement, a mis en pièce la construction d’un avenir plus serein. La nouvelle des dix kilomètres à ne pas dépasser, loin d’apaiser les imaginaires, a réactivé cette fatalité d’être des îliens assujettis à une double contrainte de limite naturelle et d’une autre imposée. Impuissants, face à des restrictions dont l’objectif échappe à l’entendement, désireux de comprendre les enjeux sanitaires de cet isolat, la suspicion s’est installée en l’absence d’explication claire, simple, concise. La deuxième vague n’avait pas touché la Guadeloupe. Par quelle porte se sont engouffrés ces variants plus agressifs, malgré l’obligation de test PCR négatif à l’embarquement des avions destination Guadeloupe, la Martinique exceptée ?

L’éventualité d’un passeport vaccinal a fait naître une colère contenue, car la démonstration de personnalités recevant une dose devant la caméra n’a pas incité une grande foule à se rendre sur les lieux dédiés à la vaccination. Même dans les EPAHD, quelques ainés encore lucides ont formulé un refus suffisamment ferme pour être entendu. Fustigés par ceux qui restent persuadés d’user d’influence sur un peuple réticent mais qui conserve son droit d’avoir un avis, encore libre, avant ordonnance concernant certaines professions. Si la suggestion est mise à exécution, quelle sera la portée de ce document. Sera-t-il uniquement valable pour sortir de l’Europe ? Ceux qui partent à la découverte de territoires inconnus sont des habitués du carnet de vaccination servant à leur protection personnelle, garant d’un séjour indemne de toutes calamités. Désormais, les tests opèrent un tri dans les départs : négatifs ou positifs, ils décident des déplacements en avion et de la libre circulation.

Ce passeport qui commence à hanter les esprits serait-il rumeur, quel rôle aura-t-il ? déterminera t’il les conditions de déplacement d’un département à un autre ? S’il devient efficient dans le sens Guadeloupe/France, devra t’il l’être aussi dans l’hexagone ? Le résident du Finistère devra t’il l’exhiber pour fouler le sol de la Gironde selon le mode de locomotion choisi : train, voiture ou avion ? Ainsi le refus du vaccin maintiendra l’entêté dans l’île devenue prison sans possible recours au procès pour cause de préservation de son intégrité corporelle. Quelques grognements véhiculent un tant pis je resterai ici, les indécis profitent de cette perspective d’obligation à vivre sans départ vers l’ailleurs, pour finalement dire oui à Pfizer pas à AstraZeneca disponible dans les pharmacies où personne ne prend rendez-vous. Le taux de vaccination est à 21,51%, le plus bas des départements français. La vaccination est ouverte à tous à partir de 18 ans avant la date de péremption de ces lots non utilisés. Officiellement rien n’atteste qu’un passeport vaccinal sera obligatoire pour s’évader de l’île. Mais sait-on jamais ! Avant l’annonce officielle de ce deuxième confinement une rumeur, une semaine avant, s’affichait sur les réseaux sociaux, récoltant doute et certitude pour finalement devenir réalité.

Fait à Saint-Claude le 9 mai 2021

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